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Le jour. D'après fred sabourin

Petite musique de nuit

12 Novembre 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« Ma fille, ma petite, ma porcelaine, toujours je t’imagine brisée ». Pierre Desproges, Aventures du mois de juin (suite).

Petite musique de nuit

Souvent quand elle est là, à la tombée du jour, il repense à ses premières années, quand ils se calfeutraient dans le cocon douillet du petit deux pièces-cuisine qu’il occupa pendant cinq ans, à ses inquiétudes qu’elle n’exprimait pas mais qu’il lisait dans son regard, la nuit approchant. Alors il allumait les lampes, n’ayant jamais aimé les ampoules qui font tomber du plafond une lumière blanche, d’hôpital, une lumière froide qui écrase les corps et lisse les cœurs. Il glissait dans le lecteur CD son disque préféré, composé de berceuses et de chansons douces dont les textes anciens sur des mélodies modernes la réconfortaient. Tous deux finirent par les connaître par cœur. Après le bain, il rangeait les jouets encore un peu humides dans leur boîte et il voyait, préparant le dîner dans la cuisine ouverte sur la grande pièce principale, briller ses yeux. De fatigue, d’inquiétude, de joie mêlées. Elle jouait encore un peu sur le tapis du salon-séjour-bureau-chambre pendant qu’il mettait le couvert – ses couverts en plastique avec une souris grise sur fond vert dessiné dedans pour elle, une grande assiette en grès de Provence pour lui. Dès que prêts, sans tarder, ils  passaient à table, peu après sept heures du soir. Il allumait les bougies, ajoutant de la chaleur dans l’appartement, tandis que dehors l’épaisseur sombre de la nuit, déchirée par les lampadaires de la rue qui faisaient des taches orangées près desquels gravitaient quelques éphémères, finissait son travail de sape d’un jour qui s’achève. Demain en sera un autre, pensait-il souvent. Pour elle la nuit semblait si longue, presque douze heures, comme une demi-journée… Puis, après l’histoire racontée en y mettant le ton, on entendait le cliquetis de la clé mécanique remontant le ressort de la boîte à musique ; la danseuse jaillissait alors de sa boîte au son de la mélodie du film Roméo et Juliette. Il éteignait la lumière en lui caressant délicatement la joue, murmurant : « bonne nuit, bichette ». Elle s’endormait parfois avant que la danseuse n’ait terminé ses tours de piste dans la boîte rose bonbon, cadeau pour ses deux ans.
 

Quelques dizaines de minutes plus tard, quand la nuit étouffait progressivement tous les bruits de la ville, peu avant d’aller se coucher à son tour, à pas feutrés il venait et il vient encore aujourd’hui écouter dans le silence épais sa musique préférée. Une petite musique de nuit. Un léger souffle de vie, dans le sommeil profond. Il entrouvre la porte, doucement car craignant toujours de la réveiller, et entre dans la chambre sur la pointe des pieds. Seule la lumière du couloir éclaire un peu la pièce, où flotte l’odeur du repos. Là, dans son lit, sous la couette imprimée de fleurs sauvages et d’oiseaux des îles, les bras souvent levés par dessus la tête ou en croix, elle dort. Peu à peu ses yeux s’habituent à l’obscurité, et il aperçoit les siens lourdement fermés, comme scellés d’une pâte épaisse qu’on croirait désormais impossible à rouvrir. Il écoute, muet, le souffle profond du sommeil de l’enfant. On dirait le ronronnement d’un petit animal craintif, mais aussi celui d’un navire sûr de lui qui fendrait l’océan, brisant de son étrave tranchante les abysses inquiétantes, là, juste en dessous, peuplées de monstres marins. Réminiscences, qui sait, de son propre sommeil lorsqu’il était enfant : comment s’en souvenir désormais ? Cette respiration métronomique, parfois légèrement arythmique par une inspiration plus longue, plus forte, plus profonde, comme une rafale de vent soudaine qui va se perdre au loin dans des arbres, au dessus de l’eau, avait et a toujours quelque chose de réconfortant. Elle vit. Elle dort. Elle prend et reprend des forces. Il se tient debout, là, dans la pénombre, et voudrait que cet instant d’éternité suspendue ne retombe jamais. Ses pensées se perdent au milieu des rêves de l’enfant qui s’éparpillent dans la petite chambre aux murs jaunes, où seuls deux chaussons négligemment jetés viennent perturber le bel ordonnancement. Il sourit. Une fois, peut-être deux, il sécha une larme pointant au coin de l’œil, dans l’ombre, qu’il n’avait pas vue venir. Pensif, il recule à pas comptés jusqu’à la porte qu’il referme doucement, sans la clore complètement, « au cas où » se dit-il. Un rayon de lumière passe à travers l’interstice. Il reste debout encore quelques instants dans le couloir, et se dit en lui-même, ressuscité par ce souffle : « Tu es ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage ? ».

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L’automne : la saison des peaux mortes

3 Novembre 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

- Nature morte -

- Nature morte -

Celles qu’on laisse derrière soi comme on vide un vieux cendrier, comme on jette un vêtement trop longtemps porté et dont on s’était mille fois promis de s’en débarrasser. Beaucoup disent que l’automne est leur saison préférée, alors qu’ils ne supportent pas, en temps normal, la mélancolie. Elle est inhérente à la l’automne, comme une sœur jumelle. La lumière rasante, les feuilles mortes que l’on piétine alors qu’elles ont passé l’été à nous faire de l’ombre en nous rafraîchissant, les brumes électriques matinales et la chute parfois brutale des températures : tout cela ne signe-t-il pas « le petit bonheur d’être triste » selon la définition d’Hugo ?
 

Ici, l’herbe jaunit comme d’anciennes photos trop longtemps exposées. La montagne se vide et même les vautours semblent préparer leurs valises. L’Homme s’y fait plus rare, bien que les plus âgés viennent, une dernière fois avant l’hiver, réchauffer leur arthrose sans savoir s’ils reverront le printemps. Pour meubler le silence sépulcral des roches sans vent – qui leur fait peut-être penser à celui des cimetières où ils reposeront bientôt – ils parlent, parlent, parlent à en déchirer l’azur, et nos oreilles.
 

Le pic dressé en face nous regarde, et son doigt montre le ciel ; mieux : il le touche. En bas le lac où nous nous baignâmes quelques semaines auparavant, par une belle soirée d’été. À perte de vue les Pyrénées s’étendent, lascives, belles endormies d’une sensualité rêveuse à réveiller les morts. D’Aspe en Bigorre en passant par l’Ossau, son corps étendu à demi nu reflète le désir de se laisser admirer avant que d’être recouvert de neige, comme un linceul de soie et l’on se dit qu’on est bien mieux ici que n’importe où ailleurs. C’est une habitude que certains prennent encore – depuis le temps ! – pour une lubie. Une lubie de 25 ans est une maladie chronique.  
 

« Montagne : redressement productif de la plaine », écrit Tesson (Sylvain, encore lui !) dans un aphorisme dont il a le secret (« Aphorisme : faire pardonner par la brièveté de sa formulation l’inconsistance d’un propos »). En plein dans le mille.

L’automne : la saison des peaux mortes
L’automne : la saison des peaux mortes
L’automne : la saison des peaux mortes
- Hourquette d'Arre -

- Hourquette d'Arre -

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Mon vieux

1 Novembre 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #émerveillement

- Muet comme une carpe -

- Muet comme une carpe -

"Dans son vieux pardessus râpé, les jours de paye quand il rentrait, on l'entendait gueuler un peu, Mon vieux. Nous, on connaissait la chanson, tout y passait, bourgeois, patrons, la gauche, la droite, même le bon Dieu, avec mon vieux".
 
T'avais plutôt un loden bleu marine, un peu trop large pour moi quand je l'ai porté, il y a 17 ans déjà, l'hiver qui suivit cette funeste Toussaint 2000, un vrai temps de chrysanthèmes. En revanche, tu gueulais ça oui ! Contre à peu près tout, y compris moi. Avec le temps ça me fait même sourire un peu, mon vieux... Comment oublier cette partie de pêche d'août 85, où tu sortis une carpe de 6 ou 8 kg d'un étang près de Jarnac, avec ton moulinet qui s'est barré en quenouille au moment de la ferrer ? 45 mn de sueur et de bonheur, la gauloise au bec, inoubliable. Je mordais mes joues de rire et d'angoisse mêlés, les deux mains agrippées à l'épuisette, imaginant ta furie si tu m'avais vu me marrer, et encore plus rater la prise ! J'aurais fini à la baille. Le pire, c'est qu'elle était tellement vaseuse qu'elle fut immangeable. Qu'à cela ne tienne : "dix pêcheurs plus dix chasseurs font vingt menteurs" dit le dicton. Ce jour-là il n'y en avait plus que dix huit, car tout fut historiquement authentique. Comme ton départ brutal, ignoble et calculé, quinze ans plus tard, me laissant muet comme une carpe.
 
Le temps, comme un vieux pardessus râpé, fait son boulot, mon vieux...
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