Je t’écris cette lettre… (drôle de guerre)
21 Mars 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #Lettres à ..., #drôle de guerre
À ma fille
C’est le week-end. Demain, c’est dimanche. Nous aurions dû, normalement, nous voir et être ensemble. Mais cette maudite crise épidémique du Covid-19 coronavirus nous empêche, cette fois-ci, de nous retrouver. Vendredi soir, j’aurai dû – et j’aurai pu puisque pour l’instant rien ne nous en empêche - prendre ma voiture et parcourir les 100 km qui me séparent du lieu de rendez-vous, avec ta maman qui elle aussi aurait fait la moitié du chemin. Nous serions rentrés heureux et joyeux de nos retrouvailles, comme à l’accoutumée. En temps normal, tu m’aurais demandé « qu’est-ce qu’on va faire ce week-end ? » et je t’aurais probablement répondu, vu la météo, « nous irons pêcher samedi après-midi ». J’aurais entendu ton exclamation de joie, car tu aimes beaucoup la pêche et moi aussi, ces après-midis au bord de l’eau, près du pont, à « taquiner le goujon ». Nous serions peut-être rentrés bredouilles, mais avec ta chance nous aurions sûrement accroché une ablette à notre hameçon, et vécu sans aucun doute quelques aventures, ou démêlé le fil de ta canne (ou la mienne !) pris dans des branches… J’aurais un peu pesté, mais pas trop : la pêche doit rester une école de patience, de mouvements comptés, et de silence.
Nous avons décidé de sursoir à ce week-end. L’inquiétude, face à cette crise sans précédent pour chacun d’entre nous, la peur te gagnent aussi, naturellement. Comme beaucoup d’enfants de ton âge, tu as parfaitement intégré que tu pouvais être porteuse de ce satané virus, ne pas en souffrir toi-même, mais le refiler à quelqu’un. C’est dur, à ton âge, de porter cette enclume au dessus du crâne. Quand j’avais ton âge, au début des années 80, c’était le péril d’une possible 3e guerre mondiale qui nous planait au dessus de la tête, et les images des journaux télévisés me hantaient parfois la nuit, où je voyais des manœuvres de chars soviétiques aux portes de l’Europe, des missiles braqués vers l’ouest – c’est-à-dire vers chez nous – des morts par centaines en Iran-Irak, Afghanistan, des coups de mentons et démonstrations de biceps entre les États-Unis et l’URSS, comme on disait à l’époque. J’avais peur, vraiment, mais finalement celle-ci restait à distance. Désormais elle est non seulement ici, mais son venin mortifère s’insinue dans nos veines, dans nos haleines, dans nos souffles de vie qui peuvent devenir pour les plus fragiles des souffles de mort.
Il conviendra, le moment venu, de réfléchir à tout cela, de « récapituler la situation » comme on dit, de philosopher sur tout ce que cela peut bien vouloir dire, et davantage encore ce que nous devrions changer ensuite dans nos comportements humains. Le moment n’est pas venu, nous vivons d’abord les évènements jour après jour. Demain ? On verra…
Aujourd’hui, tu me manques. Je m’inquiète pour toi même si je sais que tes conditions de vie sont bonnes et que maman fait tout ce qu’il faut pour toi. Je regrette d’être si loin pour ne pas pouvoir plus facilement faire l’échange, mais pour l’instant c’est probablement mieux ainsi. Pour éviter de m’effondrer, je songe que je pourrais être à la guerre, loin, au front, ou en opération, comme ces militaires de la caserne d’Infanterie de marine près de chez moi, dont j’entends parfois les chants des escadrons résonner jusqu’à ma rue, quand le vent les porte. Moi qui regrette parfois de ne pas avoir fait carrière chez les « paras », me voilà servi. Mais je suis comme tout le monde : confiné, cloué au sol, et je ne sais pas si je pourrais te voir le prochain week-end, ou s’il faudra attendre encore. Bien sûr d’autres vivent des séparations plus longues à la fois dans le temps et les kilomètres. Mais pour tenir, je me dis que je suis moi aussi au combat – puisqu’on nous parle de guerre - et que nous nous reverrons quand la paix sera revenue. Avec la liberté qui l’accompagne…
Hier je t’ai posté, comme chaque semaine, une lettre. J’ai appris le soir même que La Poste ne travaillerait pas samedi, ce qui retarde davantage le moment où tu la recevras. Cela m’attriste mais là aussi il faut faire preuve d’adaptation. J’imagine ta joie quand tu en découvriras son contenu. Si j’avais dû y mettre tout l’amour que j’ai pour toi, un colis de plusieurs centaines de kilos n’aurait pas suffit. Il faudrait un convoi exceptionnel pour te l’acheminer.
Je t’embrasse fort comme je t’aime, mais de loin, car ce satané virus nous attaque là où nous sommes à la fois les plus faibles, et les plus forts : l’amour et l’affection que nous avons les uns pour les autres, malgré tout.
Drôle de guerre. Putain de guerre !
A bientôt je l'espère.
Ton papa
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