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Le jour. D'après fred sabourin

lettres a ...

L’enfance s’en va, et déjà le temps des secrets succède à la gloire de mon père

23 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

Depuis quelques jours tu as franchis le portail d’un collège, signant ton entrée en 6e. C’est peu dire que tu attendais ce moment avec impatience, mais aussi – quoi de plus normal – avec une certaine appréhension. Symboliquement, je sentais bien depuis quelques temps qu’avec ce passage, s’éloignerait à pas feutrés le temps de l’enfance, avant peut-être les grands fracas de l’adolescence. Ces pas feutrés trainent quand même un peu les gros sabots de la fin d’un monde, celui de la fraîche insouciance, celui de l’enfance qui s’en va.

- Tu marcheras sur l'eau -

- Tu marcheras sur l'eau -

Je ne pourrais dire à quel moment précis je m’en suis réellement rendu compte. Il y a ces silences qui s’installent parfois entre nous, subrepticement, sans y songer, quand nous sommes en voiture par exemple, ou en promenades, ou pendant le déjeuner. Je te sens songeuse – est-ce cela ? - je me demande bien à quoi tu penses. Néanmoins quelque chose me retient, parfois, de te le demander comme si j’avais peur de percer certains mystères, dois-je d’ailleurs les nommer ainsi ? Je respecte tes silences, comme j’apprécie que tu respectes parfois les miens.

Tu n’as pourtant que onze ans (« que cela passe vite onze ans », disait Aragon dans l’un des poèmes du Roman inachevé), et je suis ton père : s’il est encore un peu tôt – c’est ma conviction, sans doute suis-je un peu fané – pour le « temps des secrets », je sens bien que ce n’est déjà plus vraiment « la gloire de mon père ». Ta façon de soutenir parfois l’insoutenable en me regardant bien droit dans les yeux, l’envie d’avoir toujours raison en affirmant ton petit caractère, l’esprit de contradiction - comme t’en ferais-je grief, moi qui l’aie depuis des décennies érigé en style de vie ? - bref, tu changes.   

Demeurent cependant les derniers feux de l’enfance, enveloppés dans le papier cadeau inattendu des belles surprises, et c’est heureux. Récemment dans la période estivale, tu m’as redemandé de te lire des histoires, le soir, avant l’extinction des feux. J’avoue mon étonnement la première fois, je croyais cette routine remisée pour de bon dans le registre des joyeux souvenirs d’enfance. « Parce que tu les lis bien, et que tu y mets le ton », as-tu dis comme pour justifier ta demande, et, je te l’avoue, j’en fus comblé. La théâtralisation de ces lectures du soir a toujours été mon moment favori, et nous avons lues et relues certaines jusqu’à l’usure : Le doudou du camion poubelle ; Et pourquoi ? ; La grande peur de Mariette et Soupir ; La tempête ; Le loup tombé du livre ; Ernest et Célestine ; Le mystère de la lune

Comme quand tu étais petite, je me suis donc assis à côté de toi sur le lit, appuyé à l’oreiller, à la lueur de la lampe de chevet et du globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans, chaussant désormais mes lunettes, sans lesquelles… point d’histoire, et c’est parti ! Nous sommes désormais un peu serrés sur le petit lit de  90 cm... « Ne le dis pas aux copines que tu me lis des histoires, elles se moqueraient de moi ». Je ne pense pourtant pas que cette « régression » passagère soit de nature à avoir honte, bien au contraire. Comme quand tu étais petite, tu as insisté pour que, la première histoire terminée, j’en lise une seconde. De très bonne grâce, je me suis exécuté, goûtant ce miel des derniers feux de l’enfance, de cette relation si particulière entre un père et sa fille, que je garde avec prudence comme dans un vase d’argile. Un trésor inestimable.

C’est à tout cela que je repensais ce matin en me levant, le jour de tes onze ans. Bon anniversaire, ma fille.

F.S. 23/09/2022

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La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

13 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #l'évènement

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille

La Reine est morte, vive le Roi ! Depuis jeudi dernier, jusqu’à la saturation pour certains (la cancel culture et ses apôtres ne sont jamais bien loin…), chaque jour un petit peu davantage sur la Reine Elisabeth II, passée à trépas à l’âge très respectable de 96 ans. Depuis que tu es au collège, ma fille, c’est-à-dire depuis huit jours, tu augmentes ton niveau d’anglais. Ou plus exactement, tu en manges un peu plus chaque jour. Il paraît que ton prof est, lui aussi, anglais, ça tombe bien ! Gageons que lundi prochain, jour des funérailles à Westminster, tu devrais en entendre parler – in english of course !

Me reviennent en mémoire tes premières années, à Blois, autre cité royale s’il en est. En rentrant de l’école maternelle où tu fis tes premiers apprentissages, nous passions devant la vitrine d’un salon de thé so british. Voisinait, dans cette vitrine, tout ce que le kitch anglais peut produire d’excentrique et de décorations style « bonbonnière ». Je ne déteste pas, tant qu’on ne m’oblige pas à vivre dedans. Comble de ce kitch, trônait au milieu de tasses de thé aux motifs floraux d'un goût contestable, une petite statuette de la Reine d’Angleterre, en tailleur bleu avec chapeau à l’identique, gantée de blanc et sac à main noir, entourée de deux corgis. Il y avait, dans le sac à mains, une petite cellule photoélectrique, laquelle donnait, si la lumière était suffisante, une délicate oscillation à sa main, prodiguant ce salut qu’on lui connaissait bien depuis des décennies (tout le monde voit de quoi je parle). Le même système existait pour les chiens qui secouaient, eux, la tête. Ça t’amusait beaucoup, et je prenais un malin plaisir à dire, en pleine rue quand nous croisions des passants : « viens, on va passer devant le salon de thé saluer la Reine d’Angleterre ! ». Les gens nous prenaient probablement pour des mabouls, mais nous riions de bon cœur devant la vitrine, en agitant la main, comme elle. Les clients, à l’intérieur, se demandaient bien ce que nous faisons et nous prenaient certainement aussi pour des doux-dingues. Cela ne fait rien : j’emporte avec moi ce souvenir d’enfance, et c’était aussi l’occasion de t’expliquer qui était cette femme, pourquoi elle faisait cela, l’histoire, l’Angleterre, la monarchie, la guerre de Cent ans et tout le tintouin. Nous traversions l'histoire comme la ville : à grandes enjambées. Au début naturellement, tu n’y comprenais pas grand-chose, tu appréciais seulement le mimétisme et surtout le cocasse de la situation ; cela suffisait à faire ton bonheur… et le mien !

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

- The Queen Elizabeth number two se confie sur le confit -

Vendredi dernier, quand tu es arrivée chez moi pour le week-end, nous avons bien entendu parlé du décès de la Reine d’Angleterre, du nouveau Roi, de ce qui allait désormais se passer etc. Tu m’as dit dans la voiture que tu voulais « entendre de l’anglais », passion soudaine, mais tant mieux ! Alors j’ai mis en replay (comme on dit outre-Manche), le journal de 20 heures de la veille, on a entendu Elisabeth s’exprimer, et la nouvelle Première ministre Liz Truss, fraîchement adoubée. Des gens dans les rues de Londres aussi. Nous regardions tout cela avec grande attention, et je voyais ton regard rempli de sérieux s’émerveiller d’apprendre cette page d’histoire, dont tu entends parler depuis longtemps donc. Du haut de tes presque 11 ans, tu t’en souviendras toute ta vie, on n'assiste pas souvent à des évènements de cette importance. Il passait quelque chose comme une transmission de la culture, d’une culture, de l’histoire et de la géographie – matières chères à mes yeux tu le sais – qui infusaient en toi comme l'heure du thé de 17 heures à Buckingham. Samedi matin, ce sont les premiers mots de Charles III – sous-titrés – que nous avons religieusement écoutés et regardés sur le site d’un grand quotidien.

Et je repensais à cette statuette d’une rue de Blois, dans la vitrine d'un salon de thé, comme celle croisée – hasard et coïncidence – dans une rue de Brantôme en Dordogne en juin dernier. La même, sans les chiens, mais toute aussi digne dans la légère oscillation de la main, adresse aux passants que nous étions ce jour-là. Je me disais que toute cette histoire au bord de notre chemin commun valait bien un royal sourire et un mouvement de la main pour dire « bonjour » à ses sujets. Cela vaut, surtout, de les avoir partagés avec toi.

13/09/2022

La Reine d’Angleterre expliquée à ma fille
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Dix ans

23 Septembre 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« J’ai dix ans, des billes plein les poches, j’ai dix ans, les filles c’est des cloches, j’ai dix ans, laissez-moi rêver que j’ai dix ans, ça parait bizarre mais… si tu m’crois pas, hé ! tar’ta gueule à la récré ! ». Dix ans. Il y a dix ans tu respirais pour la première fois l’air de cette planète, en pointant le bout de ton nez dans une clinique des bords de Loire, pour le plus grand bonheur de tes parents. Ces dix années ont filées à la vitesse de la lumière. Je sais que nous venons de vivre, toi et moi, probablement les meilleures années, celles de l’enfance, une certaine forme d’insouciance, de rires et de jeux, de découvertes en tous genres, de milliers de questions. J’ai encore dans l’oreille ton « c’est quoi, ce bruit ? » que tu répétais ad libitum quand tu découvrais le monde, à chaque carrefour… Je sais que ce temps-là s’éloigne petit à petit et ne reviendra plus, ou du moins différemment, sous la forme de souvenirs que nous partagerons quelques fois, en souriant à l’évocation d’anecdotes qu’il nous plaira de nous remémorer.

Je me doute aussi que les dix ans à venir seront certainement un peu plus difficiles : avant d’entrer dans la grande tectonique des plaques de « l’adolescence » et de ses joyeux tourments, tu vas entrer dans ce que les « spécialistes » qui ont pignon sur rue nomment la « pré-adolescence », avec son lot d’oppositions, de petits arrangements, de négociations, de frictions en tous genres. Le temps qui s’ouvre désormais sera un temps où tu chercheras à tester tes parents – ta mère, malgré ses efforts, n’y échappera pas non plus et peut-être même en pire puisqu’elle te voit tous les jours – et où nous aurons des rapports parfois tendus. Mais je sais aussi que ce sera un temps riche où le débat prendra souvent de la place, où de nouveaux modes de relations verront le jour ; un temps de maturation surtout, où, quoiqu’il arrive, je serai là pour toi comme je l’ai toujours été, quoiqu’on en pense ou dise…

Dix ans
Dix ans

Quand je repense aux dix ans qui viennent de s’écouler, pendant lesquelles j’ai noircit des centaines de pages sur mon émerveillement de te voir grandir et prendre de l’assurance, des souvenirs heureux se bousculent dans ma tête. Je songe aux rituels que nous avions, dans la petite ville au bord de la Loire où nous avons vécu ces vertes années, sur le chemin de l’école notamment : la petite souris en peluche dans la vitrine d’une coiffeuse ; la baguette de pain croustillante de chez Mélanie ; les détours aux jeux ; le passage devant l’église et les achats de bougies que nous allumions ensuite les soirs d’automne et d’hiver avant de nous mettre à table... Je songe aussi aux histoires racontées chaque soir où tu étais chez moi, la mise en scène pour changer ma voix en fonction des personnages, et combien cela te plaisait. La boîte à musique avec la danseuse. Tes yeux émerveillés devant le globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans. Les rituels culinaires aussi, grâce à tes goûts très tôt très prononcés pour certains plats. Ta passion pour les animaux, les découvertes au zoo ou tout autre lieu où il était possible d’en voir. Les nuits en bivouac dans les Pyrénées. Je me souviens aussi – et ça n’est d’ailleurs pas terminé – des œuvres d’art que j’ai cherché, et cherche encore, à te faire découvrir à travers toutes formes culturelles - musées, châteaux, églises, films, livres… - tout cette richesse patrimoniale qui est là sous nos yeux et dont il faut s’enivrer. Cet esprit d’ouverture, par la culture, te protégera je crois et je l’espère, des affres de l’ignorance crasse, des bassesses humaines, des petits esprits pinailleurs, paranoïaques, revanchards qui sont nombreux et que tu croiseras malheureusement souvent sur ta route. Un jour, un commissaire-priseur que je connais bien et qui m’a montré de si belles choses en marge de ses ventes aux enchères me disait : « Il faut toujours montrer du beau aux enfants, il en restera toujours quelque chose » (je sais qu’il me lit et qu’il se reconnaîtra ; je lui témoigne de ma gratitude). Il a raison et c’est pour cela que je poursuis inlassablement cette quête du beau et de la culture avec toi, libre à toi d’en faire ce que tu voudras par la suite.

Parfois, dans mes rêveries de promeneur solitaire, je te vois plus grande et moi plus vieux, je vois ton indépendance en devenir et la réalisation d’une vie que je souhaite la tienne en fonction de tes choix à toi, et non pas ceux que tu penses devoir faire pour faire plaisir à ton père ou ta mère. Dans mes rêveries, je te vois libre, heureuse, passionnée par ce que tu fais, riante, joyeuse, parce que tu te seras et tu te sentiras aimée pour ce que tu es, et non pas corsetée dans ce que tu devrais être. Tu aimes les animaux, je te vois vétérinaire ; mais je te vois aussi bien trapéziste dans un cirque ou professeur des écoles si ça te chante ; parcourant le monde pour aider ceux qui sont dans le besoin ; archéologue, dessinatrice ou pianiste si ça te tente aussi. Tout ce que tu feras fera ma joie, parce que l’amour que j’ai pour toi renverse tout, depuis dix ans et pour dix, vingt, trente quarante ans ou davantage même si la vie me prête la grâce de le voir…

Jusqu’à mon dernier souffle, je n’aurai de cesse, en homme libre, de te le dire, et de te l’écrire : tu es aimée.

Ton papa.

Dix ans
Dix ans
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L’arbre du vendredi

10 Octobre 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #rural road trip

- Avril -

- Avril -

C’est un arbre unique, parce que seul. Seul au bord du chemin, seul au bord du champ, seul en plein vent. Son horizon : le ciel, un bois dans la ligne de mire. À l’opposé, un ruban de bitume : la route départementale. Au loin, des éoliennes. C’est un noyer. Battu par les vents, tantôt d’Est, tantôt d’Ouest, écrasé de soleil en plein été, embrumé de brouillard en hiver, c’est un arbre vivant. La tête dans le ciel, et les racines bien en terre. Cet arbre possède une histoire ; elle a croisé la mienne.

- Mai -

- Mai -

Un vendredi sur deux, je croise cet arbre, sur mon chemin. Je ne l’ai pas tout de suite remarqué, il faisait simplement partie du paysage, là, au début du trajet, de la route. Celle qui m’amène auprès de ma fille, à 80 kilomètres de là, aux confins de la Charente et du Limousin, pour le rendez-vous bimensuel qui nous permettra, elle et moi, de passer le week-end ensemble. Les premiers mois où je réalisais ce trajet depuis mon lieu de travail, je ne l’ai pas remarqué tout de suite. Puis je l’ai vu, d’abord distraitement comme on en voit d’autres, jusqu’au jour où – j’ignore pourquoi, la lumière peut-être, et le vent dans ses branches comme s’il agitait des grands bras - jusqu’au jour où cet arbre m’a parlé. Plus précisément, il m’a invité à m’arrêter pour le regarder, le contempler, lui sourire et lui parler. Je me suis donc garé sur le bord de l’étroite route qui le borde, l’observant de longues minutes sans rien dire, les bras croisés, les fesses calées sur le capot de la voiture. Puis, un jour, j’ai commencé à le photographier, en cadrant toujours de la même façon, pour voir défiler les saisons sous ses branches, le vent qui le caresse tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il n’a rien d’exceptionnel, c’est juste un noyer enraciné là, sur son chemin, sur mon chemin, comme il s’en trouve d’autres le long de la route départementale 739. Cet arbre est un lien, surtout, entre une semaine de boulot dans l’épicerie solidaire rurale itinérante dont j’ai la charge, et ce moment de filiation, oxygénation vitale dans une relation père-fille. En voyant cet arbre, je la vois déjà, elle.

- Juin -
- Juin -

- Juin -

La rencontre, le croisement avec cet arbre est donc devenu un rendez-vous familier. La veille déjà, il m’appelle, je pense à lui – et donc à elle - je sais que je vais le croiser, le voir, le photographier, lui parler, poser ma main sur son tronc. Je songe alors à la phrase de l’écrivain Christian Bobin : « J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe, non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne ».

Cette rencontre sera fugace, ne durera que quelques minutes, mais je sais qu’elle sera féconde, qu’elle m’apaisera après une semaine de travail et de tensions diverses avant de poursuivre la route qui me mène à ma fille. Cette route est belle, pas uniquement parce que nous allons nous retrouver, mais parce qu’elle est intrinsèquement belle. Son chemin sinueux traverse les bourgs de Valence, Cellefrouin, Saint-Claud, Confolens, Champeaux, Mézières-sur-Issoire, et Bellac, enfin. C’est sous de grands platanes – encore des arbres - de ce gros bourg limousin que je la retrouve, face à la mairie en forme de gentilhommière du XVIe siècle et nous tombons alors dans les bras l’un l’autre. Je ne lui ai jamais parlé de cet arbre, mais aujourd’hui j’ai envie de lui présenter.

- Juillet, septembre -
- Juillet, septembre -
- Juillet, septembre -

- Juillet, septembre -

Parce que nous nous verrons moins – aussi irrationnel paraisse la décision, pas de mon fait – cet arbre prendra alors la forme d’un rendez-vous qui aura lieu malgré tout. Je passerai le voir, même si je ne continue la route jusqu’au bout que toutes les trois semaines au lieu de deux, et je lui parlerai. Ce sera l’arbre des palabres, l’arbre du souvenir, l’arbre du désir, l’arbre des larmes, l’arbre de l’espoir : l’arbre de vie. Un jour je mènerai ma fille sous cet arbre, et je lui raconterai tout ce que nous avons vécu lui et moi, tout ce qu’un père peut et pourra faire pour sa fille. Ce seront ses racines, quand mes branches commenceront à craquer par l’usure du temps. Et elles lui donneront des ailes… 

- Octobre -
- Octobre -

- Octobre -

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Je t’écris cette lettre… (drôle de guerre)

21 Mars 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #Lettres à ..., #drôle de guerre

À ma fille
 

C’est le week-end. Demain, c’est dimanche. Nous aurions dû, normalement, nous voir et être ensemble. Mais cette maudite crise épidémique du Covid-19 coronavirus nous empêche, cette fois-ci, de nous retrouver. Vendredi soir, j’aurai dû – et j’aurai pu puisque pour l’instant rien ne nous en empêche  - prendre ma voiture et parcourir les 100 km qui me séparent du lieu de rendez-vous, avec ta maman qui elle aussi aurait fait la moitié du chemin. Nous serions rentrés heureux et joyeux de nos retrouvailles, comme à l’accoutumée. En temps normal, tu m’aurais demandé « qu’est-ce qu’on va faire ce week-end ? » et je t’aurais probablement répondu, vu la météo, « nous irons pêcher samedi après-midi ». J’aurais entendu ton exclamation de joie, car tu aimes beaucoup la pêche et moi aussi, ces après-midis au bord de l’eau, près du pont, à « taquiner le goujon ». Nous serions peut-être rentrés bredouilles, mais avec ta chance nous aurions sûrement accroché une ablette à notre hameçon, et vécu sans aucun doute quelques aventures, ou démêlé le fil de ta canne (ou la mienne !) pris dans des branches… J’aurais un peu pesté, mais pas trop : la pêche doit rester une école de patience, de mouvements comptés, et de silence.
 

Nous avons décidé de sursoir à ce week-end. L’inquiétude, face à cette crise sans précédent pour chacun d’entre nous, la peur te gagnent aussi, naturellement. Comme beaucoup d’enfants de ton âge, tu as parfaitement intégré que tu pouvais être porteuse de ce satané virus, ne pas en souffrir toi-même, mais le refiler à quelqu’un. C’est dur, à ton âge, de porter cette enclume au dessus du crâne. Quand j’avais ton âge, au début des années 80, c’était le péril d’une possible 3e guerre mondiale qui nous planait au dessus de la tête, et les images des journaux télévisés me hantaient parfois la nuit, où je voyais des manœuvres de chars soviétiques aux portes de l’Europe, des missiles braqués vers l’ouest – c’est-à-dire vers chez nous – des morts par centaines en Iran-Irak, Afghanistan, des coups de mentons et démonstrations de biceps entre les États-Unis et l’URSS, comme on disait à l’époque. J’avais peur, vraiment, mais finalement celle-ci restait à distance. Désormais elle est non seulement ici, mais son venin mortifère s’insinue dans nos veines, dans nos haleines, dans nos souffles de vie qui peuvent devenir pour les plus fragiles des souffles de mort.
Il conviendra, le moment venu, de réfléchir à tout cela, de « récapituler la situation » comme on dit, de philosopher sur tout ce que cela peut bien vouloir dire, et davantage encore ce que nous devrions changer ensuite dans nos comportements humains. Le moment n’est pas venu, nous vivons d’abord les évènements jour après jour. Demain ? On verra…

 

Aujourd’hui, tu me manques. Je m’inquiète pour toi même si je sais que tes conditions de vie sont bonnes et que maman fait tout ce qu’il faut pour toi. Je regrette d’être si loin pour ne pas pouvoir plus facilement faire l’échange, mais pour l’instant c’est probablement mieux ainsi. Pour éviter de m’effondrer, je songe que je pourrais être à la guerre, loin, au front, ou en opération, comme ces militaires de la caserne d’Infanterie de marine près de chez moi, dont j’entends parfois les chants des escadrons résonner jusqu’à ma rue, quand le vent les porte. Moi qui regrette parfois de ne pas avoir fait carrière chez les « paras », me voilà servi. Mais je suis comme tout le monde : confiné, cloué au sol, et je ne sais pas si je pourrais te voir le prochain week-end, ou s’il faudra attendre encore. Bien sûr d’autres vivent des séparations plus longues à la fois dans le temps et les kilomètres. Mais pour tenir, je me dis que je suis moi aussi au combat – puisqu’on nous parle de guerre - et que nous nous reverrons quand la paix sera revenue. Avec la liberté qui l’accompagne…
 

Hier je t’ai posté, comme chaque semaine, une lettre. J’ai appris le soir même que La Poste ne travaillerait pas samedi, ce qui retarde davantage le moment où tu la recevras. Cela m’attriste mais là aussi il faut faire preuve d’adaptation. J’imagine ta joie quand tu en découvriras son contenu. Si j’avais dû y mettre tout l’amour que j’ai pour toi, un colis de plusieurs centaines de kilos n’aurait pas suffit. Il faudrait un convoi exceptionnel pour te l’acheminer.
Je t’embrasse fort comme je t’aime, mais de loin, car ce satané virus nous attaque là où nous sommes à la fois les plus faibles, et les plus forts : l’amour et l’affection que nous avons les uns pour les autres, malgré tout.

 

Drôle de guerre. Putain de guerre !
A bientôt je l'espère.
Ton papa

Je t’écris cette lettre… (drôle de guerre)

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Il nous disait toujours d’où venait le vent...

23 Septembre 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- Le Vent - (Félix Vallotton)

- Le Vent - (Félix Vallotton)

Ma chère fille,
Aujourd’hui sous les voûtes d’une cathédrale romane dont je connais par cœur chaque cm², nous avons célébré – hasard du calendrier le jour de ton anniversaire - les obsèques du père d'un ami de trente-cinq ans, un chirurgien mort d'un cancer à septante et un ans. Il avait quatre enfants, dont ce vieux copain, et quatre petits enfants. Pléthore d’amis et de connaissances. C'était émouvant, naturellement. Au début de la messe, sa fille aînée - professeur de lettres - a lu un très bel éloge écrit de sa main. Évoquant notamment les souvenirs dans la maison familiale de vacances sur l'île d'Oléron, « son île » où il se ressourçait ; son affection pour l'océan, les embruns, les baignades, les grandes marées du mois d'octobre, les huitres… Elle a dit évoquant les points cardinaux : "Il nous disait toujours d'où venait le vent". Dès la troisième minute de la messe, cette petite phrase a fait l’effet d’un KO debout. On pouvait rentrer aux vestiaires, l’essentiel était dit.

 

"Il nous disait toujours d'où venait le vent". Et nous étions en apnée. Me sont venues en mémoire toutes ces choses de la vie en apparence futiles mais si importantes pour peu qu’on se laisse transporter par elles, dans une sorte de transmission intemporelle que le souvenir n’efface jamais. Des choses et des moments que nous essayons de partager ensuite avec nos propres enfants : le sens du vent ; l’odeur de la pluie ; les marrons brillants quand revient l'automne et qu’on fourre dans nos poches ; les traits biscornus rouges et jaunes, les taches blanches et vertes des forêts et des champs d’une carte routière ; l'odeur âcre d’un feu de bois accrochée à un vieux pull ; où et comment poussent les champignons ; les couchers de soleil qui se reflètent sur les lacs de montagne en plein été, ou dans le flux et le reflux des marées de l’Atlantique ; la texture grasse et visqueuse d'une ablette sortie toute fraîche d’une rivière ; la chaleur d’un poulet du dimanche rapporté de la rôtisserie du marché ; le sable sous les pieds en rentrant de la plage, et le sel sur les lèvres grillées de soleil ; les lumières d’une autoroute la nuit ; le fumet des crêpes et de la confiture de mirabelles une fin de dimanche d’hiver en rentrant de promenade ; le craquement sec d’une noix écrasée dans ses mains...
 

"Il nous disait toujours d'où venait le vent". C'est très poétique comme expression, très "français", dans cette langue de Molière à qui il ne manque que la musique d'un Lully pour transcender nos vies faites de plaies et de bosses, des vies entre gris clair et gris foncé.
 

Alors que nous célébrions ces obsèques, moment pas très joyeux on l’aura compris, à 11h23 j’ai senti mon portable vibrer dans ma poche. L’agenda… 11h23, il y a 8 ans, c'était ton premier souffle sur cette terre, ton premier cri de délivrance, et ton parrain n'est autre que ce fils-là dont le père est entré dans le Royaume ce jour-même. Drôle de hasard. Étrange moment. Où passe le temps ?
 

Un jour si ça tombe (mais le plus tard possible quand même) nos fils, nos filles, diront peut-être avec cette part de tristesse et de joie mêlées à propos de leurs pères : "Il nous disait toujours d'où venait le vent"... Ça ne sert à rien, en apparence. Cela semble futile. Le vent peut bien souffler où il veut, pourquoi s’encombrer la tête avec des choses pareil ? C’est du vent, c’est tout. Mais comme lui, justement, nous n'aurons fait que passer...
 

F.S. 23 et 24/09/2019

- Effet de vent (1891) - Claude Monet -

- Effet de vent (1891) - Claude Monet -

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Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)

18 Juillet 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #montagne, #émerveillement

- Encore un matin -

- Encore un matin -

Il y a des matins. Des matins difficiles, des matins chagrins, des matins du bon pied, des matins du mauvais pied. Des matins à pied d’œuvre, des matins sans espoir, des matins à se recoucher. Il y a des bons matins. Il y a des « encore un matin, un matin pour rien, une argile au creux de nos mains ». Il y a des matins de fin de mauvaises nuits, des matins d’insomnies, des matins de génie. Il y a des matins où l’on ne voit rien et des matins où l’on voit bien, des matins sans problèmes. Des matins d’avenir. Des matins d’amour. Des matins de « thé ou café ? ». Il y a des petits matins redoutés, des matins espérés, des matins de condamnés, des matins de damnés, des matins d’assoiffés. Des matins en marche...

Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)

J’aime les matins. Je les préfère aux soirs, malgré les prodigieux spectacles de couchers de soleil flamboyants, romantiques, poétiques, abracadabrantesques. J’aime les matins et leurs nuances de jour, promesses de l’aube pour un monde nouveau. Une renaissance solaire quotidienne. J’ai déjà eu l’occasion de décrire le prodigieux spectacle de petits matins en montagne où l’on ne sait si le jour va naître ou si la nuit va recommencer. J’aime les matins en montagne parce qu’ils sont infiniment plus beaux que les soirs. Ils « sentent » quelque chose, une odeur de roche encore ensommeillée, humide et fraîche, la sueur nocturne des Pyrénées. Les matins offrent, à qui peut les voir, une énergie vitale que la montagne veut bien, en de rares instants, partager avec l’Homme.

Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)

Depuis déjà deux ans, je t’emmène voir ces paysages aimés, près d’un lac dans la vallée d’Ossau, le lac Gentau, sous le refuge d’Ayous. Pour la troisième fois en juillet nous nous y sommes retrouvés, dans ce décor de carte postale où le Pic du Midi d’Ossau, s’il le veut bien, se reflète le soir dans le lac, offrant un spectacle touchant que beaucoup viennent voir exprès. On jurerait parfois une photo retouchée, mais non : si aucun souffle d’air ne ride le lac, si le ciel est parfaitement dégagé, si la mer de nuage s’arrête à ses pieds, alors le spectacle est grandiose. Même les bavards (et bavardes) finissent par se taire, et admirent. C’est un moment de grâce qui se répète plusieurs fois dans l’année, mais pour le voir encore faut-il habiter à côté…

Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)

Ces deux dernières années, tu étais couché au moment où le soleil faisait de même, embrasant le pic dans le grand incendie du soir. Cette année, ton âge augmentant, je m’étais promis de t’offrir ce moment de grâce à nul autre pareil. Pas de chance : le premier soir un brouillard épais a tout enveloppé. On ne voyait plus ni le lac, ni notre tente, à peine le bout de nos pieds. Le plaisir de la montagne, c'est aussi quand on ne voit rien...
Au réveil, le soleil a frappé à pleins rayons sur la porte de la tente – j’avais déjà constaté en pleine nuit que le ciel s’était dégagé – augurant une superbe journée. Elle le fut. Elle le fut parce qu’elle avait commencé par ce matin-là, et ta joie de petite fille à voir se miroiter le pic dans le lac, prenant son bain du matin. Il faisait doux, à peine frais, la nuit avait été exceptionnellement douce aussi, tout juste un peu de fraîcheur à l’aube, obligeant à remonter un peu le duvet. Je me suis assis à l’entrée de la tente, et je t’ai regardé avancer vers le lac, contempler le reflet et ce soleil déjà haut qui nous chauffait la face ne nous lâchant pas de tout le jour.

Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)

Alors j’ai songé que tous les matins du monde ne vaudraient jamais celui-ci, cette plénitude quasi absolue de bonheur et de félicité parfaite. L’impression d’être là à la bonne place, au milieu de ces montagnes aimées et connues, que toi aussi tu connais et reconnais désormais, puisque tu y dors... Tous les matins du monde, et tous les soirs aussi, puisque le deuxième fut le bon et il nous permis d’admirer le reflet de « Jean-Pierre » - ce « géant de pierre » - enflammé des derniers rayons du soleil, montagne de verre, montagne de feu, de pics et de pointes, dans l’eau sombre et calme, presque déjà endormie du lac Gentau.

Tous les matins du monde. Et tous les soirs aussi.

Tous les matins du monde (ne vaudront jamais celui-ci)
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Sept ans de réflexion

25 Septembre 2018 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- Il y eut un matin -

- Il y eut un matin -

7 ans d’étonnements. 7 ans d’émerveillements. 7 ans d’inquiétudes. 7 ans de quiétude. 7 ans d’attente. 7 ans d’impatience. 7 ans de questions. 7 ans d’interrogations. 7 ans de cris. 7 ans de silences. 7 ans de c’est quoi ce bruit. 7 ans de paroles. 7 ans de mots. 7 ans de maux. 7 ans de musique. 7 ans de cailloux, de marrons, de bouts de bois, de trucs ramassés n’importe où et fourrés dans tes poches. 7 ans de regards bleus. 7 ans de mots bleus. 7 ans de tes yeux bleus. 7 ans d’imagination. 7 ans d’histoires. 7 ans de géographie. 7 ans de Pyrénées. 7 ans de chansons. 7 ans de poésies. 7 ans de rires. 7 ans de larmes. 7 ans de pourquoi. 7 ans de oui. 7 ans de non. 7 ans de peut-être. 7 ans de comme tu veux. 7 ans de pipi. 7 ans de caca. 7 ans de jeux. 7 ans de cache-cache. 7 ans de balançoire. 7 ans de tape-cul. 7 ans de toboggans. 7 ans de memory. 7 ans de vite, un train. 7 ans de dimanches en forêt. 7 ans d’être. 7 ans d’avoir. 7 ans de permissions. 7 ans de missions. 7 ans de dîners. 7 ans de petits déjeuners. 7 ans de pâtes au jambon-gruyère. 7 ans de petits-pois-carottes. 7 ans de compotes de pommes. 7 ans de chocolat. 7 ans de fraises. 7 ans de bretzels. 7 ans de fromage de brebis. 7 ans de petites voitures. 7 ans de voiture. 7 ans de quand est-ce qu’on arrive. 7 ans de chaussures. 7 ans d’insomnies. 7 ans d’essais. 7 ans de recommencer. 7 ans de fierté. 7 ans de attends. 7 ans de pas tout de suite. 7 ans de dépêche-toi on va être en retard. 7 ans de on verra. 7 ans de j’ai pas envie. 7 ans de maisons. 7 ans d’opinions. 7 ans de raison. 7 ans de papa. 7 ans de maman. 7 ans de s’il-te-plaît merci. 7 ans de vie. 7 ans de vie de château. 7 ans de chance. 7 ans d’amour. 7 ans de toujours. 7 ans de que serais-je sans toi.

7 ans.

Bon anniversaire, ma fille.

23.09.2018

- Amboise. Prêt ? Paré !

- Amboise. Prêt ? Paré !

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« Ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! »

15 Juillet 2018 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« Ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! »

Ma chère enfant,
 

Ce soir nous avons regardé et fêté la victoire de l’équipe de France de football lors de la finale de la coupe du monde, en Russie. Nous avons, durant tout ce mois foot de fou, fait un peu de géographie. Tu as découvert où se situaient sur le globe terrestre offert pour tes 5 ans la Russie, Moscou, Saint-Pétersbourg, l’Argentine, l’Uruguay, la Belgique, et la Croatie. L’Angleterre aussi, mais ça tu sais déjà où ça se situe sur une carte, depuis longtemps ; depuis qu’un certain Edouard III petit fils de Philippe IV le Bel revendiqua la couronne de France, et que chaque printemps on rejoue sur un terrain de rugby cette guerre de Cent ans. Bref, la coupe du monde, c’est avant tout une géographie.
 

Mais la coupe du monde, c’est aussi une histoire. Celle de ton père démarre au début des années 80, par un coup franc brossé d’un certain Michel Platini qui, le soir du 18 novembre 1981 face aux Pays-Bas nous propulsa en Espagne en juin suivant.  Mes connaissances historiques du football débutent à ce moment précis, héritières pourtant d’une culture de la défaite héroïque distillée par mon paternel, notamment celle de Glasgow en mai 1976 en finale de coupe d’Europe qui vit le Bayern de Munich l’emporter sur l’AS Saint-Étienne lors d’un match épique où les poteaux ne sont toujours pas sortis du purgatoire avec leurs têtes au carré.
 

Quelques mois après ce coup franc brossé magnifique de « Platoche », l’homérique demi-finale France-RFA perdue le 8 juillet 1982 au stade Ramon Sanchez Pizjuan me fit verser des rivières de larmes – à en faire déborder le Rhin et la Garonne réunis. Puis, quatre ans plus tard, c’était de nouveau l’Allemagne qui crucifiait les espoirs d’atteindre une finale de la coupe du monde, pourtant après un autre match homérique contre le Brésil le 21 juin au terme d’une séance de tirs au but à faire péter tous les pacemakers du pays. Entre ces deux défaites germaniques, alimentées par celle de Glasgow elle aussi d’outre-Rhin, il y eu l’éclaircie de juin 1984 contre l’Espagne en championnat d’Europe. Mais que représentait cette victoire face aux terribles défaites de matchs « qu’on ne devait pas perdre » ?
 

Ce soir, nous avons regardé ce match ensemble, sur le petit écran de l’ordinateur dans la pénombre de l’appartement aux volets presque clos pour nous protéger de la chaleur. La première mi-temps nous a crispés. La seconde j’ai commencé à chercher où je pouvais bien avoir rangé le défibrillateur, au cas où… Avec ton petit drapeau tricolore, tu as regardé avec intensité ce match et les buts qui s’égrenaient, les retournements de situation ajoutant encore un peu de suspens à l’après-midi. Quelques minutes auparavant tu sortais trois perches et un gardon de l’étang où nous sommes allés tué le temps en attendant le coup d’envoi. Trois plus un ça fait quatre, comme les buts de ce jour. Au coup de sifflet final, toute à ta joie tu as dit ce mot que je n’aurais jamais au grand jamais pu prononcer à ton âge : « on a gagné notre 2e coupe du monde ! ». Je n’imaginais pas d’ailleurs que je pourrais voir ça une deuxième fois dans ma vie…
 

Après le "sacre" sous une pluie battante (comme si F. Hollande s’était malicieusement glissé parmi la foule…), c’est au soleil rasant d’Austerlitz que nous sommes allés voir un peu l’ambiance « en ville ». Concert de klaxon et euphorie euphorisante, voitures aux drapeaux tournant dans les rues puis, sur une place du centre, la fête. Nous avons regardé ça du haut du rempart près du château, prudemment, puis nous sommes rentrés tenaillés par la faim et la soif. C’est là que tu as eu cette « philosophique » pensée : « ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! ». Je t’ai regardé marchant dans la rue agitant ton drapeau au passage des voitures qui faisaient de même. Je me suis dit que j’avais de la chance de vivre ça – malgré tout ce qu’on peut dire par ailleurs sur le sport-fric-système – et qu’il est hautement probable que j’eusse aimé le vivre aussi il y a plus de trente ans, avec mon propre père, à l’époque où nous célébrions plutôt des héros perdants magnifiques. En grignotant la pizza sortie du four, nous avons écouté « DD » Deschamps parler avec modestie de la victoire « qui n’appartenait qu’aux joueurs ». Tu m’as posé des questions sur cet homme qui il y a 20 ans avait lui aussi gagné la coupe du monde, la première pour la France.
 

Ce fut l’occasion de t’expliquer ce que le mot « humilité » veut dire. Et j’ai trouvé qu’avec la géographie, ça commençait à être finalement pas si mal pour un petit jeu de ballon…

« Ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! »

FS 15/07/2018

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Petite musique de nuit

12 Novembre 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« Ma fille, ma petite, ma porcelaine, toujours je t’imagine brisée ». Pierre Desproges, Aventures du mois de juin (suite).

Petite musique de nuit

Souvent quand elle est là, à la tombée du jour, il repense à ses premières années, quand ils se calfeutraient dans le cocon douillet du petit deux pièces-cuisine qu’il occupa pendant cinq ans, à ses inquiétudes qu’elle n’exprimait pas mais qu’il lisait dans son regard, la nuit approchant. Alors il allumait les lampes, n’ayant jamais aimé les ampoules qui font tomber du plafond une lumière blanche, d’hôpital, une lumière froide qui écrase les corps et lisse les cœurs. Il glissait dans le lecteur CD son disque préféré, composé de berceuses et de chansons douces dont les textes anciens sur des mélodies modernes la réconfortaient. Tous deux finirent par les connaître par cœur. Après le bain, il rangeait les jouets encore un peu humides dans leur boîte et il voyait, préparant le dîner dans la cuisine ouverte sur la grande pièce principale, briller ses yeux. De fatigue, d’inquiétude, de joie mêlées. Elle jouait encore un peu sur le tapis du salon-séjour-bureau-chambre pendant qu’il mettait le couvert – ses couverts en plastique avec une souris grise sur fond vert dessiné dedans pour elle, une grande assiette en grès de Provence pour lui. Dès que prêts, sans tarder, ils  passaient à table, peu après sept heures du soir. Il allumait les bougies, ajoutant de la chaleur dans l’appartement, tandis que dehors l’épaisseur sombre de la nuit, déchirée par les lampadaires de la rue qui faisaient des taches orangées près desquels gravitaient quelques éphémères, finissait son travail de sape d’un jour qui s’achève. Demain en sera un autre, pensait-il souvent. Pour elle la nuit semblait si longue, presque douze heures, comme une demi-journée… Puis, après l’histoire racontée en y mettant le ton, on entendait le cliquetis de la clé mécanique remontant le ressort de la boîte à musique ; la danseuse jaillissait alors de sa boîte au son de la mélodie du film Roméo et Juliette. Il éteignait la lumière en lui caressant délicatement la joue, murmurant : « bonne nuit, bichette ». Elle s’endormait parfois avant que la danseuse n’ait terminé ses tours de piste dans la boîte rose bonbon, cadeau pour ses deux ans.
 

Quelques dizaines de minutes plus tard, quand la nuit étouffait progressivement tous les bruits de la ville, peu avant d’aller se coucher à son tour, à pas feutrés il venait et il vient encore aujourd’hui écouter dans le silence épais sa musique préférée. Une petite musique de nuit. Un léger souffle de vie, dans le sommeil profond. Il entrouvre la porte, doucement car craignant toujours de la réveiller, et entre dans la chambre sur la pointe des pieds. Seule la lumière du couloir éclaire un peu la pièce, où flotte l’odeur du repos. Là, dans son lit, sous la couette imprimée de fleurs sauvages et d’oiseaux des îles, les bras souvent levés par dessus la tête ou en croix, elle dort. Peu à peu ses yeux s’habituent à l’obscurité, et il aperçoit les siens lourdement fermés, comme scellés d’une pâte épaisse qu’on croirait désormais impossible à rouvrir. Il écoute, muet, le souffle profond du sommeil de l’enfant. On dirait le ronronnement d’un petit animal craintif, mais aussi celui d’un navire sûr de lui qui fendrait l’océan, brisant de son étrave tranchante les abysses inquiétantes, là, juste en dessous, peuplées de monstres marins. Réminiscences, qui sait, de son propre sommeil lorsqu’il était enfant : comment s’en souvenir désormais ? Cette respiration métronomique, parfois légèrement arythmique par une inspiration plus longue, plus forte, plus profonde, comme une rafale de vent soudaine qui va se perdre au loin dans des arbres, au dessus de l’eau, avait et a toujours quelque chose de réconfortant. Elle vit. Elle dort. Elle prend et reprend des forces. Il se tient debout, là, dans la pénombre, et voudrait que cet instant d’éternité suspendue ne retombe jamais. Ses pensées se perdent au milieu des rêves de l’enfant qui s’éparpillent dans la petite chambre aux murs jaunes, où seuls deux chaussons négligemment jetés viennent perturber le bel ordonnancement. Il sourit. Une fois, peut-être deux, il sécha une larme pointant au coin de l’œil, dans l’ombre, qu’il n’avait pas vue venir. Pensif, il recule à pas comptés jusqu’à la porte qu’il referme doucement, sans la clore complètement, « au cas où » se dit-il. Un rayon de lumière passe à travers l’interstice. Il reste debout encore quelques instants dans le couloir, et se dit en lui-même, ressuscité par ce souffle : « Tu es ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage ? ».

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