Chenonceau : une femme nommée désir
Le soleil, en majesté tout le jour, vint doucement caresser cette femme allongée sur le Cher, lascive, pensive, à la recherche de ses amants royaux, nobles et moins nobles souvenirs d'une vie où le paraître valait bien plus que la sincérité des sentiments.
Séjournant à Chenonceau, Flaubert, visitant la chambre de Diane de Poitiers, aurait imaginé "les délices singulières de se retourner sur un matelas qui avait été celui de la maîtresse d'un roi".
En lisant "Sur la route", de Jack Kerouac
"A présent, , il fallait que je dorme une journée entière, après quoi je me remettrais en route jusqu'à Denver. Je suis donc allé au YMCA, mais il n'y avait plus de chambre, alors mon instinct m'a conduit le long des voies ferrées, pas ce qui manque à Des Moines, et je me suis retrouvé dans une vieille auberge sinistre, près de la rotonde de la locomotive, un vieil hôtel, où j'ai passé une longue journée fabuleuse à dormir sur le matelas dur d'un grand lit tout propre et tout blanc, avec des saloperies graffitées à mon chevet, et des stores jaunes décrépits tirés sur le théâtre enfumé des voies de chemin de fer. Je me suis réveillé à l'heure où le soleil rougissait, et ça a été la seule fois précise de ma vie, le seul moment tellement bizarre, où je n'ai plus su qui j'étais... Loin de chez moi, hanté, fatigué du voyage, dans une chambre d'hôtel à bon marché que je n'avais jamais vue, j'entendais les trains cracher leur fumée, dehors, et les boiseries de l'hôtel craquer, les pas, à l'étage au-dessus, tous ces bruits mélancoliques, je regardais les hauts plafonds fissurés, et pendant quelques secondes de flottement je n'ai plus su qui j'étais. Je n'avais pas peur, j'étais simplement quelqu'un dautre, étranger à moi-même ; et toute ma vie était hantée, une vie de fantôme... J'avais traversé la moitié de l'Amérique, je me trouvais sur le fil, entre l'est de ma jeunesse et l'ouest de mon avenir, c'est peut-être pour ça que ça s'est passé là et pas ailleurs, en cet étrange après-midi rouge. Mais il fallait que je me remette en route, au lieu de pleurer sur mon sort, alors j'ai pris mon sac, j'ai dit au revoir au vieil aubergiste assis à côté de son crachoir, et je suis allé casser la croûte. J'ai mangé de la tarte aux pommes et de la glace ; la qualité s'améliorait à mesure que je m'enfonçais dans l'Iowa, la tarte était plus grosse, la glace plus crémeuse."
Jack Kerouac, Sur la route. (Livre Un).
Lettre à Georges B.
Cher Georges,
Tu me pardonneras cette familiarité j’espère. Tu es mort quand mon cerveau commençait vraiment à vivre, c'est-à-dire à peu près à l’âge dit de « raison ». A la maison, quand mon père y était encore, trônaient sur la platine comme on disait alors, des disques vinyles 33 tours, l’intégrale de Georges Brassens. Ton intégrale en somme. C’est à ce moment là que sont rentrés pour toujours dans mes oreilles des titres comme Les Copains d’abord, Le Gorille, Bancs publics, Le Parapluie, Une jolie fleur. Et des moins avouables comme Trompettes de la renommée, Misogynie à part, Fernande, etc. Plus tard – beaucoup plus tard – à la faveur d’une fin d’été un peu désœuvrée, j’ai acheté une guitare d’occasion, et j’ai commencé à me faire saigner les doigts dessus, comme dit l’autre, « l’homme en or ». La première chanson que j’ai su jouer en chantant en même temps fut La Mauvaise réputation, car les accords étaient très simples pour un guitariste débutant. Encore plus tard, je me suis coltiné la Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, ou encore L’Auvergnat, dont les accords en « barré » me donnent encore aujourd’hui des crampes à la main gauche. C’était comme ça, "Brassens, il avait des gros doigts", m’avait-on dit, alors il jouait beaucoup de choses en barré, et inventait des positions sur le manche pour palier ce défaut. Je n’ai jamais réellement su si c’était vrai, mais le fait est là : pour apprendre à jouer tes chansons, il faut non seulement d’abord beaucoup les écouter, mais plus encore avoir une souplesse du poignet hors pair.
Un jour, j’ai décidé de te faire écouter à une petite fille qui tient ma main au bout de mon bras de singe (gorille ?). D’abord celles pour toutes les oreilles, puis celles pour « pas toutes les oreilles ». Après l’avoir quelques années délaissée et jouée plus épisodiquement, j’ai ressorti la guitare de l’étui où elle dormait depuis (trop) longtemps. Re belote, il a fallut que je me ré-assouplisse les doigts et le poignet, en reprenant tes chansons. C’est revenu assez vite, beaucoup plus que je ne le craignais. Alors je me suis mis en quête d’autres chansons que je n’avais pas encore essayé, comme Tonton Nestor, Les Philistins, Les Passantes, La Ballade des cimetières, Mathilde, et Le Bistrot. Cette dernière je l’aime beaucoup. Elle évoque des souvenirs du temps où je trainais mes guêtres du côté des Abbesses, Pigalle, la rue Lepic, et derrière la colline Montmartre le quartier Championnet-Ordener, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
« Dans un coin pourri, du pauvre Paris, sur une pla-a-ce. L’est un vieux bistrot, tenu par un gros dé-gueu-la-asse. Si t’as le bec fin, s’il te faut du vin première cla-a-sse, va boire à Passy, le nectar d’ici te dé-pa-asse ».
Elle a été de nombreuses fois reprise, souvent avec brio, et récemment je l’ai entendu sur France Culture (mais oui !) interprétée par Loïc Lantoine. Il m’a fichu un coup, le Lantoine, avec sa voix rauque dont on dirait justement qu’il en a bu pas mal du « nectar d’ici », à s’en matelasser le gosier justement... J’ai sorti la guitare de l’étui et c’était parti.
« Mais si t'as l' gosier qu'une armure d'acier ma-te-la-asse, goûte à ce velours, ce petit bleu lourd de mena-aces. Tu trouveras là la fine fleur de la po-pula-ace . Tous les marmiteux, es calamiteux, de la pla-ace. »
Evidemment, vu la « grandeur » du salon, quand je me décide à répéter tes chansons, Georges, la môme elle entend tout. Elle m’a même réclamé d’ouvrir l’autre étui, plus petit, pour en sortir la guitare d’étude ¾ que j’avais un jour ramené de Tarragone. Je lui ai installé sa petite chaise, et j’ai mis la ¾ entre ses bras, pour qu’elle imite. Ça fait parfois une drôle de cacophonie, mais enfin je me dis que ça n’est sûrement pas du temps perdu.
Cet après midi, il faisait froid, elle était un peu malade, j’ai décidé qu’on resterait au chaud à la maison. Elle m’a demandé de jouer, ce que je fis. Pour me chauffer la voix j’ai commencé par un de tes fils spirituel, Christian Olivier des Têtes raides, puis j’ai tourné la page où il y a Le Bistrot. J’ai recommencé plusieurs fois, jusqu’à ce que ça soit fluide. Elle « jouait » sur sa chaise, plaquant des accords imaginaires sur sa ¾. Et puis on est passé à autre chose, le soir est venu, le dîner aussi. Et là, entre deux bouchées de salade d’endives et un morceau de pizza (c’est la fête !), elle s’est mise à chantonner, prenant une voix la plus grave possible :
« Dans un coin pourri, du pauvre Paris, sur une pla-a-ce. L’est un vieux bistrot, tenu par un gros dé-gueu-la-asse. »
Je l’ai regardé, stupéfait, et elle a du penser un instant qu’elle avait dit une connerie (chanter à table remarque, c’est pas très correct, sauf pour un banquet de noces). Je lui ai dit : « et la suite ? » Elle m’a dit que c’était difficile, alors on y est allé à deux.
« Si t’as le bec fin, s’il te faut du vin première cla-a-sse, va boire à Passy, le nectar d’ici te dé-pa-asse ».
Et puis comme ça plusieurs fois jusqu’à ce que ça rentre bien dans son petit cerveau de môme de 4 piges. On a bien redis que « dégueulasse » ce n’était pas un mot à dire n’importe comment ni à n’importe qui, mais que dans la chanson ça passait, parce que c’était une chanson, justement et qu’il y avait un contexte.
En la couchant quelques instants après, je me suis dit deux choses : d’abord que j’étais quand même très fier qu’elle retienne déjà tes chansons (elle m’avait déjà fait le coup avec « gare au gori-i-i-i-lle » mais c’était juste le refrain). Et la deuxième chose que je me suis dit c’est que j’allais quand même faire gaffe avec Mathilde, Fernande et Le Nombril de la femme de l’agent de police…
Voilà mon cher Georges, j’espère que cette lettre te trouvera là où tu es, sinon ne t’inquiète pas, je sens qu’un jour elle et moi on ira faire un tour du côté de Sète, au cimetière. Ça nous changera de Jarnac et du caveau de Mitterrand (cf ci-dessous).
Je t’embrasse tonton Georges.
« Dans un coin pourri du pauvre Paris, sur une pla-ace. Une espèce de fée, d'un vieux bouge a fait un pala-ace. »
F.S
Le Département de Loir-et-Cher va inaugurer un « Espace Michel-Delpech »
Lors des vœux aux personnalités de Loir-et-Cher le 11 janvier dernier, Maurice Leroy a annoncé qu’un « Espace Michel-Delpech » serait prochainement inauguré dans l’enceinte de l’hôtel du Département.
Des personnalités comme s’il en pleuvait. Des stars locales et internationales aussi : Ludo le fou, l’homme aux 41 triathlons ironam consécutifs réalisés l’été dernier à Vendôme. Marie-Amélie Le Fur, athlète paralympique plusieurs fois médaillée. Frédéric Saussay, quadri-amputé des membres, qui va participer aux prochaines 24 Heures du Mans sur prototype. Françoise Delord, fondatrice du zooparc de Beauval (1,1 million de visiteurs en 2015), etc. Les 600 places de la Halle aux Grains de Blois pleine à craquer, plus le hall où allait se dérouler le cocktail, avec une retransmission vidéo devant un parterre débordant de retardataires. La sono diffusait discrètement des chansons de Michel Delpech, le plus loir-et-chérien des chanteurs de Courbevoie. Maurice Leroy, après un longue séance de poignées de mains à ses invités comme pour un mariage, pouvait entrer, et les vœux du Conseil départemental commencer.
Dans son discours de vœux, le président du Département a tour à tour convoqué Victor Hugo, André Malraux, Winston Churchill, le géographe très en vogue Christophe Guilluy (dont on peut lire une interview dans le sulfureux et utile mensuel Causeur), chantre des « périphéries » des petites villes moyennes et zones rurales, les « nouvelles fractures françaises ». Et même – mais qui l’a noté ? – des accents gaulliens époque Algérie française : « Je le dis aux Loir-et-Chériens : nous ne vous abandonnerons pas ! Jamais ! » On connaît la suite…
L’Espace Michel-Delpech
Il a fustigé comme on pouvait s'y attendre les baisses de dotations de l’Etat depuis 14 ans, qui coûtent 282 millions d’euros au Loir-et-Cher, face à François Bonneau, président de la Région Centre – Val de Loire étonnement présent dans l’assistance avec certains des conseillers nouvellement élus (Marc Gricourt, JP Charles, Audrey Rousselet, Pascal Usseglio secrétaire départemental du PS, etc.). Maurice Leroy espère « que l’avertissement très sérieux donné à la majorité sortante réélue à 0,75 points portera ses fruits et permettra d’ouvrir enfin un dialogue avec les six Départements de notre région. Je le souhaite et je le demande».
Avant que les invités happy few ne se ruent sur le buffet des saveurs préparées par des artisans et producteurs locaux, Maurice Leroy a appelé, en 2016, à « aller à la rencontre les uns des autres (…) Appuyons-nous sur les acteurs locaux pour innover, proposer, faire avancer notre Loir-et-Cher ! C’est par le bas que nous arriverons à faire avancer les choses».
Mais auparavant il a lancé, après une rétrospective sur fond de « on dirait qu’ça t’gêne de marcher dans la boue », le scoop de son avant-dernière soirée des vœux (avant l'entrée en vigueur en mars 2017 de la loi sur le non-cumul des mandats) : pour rendre hommage au chanteur charmeur disparu le 3 janvier dernier - et en accord avec la famille du défunt - M. Leroy a annoncé que la galerie du cloître de l’hôtel du Département serait prochainement baptisée officiellement : Espace Michel-Delpech. « Ce s’ra bien, ce s’ra chouette, et l’on reparlera, des histoires du passé, chez Laurette »…
F.S
François Mitterrand expliqué à ma fille
Deux jours avant Noël, je t’ai emmenée au cimetière des Grand’maisons, à Jarnac, voir la tombe de François Mitterrand. Je vois déjà les sourcils des lecteurs se soulever en un mouvement brusque d’étonnement. « Mais que diable allait-il faire là-bas, avec une môme de 4 ans ? » Des photos, tout simplement. Un confrère non Charentais qui voulait faire un papier sur la personnalité complexe et aux multiples facettes de l’ancien président de la République, m’avait demandé si je pouvais passer dans ce lieu de pèlerinage socialo-républicain. C’était même un peu moi qui le lui avait proposé, enfin bref je m’étais dit que ça ferait une occasion de balade dans cette cité assoupie au bord du fleuve Charente. A quelques jours de la date anniversaire de son décès, ça pouvait avoir un charme provincial désuet qui n’est pas pour me déplaire.
Nous sommes passés entre les chais de cognac, reconnaissables à leurs murs noircis par le fameux champignon issu de l’évaporation des eaux-de-vie à travers les fûts de chêne : la part des anges (1). Quand j’ai ouvert la portière de la voiture, une forte odeur de résidus de raisins en pourriture m’a sauté au nez. Et toi tu as dit : « hum ! ça sent bon ici ! » Tu avais déjà marqué un point de Charentaise que tu n’es pas, mais que tu apprendras à devenir.
Puis nous sommes entrés dans le cimetière, aux allures de jardin tranquille, paisible, dans la quiétude et la douceur d’une après-midi de décembre qui ressemblait plus à un début d’automne. A quelques mètres de l’entrée, dans la partie nouvelle du cimetière, un fossoyeur, dont la moitié du corps se trouvait dans le caveau qu’il était en train de creuser, tapait la discute avec un couple de gens âgés, mais pas encore trop, suffisamment pour se sentir visiblement très concernés par l’endroit. Je ne me suis pas rendu compte que tu chantonnais les refrains de Noël du CD qu’on écoutait en boucle depuis trois semaines. Je t’ai dit : « chuuut ! moins de bruit ! c’est un cimetière ici ! » Et toi, sans te démonter, tu as répondu : « ah bon ? pourquoi ? Et alors ? » Oui, c’est vrai ça, pourquoi ? A dire vrai ce ne sont pas les locataires d’en dessous que ça va déranger et qui vont s’en plaindre…
Nous avons suivi les panneaux indiquant la tombe que nous allions voir, celle de François Mitterrand, c’est très simple, c’est fléché. Nous avons tourné dans une allée plus ancienne, près de grands cyprès, et nous avons avancé jusqu’à l’endroit. « C’est là », j’ai dit. « Là quoi ? » as-tu répondu. « C’est là la tombe que je voulais voir, pour la prendre en photo ». Ca faisait longtemps que je n’y étais pas venu, environ quatorze ou quinze ans. La dernière fois, les deux gars que j’avais emmenés avaient ensuite raté leur train car j’avais mal calculé le temps pour revenir de Jarnac. Nous avions ri de cette farce élyséenne. Puis j’ai sorti l’appareil photo et j’ai shooté discrètement, avec une force tranquille, la tombe de François Mitterrand. Tu m’as demandé qui c’était, vu que la veille, déjà, je t’avais emmené dans un autre cimetière voir la tombe de tes arrières grands-parents, mes grands-parents. Je t’ai dit que c’était la tombe de François Mitterrand, un président de la République, que c’était un peu compliqué pour ton âge, mais qu’un jour tu comprendrais. J’ignore si la réponse t’a satisfaite, mais elle ne t’a pas déplu non plus. Et puis j’ai eu cette idée saugrenue, vu qu’il y a un banc en pierre en face du caveau, de caler le Nikon sur la sacoche de rangement et d’armer le retardateur, pour se prendre en photo devant la tombe de Mitterrand. Drôle d’idée quand j’y repense en vérité, moi qui n’ai pas une affection outre mesure ni outre-tombe pour le personnage, malgré le point commun d’avoir été, à environ un demi siècle d’écart, élève dans le même collège (Saint-Paul d’Angoulême). Je me suis aussi souvenu que, le lendemain de sa mort le 8 janvier 1996, alors jeune étudiant en histoire à Paris en Sorbonne, je m’étais spontanément rendu avenue Frédéric-Le-Play signer un livre de condoléances, « au nom des anciens élèves du collège Saint-Paul d’Angoulême », en songeant à tout ce qu’il avait pris dans la figure par les jeunes gommeux de droite mal dégrossis que nous étions alors…
Le retardateur a fait son boulot, j’ai doublé la photo « au cas où » et je t’ai photographiée aussi devant le caveau. En regardant le résultat ensuite, sur l’écran de l’ordinateur, je m’aperçois que sans faire exprès je tire une tronche un peu comme lui, bouche pincée et les yeux plissés ; et toi tu affiches un grand sourire comme si on allait faire des tours de manège. Tu as alors dit : « tu le connaissais ce monsieur ? » et je t’ai répondu « non, pas directement, enfin si un peu ; je l’ai vu à la télé. » Puis je t’ai dit : « Il n’était pas vraiment socialiste et pourtant il en fut probablement son principal fossoyeur ». Tu m’as fixé et tu as dit, très sérieusement : « on y va ? » J’ai regardé une dernière fois l’intérieur du caveau et on est parti. Comme ça ne t’avais pas coupé l’appétit, arrivé à la voiture tu as goûté. Et moi, songeur, j’ai compté les grains de raisins secs des tranches de panettone que tu étais en train d’engouffrer joyeusement. Je songeais aussi que pour beaucoup de ceux qui avaient rêvé d’une vie en rose au lendemain du 10 mai 1981, les raisins de la colère avaient eux aussi été rapidement bien secs.
Vingt ans après sa mort, on en est toujours au même point.
F.S
- En réalité et moins poétique, le torula compniacensis, un champignon microscopique qui se nourrit, le veinard, des vapeurs d’alcool.
La BD est-elle misogyne ?
L’auteur Riad Sattouf avait demandé à être retiré de la liste des prétendants au Grand Prix du 43e Festival de Bande dessinée d’Angoulême (FIBD). Il dénonçait l’absence de femmes dans la liste des nominés. Le Festival a plié et va faire machine arrière.
Face à la polémique qui ne cessait d’enfler, le Festival de la Bande dessinée d’Angoulême a fait savoir mercredi 6 janvier dans la soirée par un communiqué de presse qu’il va, « sans enlever aucun autre nom, introduire de nouveau des noms d'auteures dans la liste des sélectionnés du Grand prix 2016 ». Comment en est-on arrivé là ?
Riad Sattouf, auteur de L’Arabe du futur (Fauve d’or au 42e FIBD en 2015) avait lancé un coup de crayon dans la mare mardi 5 janvier. En découvrant la liste des prétendants au Grand Prix, il avait constaté qu’aucune femme dessinatrice ne se trouvait parmi les 35 de la short list. Il a alors demandé le retrait de son nom dans cette liste. Le Grand Prix du FIBD récompense en effet la carrière d’un auteur et son oeuvre (1), et permet d’entrer définitivement dans la postérité du monde de la BD, fortement concurrentiel. En trente ans d’existence, seule Florence Cestac en 2000 a obtenu l’équivalent de ce « César d’honneur » du monde de la BD. Claire Brétecher avait obtenu un prix spécial « 10e anniversaire » en 1983, pour fêter les dix ans du festival. Et c’est tout.
Le collectif des créatrices de bande dessinée n’avait pas tardé à dégainer les fourchettes caudines : aucune femme sur la liste ? Elles se sont pratiquement étranglées : « Nous nous élevons contre cette discrimination évidente, cette négation totale de notre représentativité dans un médium qui compte de plus en plus de femmes. » Un prix aux impacts non négligeables dans une carrière, selon elles : « Ce prix n’est pas seulement honorifique, il a un impact économique évident : les auteur(e)s vont être mis en avant médiatiquement, la distinction aura un impact sur la chaîne du livre dont bénéficieront libraires, éditeurs… et l’auteur(e) primé(e) ». Le collectif appelait au boycott pure et simple du scrutin.
Alors pourquoi cette cruelle absence des femmes auteures dans la sélection initiale du Grand Prix 2016 ? Selon le directeur de BD Boum, « On est dans la boulette, je ne vois que ça. Après, chaque année il y a des polémiques autour du festival d’Angoulême, d’autant plus depuis que l’académie du Grand Prix a été évincée il y a quelques années (2). On peut se poser la question de savoir qui prépare cette sélection. A BD Boum, le jury est composé de 3 membres de l’organisation du festival, des journalistes et les anciens Grands Boum ; un fonctionnement plus proche de l’ancienne académie d’Angoulême ». N’y aurait-il pas aussi de fortes pressions des éditeurs sur la manière de sélectionner les albums prétendants au Grand Prix, quand on sait les retombées d’une telle récompense ? « Tous les ans on en parle, certains éditeurs sont très présents dans la short list, Cornelius pour ne pas le nommer l’année dernière. Je ne sais pas si on peut voir de la polémique partout… » ajoute Bruno Génini.
Joann Sfar, Charles Burns, Daniel Clowes, Etienne Davodeau avaient décidé d’emboiter le pas de Riad Sattouf, faisant monter la mayonnaise à grande vitesse. La direction du festival a plié. Il y aura bien des auteures prétendantes à ce prestigieux prix.
En 2015, 6 auteures avaient été sélectionnées parmi les 35 albums en course pour le Grand Prix. 4 sur 32 en 2014. 3 sur 32 en 2013. En 2015, le Grand Prix a couronné le Japonais Katsuhiro Otomo, qui présidera la 43e édition du festival angoumoisin, du 28 au 31 janvier.
F.S
- André Franquin avait reçu le premier Grand Prix. Ont été inscrits au palmarès des auteurs comme Moebius, Wolinski, Fred, Art Spiegelman ou Bill Watterson.
- Il a été remplacé il y a deux ans par un collège de 3.000 votants, qui représente l’ensemble des auteur(e)s de bande dessinée professionnel(e)s.
PS : le titre auquel vous avez échappé : "A la BD d'Angoulême, Sattouf veut qu'il y ait plus de touffes". Ouf !
Michel Delpech, "quand j’étais chanteur"
L’artiste est décédé des suites d’un cancer, dont il souffrait depuis 2013. Il était familialement lié au Loir-et-Cher, dont il avait chanté le charme si tendrement désuet en 1977.
Michel Delpech est mort et avec lui le Loir-et-Cher perd, à son corps défendant parfois, son plus bel ambassadeur. Sa chanson titre, sortie en 1977, colle à la peau des Loir-et-Chériens aussi sûrement que le sparadrap du capitaine Haddock. « Ces gens-là ne font pas de manières » comme le dit la chanson n’ont pourtant que très peu goûté ce tube très seventies, époque moustaches et chemises à cols pelle à tarte. En voilà bien des manières au passage ! Etait-ce à cause du refrain, « On dirait qu’ça t’gêne de marcher dans la boue » ? Ou bien est-ce parce que celui qui passait autrefois ses vacances chez ses grands-parents à Dhuizon ou chez un oncle et une tante à la Ferté-Saint-Cyr n’avait « jamais eu grand-chose à leur dire » ? Les Loir-et-Chériens, peut dissertes sur eux-mêmes, timides et réservés, jaloux de leur triptyque Beauce-Loire-Sologne aussi sûrement que d’une Trinité de Roublev, ne l’avoueront jamais. Plutôt mourir, et c’est bien dommage.
Autodérision
C’est à la faveur d’un échange estival lors de cette fichue année 2015 « loin, d’ici » comme le dit une de ses chansons, que nous est venue, in fine, la réponse possible. Michel Drucker venait d’annoncer quelques semaines plus tôt que son ami Michel Delpech allait mal, très mal, et qu’il « ne passerait pas septembre ». On devisait, à l’heure de l’apéro, sur le chanteur emblématique des années 70, dont beaucoup – à commencer par l’auteur de ces lignes – avaient été bercés par ses mélodies entrainantes, entêtantes pour certaines, sonnant toujours juste. « C’était bien, c’était chouette... »
Un ami, par ailleurs chasseur et grand amateur de la chanson éponyme de Michel Delpech, nous dit alors, en évoquant la chanson « mal aimée » du Loir-et-Cher : « c’est parce que tes péquenauds n’ont pas compris qu’avec un peu d’autodérision ils pouvaient justement sortir de leur condition de culs-terreux » (sic). C’était dit sans hargne ni haine ni violence, juste avec ce qu’il faut d’ironie amicale so british, entre deux saucisses sur un barbecue et quelques verres de rosé du pays d’Oc. Naturellement, n’étant pas Loir-et-Chérien, « la distance qui nous protège de nous même » pour paraphraser Antonin Artaud nous aida à apprécier la fulgurance. Mais cela nous laissait perplexe, quand même…
J’les aime depuis toujours !
Une « chanson de péquenaud sur des péquenauds » donc. Diantre ! Comment allait-on leur dire ça, sans se prendre un coup de pied au cul beauceron ou une volée de plombs solognots dans le jarret ? Mais enfin c’était peut-être ce qu’il avait voulu dire, Michel, avec sa moustache des années 70 qui le faisait ressembler à un petit cadre bancaire, en pantalon de tergal, et cravate lie de vin sur chemise à col pelle à tarte. C’était peut-être une façon de dire, pour celui dont les racines familiales sont enterrées dans la boue et sous le marbre du cimetière de Dhuizon : « avec un peu d’humour, vous pourrez vous en sortir ». Sortir de votre trou quoi. Notez le contraste entre la magnificence des châteaux de Blois, Chambord, Cheverny, Chaumont et Villesavin, Beauregard et Fougères, les rois et reines, princes et hobereaux qui les peuplèrent ; et le peuple d’aujourd’hui, un peu coincé, un peu engoncé sur place par ce maudit complexe d’infériorité et cette réserve maladive qui fait perpétuellement se comparer un habitant de Loir-et-Cher avec ses « rivales » Tours et Orléans, pas beaucoup plus glamour pour autant.
En se considérant un peu plus avec fierté, les habitants du Loir-et-Cher, « ces gens-là qui ne font pas de manières », pourraient peut-être se consoler, non ? Tiens en écoutant Michel Delpech par exemple. « Je n’ai jamais eu grand’chose à leur dire mais j’les aime depuis toujours. » Vous avez entendu ? « J’les aime depuis toujours » !
Ah ! Quand on a que l’amour…
Michel Delpech en quelques dates :
26 janvier 1946 : naissance à Courbevoie.
1964 : premier 45 tours Anatole sort chez Vogue.
1965 : participe à la comédie musicale Copains Clopant et décolle vraiment avec Chez Laurette.
1966 : mariage avec Chantal Simon (Ils auront deux enfants : Garance et Barthélémy avant de divorcer en 1976). Fait la première partie de Jacques Brel à l’Olympia.
1970 : Pour un flirt.
1973 : Les Divorcés, Que Marianne était jolie. 1974 : Le Chasseur. 1975 : Quand j’étais chanteur.
1977 : Le Loir-et-Cher.
S’en suit une grande période de doutes et de dépression.
Revient sur la scène en 1985 après sa rencontre avec Geneviève Garnier-Fabre, et sort l’album Loin d’ici. Plusieurs albums sortiront régulièrement. De son second mariage naît un fils, Emmanuel, en 1990.
2004 : l’album Comme vous lui permet de se produire aux Francofolies de La Rochelle et aux Festival des Vieilles charrues.
Depuis février 2013 Michel Delpech souffrait d’un cancer. Après une rémission en 2014, il s’est éteint dans la soirée du 2 janvier 2016 à l’hôpital de Puteaux (Hauts-de-Seine).