« Ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! »
15 Juillet 2018 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...
Ma chère enfant,
Ce soir nous avons regardé et fêté la victoire de l’équipe de France de football lors de la finale de la coupe du monde, en Russie. Nous avons, durant tout ce mois foot de fou, fait un peu de géographie. Tu as découvert où se situaient sur le globe terrestre offert pour tes 5 ans la Russie, Moscou, Saint-Pétersbourg, l’Argentine, l’Uruguay, la Belgique, et la Croatie. L’Angleterre aussi, mais ça tu sais déjà où ça se situe sur une carte, depuis longtemps ; depuis qu’un certain Edouard III petit fils de Philippe IV le Bel revendiqua la couronne de France, et que chaque printemps on rejoue sur un terrain de rugby cette guerre de Cent ans. Bref, la coupe du monde, c’est avant tout une géographie.
Mais la coupe du monde, c’est aussi une histoire. Celle de ton père démarre au début des années 80, par un coup franc brossé d’un certain Michel Platini qui, le soir du 18 novembre 1981 face aux Pays-Bas nous propulsa en Espagne en juin suivant. Mes connaissances historiques du football débutent à ce moment précis, héritières pourtant d’une culture de la défaite héroïque distillée par mon paternel, notamment celle de Glasgow en mai 1976 en finale de coupe d’Europe qui vit le Bayern de Munich l’emporter sur l’AS Saint-Étienne lors d’un match épique où les poteaux ne sont toujours pas sortis du purgatoire avec leurs têtes au carré.
Quelques mois après ce coup franc brossé magnifique de « Platoche », l’homérique demi-finale France-RFA perdue le 8 juillet 1982 au stade Ramon Sanchez Pizjuan me fit verser des rivières de larmes – à en faire déborder le Rhin et la Garonne réunis. Puis, quatre ans plus tard, c’était de nouveau l’Allemagne qui crucifiait les espoirs d’atteindre une finale de la coupe du monde, pourtant après un autre match homérique contre le Brésil le 21 juin au terme d’une séance de tirs au but à faire péter tous les pacemakers du pays. Entre ces deux défaites germaniques, alimentées par celle de Glasgow elle aussi d’outre-Rhin, il y eu l’éclaircie de juin 1984 contre l’Espagne en championnat d’Europe. Mais que représentait cette victoire face aux terribles défaites de matchs « qu’on ne devait pas perdre » ?
Ce soir, nous avons regardé ce match ensemble, sur le petit écran de l’ordinateur dans la pénombre de l’appartement aux volets presque clos pour nous protéger de la chaleur. La première mi-temps nous a crispés. La seconde j’ai commencé à chercher où je pouvais bien avoir rangé le défibrillateur, au cas où… Avec ton petit drapeau tricolore, tu as regardé avec intensité ce match et les buts qui s’égrenaient, les retournements de situation ajoutant encore un peu de suspens à l’après-midi. Quelques minutes auparavant tu sortais trois perches et un gardon de l’étang où nous sommes allés tué le temps en attendant le coup d’envoi. Trois plus un ça fait quatre, comme les buts de ce jour. Au coup de sifflet final, toute à ta joie tu as dit ce mot que je n’aurais jamais au grand jamais pu prononcer à ton âge : « on a gagné notre 2e coupe du monde ! ». Je n’imaginais pas d’ailleurs que je pourrais voir ça une deuxième fois dans ma vie…
Après le "sacre" sous une pluie battante (comme si F. Hollande s’était malicieusement glissé parmi la foule…), c’est au soleil rasant d’Austerlitz que nous sommes allés voir un peu l’ambiance « en ville ». Concert de klaxon et euphorie euphorisante, voitures aux drapeaux tournant dans les rues puis, sur une place du centre, la fête. Nous avons regardé ça du haut du rempart près du château, prudemment, puis nous sommes rentrés tenaillés par la faim et la soif. C’est là que tu as eu cette « philosophique » pensée : « ben quand même, on a gagné la coupe du monde ! ». Je t’ai regardé marchant dans la rue agitant ton drapeau au passage des voitures qui faisaient de même. Je me suis dit que j’avais de la chance de vivre ça – malgré tout ce qu’on peut dire par ailleurs sur le sport-fric-système – et qu’il est hautement probable que j’eusse aimé le vivre aussi il y a plus de trente ans, avec mon propre père, à l’époque où nous célébrions plutôt des héros perdants magnifiques. En grignotant la pizza sortie du four, nous avons écouté « DD » Deschamps parler avec modestie de la victoire « qui n’appartenait qu’aux joueurs ». Tu m’as posé des questions sur cet homme qui il y a 20 ans avait lui aussi gagné la coupe du monde, la première pour la France.
Ce fut l’occasion de t’expliquer ce que le mot « humilité » veut dire. Et j’ai trouvé qu’avec la géographie, ça commençait à être finalement pas si mal pour un petit jeu de ballon…
FS 15/07/2018
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