Le 42e FIBD d'Angoulême en images
- Expo Jiro Taniguchi (Vaisseau Moebius, Cité internationale de la BD) -
- Expo Calvin & Hobbes (Bill Watterson) -
- Emmanuel Lepage en pleine séance de dédicace -
- Expo "Nos armes" au Vaisseau Moebius CIBD -
- Marche des auteurs, parvis de l'hôtel de ville -
- Pas toujours été "tous Charlie" les confrères... -
Charlie Hebdo, liberté d'expression : vers un nouvel impérialisme ?
La publication d’une nouvelle caricature de Mahomet en Une de Charlie Hebdo du 14 janvier suscite de vives et violentes réactions de part le monde. La liberté d’expression de l’hebdomadaire satirique a-t-elle dépassé une limite qui pourrait coûter très cher à la nation qui l’a engendrée ?
Charlie Hebdo et sa liberté d’expression imposeront-ils un nouvel impérialisme de la pensée à travers le monde ? C’est la question qu’on peut se poser en regardant les – très vives – réactions à la parution du numéro « des survivants » du 14 janvier dernier, dont la Une montre nouvelle caricature du prophète Mahomet.
A l’heure où nous écrivons ces lignes (les 17 et 18 janvier), le tour de la planète des réactions donne des frissons… Selon l’AFP, « Des milliers de personnes ont manifesté dans le monde musulman contre la une de mercredi. Le Centre culturel français de Zinder et trois églises ont été incendiés. Cinq personnes sont mortes, et quarante-cinq blessées, ce vendredi à Zinder au Niger, dans des manifestations contre la une du nouveau numéro de Charlie Hebdo. Parmi les victimes, trois civils. Le Centre culturel français de Zinder a par ailleurs été incendié, et trois églises saccagées par les manifestants (…) Des milliers de personnes ont manifesté vendredi, jour de prière, dans l'ensemble du monde arabe. »
Au Pakistan, en Mauritanie, à Alger, à Dakar, à Istanbul, à Amman, sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem-Est, à Kartoum (Soudan), au Qatar, en Iran et en Syrie, des manifestations plus ou moins fortes ont eu lieu, avec pour fil conducteur l’indignation contre les nouvelles caricatures du prophète.
A la lumière des Lumières
Tout le monde est-il « Charlie » ? Visiblement pas, en dépit des 3,5 millions de personnes descendues dans les rues de France et de Navarre le 11 janvier dernier (et plusieurs milliers dans le monde entier), donnant l’impression – probablement exagérée et de circonstances – d’une unité nationale et internationale, au regard de la présence de nombreux chefs d’Etat et représentants de pays étrangers boulevard Voltaire autour du Président François Hollande. Dont certains d’entre eux provenant de pays où la liberté d’expression n’est pas toujours de mise, c’est le moins que l’on puisse dire…
La liberté d’expression, un nouveau culte laïque qu’auraient caricaturé et tourné en ridicule eux-mêmes les membres défunts de Charlie Hebdo ! Ce culte ne semble pas partagé par tous, loin s’en faut. Fallait-il faire une nouvelle Une en caricaturant le prophète, déjà la cause du massacre de ces jours derniers ? Peut-être – il ne faut rien céder au terrorisme, à la peur, à la barbarie des menaces - mais on peut désormais de se poser des questions sur les acteurs de cette liberté d’expression (de Charlie Hebdo jusqu’au sommet de l’Etat en passant par tous ceux – et j’en suis – qui ont dit spontanément « je suis Charlie ») ; et de ce que nous imposons au monde, qui lui ne semble pas tout à fait raccord avec cette belle idée. Pour apprécier la caricature, dit une professeur de lettre dans une admirable adresse à ses élèves (« Mes chers élèves… », par Fanny Capel, professeur de lettres. Télérama), il faut être instruit, lire, écrire, critiquer, penser, faire fonctionner sa raison autant que son savoir. Se mettre à l’abris des philosophes des Lumières implique qu’on les connaissent, qu’on les ait lus, que des gens nous les aient expliqués, à la lumière – justement – de la raison pour en apprécier la valeur fondamentale, la substantifique moelle, comme le sang irrigue tout un corps : la liberté d’expression.
Un fanzine de potache
S’il ne faut pas ployer sous les menaces de mort des terroristes diligentés par Al-Quaïda, Daesh et pas mal d’autres personnes de nations qui se revendiquent musulmanes, il convient de regarder de près qui est réellement « Charlie » et qui ne l’est pas. Or seule l’Europe, occidentale – et notamment la France – qui trouve là une occasion inespérée de se refaire une santé alors que le corps européen était à l’agonie économique, morale et culturelle ; et l’Amérique du Nord, sont « Charlie ». Sans l’avoir vraiment déjà ouvert avant le 14 janvier, faut-il le rappeler. Le reste du monde semble plus circonspect quant à cette manière d’user de la liberté d’expression, dont l’humour, l’ironie, la dérision, le cynisme, la satire sont des valeurs à géométrie variable selon le côté du stylo où on se trouve.
Charlie Hebdo jusqu’au 7 janvier, c’était 30.000 exemplaires en kiosque, et selon ses membres, « un fanzine de potaches. » Il est annoncé à 7 millions d’exemplaires après s’être déjà vendu à 2 millions d’exemplaires en trois jours. Record total en matière de publication de presse papier, laquelle est par ailleurs en soins palliatifs. Faut-il s’étonner que le monde entier découvre désormais ce qui était jusqu’ici plutôt confidentiel et presque invisible ? Les très vives réactions dans les pays sus-cités prouvent à quel point nous venons de mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait bien se retourner contre nous et cette libre expression ardemment défendue (à juste titre)…
Pourquoi toutes ces réactions de part le monde contre ce journal, ce « fanzine » de sympathiques potaches libertaires, derniers survivants d’une époque post-soixante-huitarde qui n’en finit pas de mourir ? Ce qui est considéré comme une nouvelle provocation sera-t-il le début d’une lutte contre un nouvel impérialisme de la pensée, après celui, plus ancien et Ô combien combattu, de l’économie ?
La valeur de la vie
Il serait temps que l’occident oxydé et si sûr de ses valeurs réfléchisse à ce qui est en train de se passer, en se posant non seulement les bonnes questions, mais en prenant garde d’imposer au monde par la force, par le rire et la caricature des valeurs considérées possiblement universelles mais portées par une minorité de la population mondiale. Il faut réfléchir vite mais bien, dans l’union nationale si on y parvient, avant que d’autres terroristes ne passent à l’action avec ce coup d’avance propre aux joueurs de dames qui ont les « blancs ».
Provoquer c’est bien. Caricaturer aussi. Penser librement également. Et ce n’est pas sur ce blog qu’on vous dira le contraire. La liberté d’expression, je couche avec, il m’en a déjà coûté, il m'en coûtera encore. Ouvrir les yeux et sortir du déni ça serait pas mal non plus… Des vies pourraient concrètement être épargnées, c’est une belle valeur aussi ça, non ?
La France découvre l’existence des journaux en papier et des kiosquiers (Legorafi)
Chers amis lecteurs du blog "Le Jour, d'après..." : je ne résiste pas à l'immense plaisir de vous faire partager cet excellent article de nos confrères du Gorafi.fr
France – Plusieurs centaines de milliers de témoignages concordants confirment l’existence de petites boutiques qui vendraient des journaux en papier avec des informations imprimées dessus avec de l’encre. On soupçonnait leur existence, d’autres affirmaient qu’ils avaient disparu. Les kiosquiers ( /kjɔs.kje/ ) et les journaux en papier existent donc bel et bien. Et cette confirmation d’existence s’est propagée comme une traînée de poudre dans toute la France, entraînant des belles grosses queues devant les kiosquiers. Nombreuses et nombreux étaient celles et ceux qui voulaient de leurs yeux voir et toucher pour la première fois un papier imprimé ou simplement parler à un kiosquier ou un marchand de journaux. Marie, 21 ans, a acheté ainsi un journal en papier dans un kiosque, une petite boutique en verre installée sur une place et vendant plusieurs autres journaux, eux aussi tous en papier. « Je ne savais pas ce que c’était, c’est très doux au toucher » raconte la jeune femme, émue, en caressant le papier du journal. « Il n’avait plus Charlie Hebdo mais j’ai réussi à acheter d’autres journaux, c’est fou, je n’imaginais qu’il y avait autant de titres et de revues différentes » affirme-t-elle. Un jeune homme souligne quant à lui l’impact profond que pourraient avoir les journaux papiers. « C’est une incroyable avancée. On peut aujourd’hui imprimer des informations sur du papier et les vendre dans des boutiques. En plus le papier fait un joli bruit quand on tourne les pages » ajoute-t-il tout en faisant tourner une page lentement. Selon d’autres informations qui nous parviennent, il semblerait désormais à peu près certain que ces mêmes kiosquiers vendraient d’autres journaux en papier et cela tous les autres jours de l’année.
La Rédaction
http://www.legorafi.fr/2015/01/14/la-france-decouvre-lexistence-des-journaux-en-papier-et-des-kiosquiers/
Tous Charlie, vraiment ?
- à Blois dimanche 11 janvier -
Pas de doute, la France est bien la patrie de Molière. Si celui-ci ressuscitait maintenant, il aurait matière pour une nouvelle pièce savoureuse. Je me réjouis sincèrement de l’élan d’union dominical autour de la mère patrie, son drapeau, ses symboles, sa Marseillaise, cette énorme foule innombrable descendue dans la rue pour crier qu’elle n’a pas peur et qu’elle est un peuple, aujourd’hui, « le jour d’après » (le bien nommé) il conviendrait je pense de retrouver ses esprits en gardant la tête au frais.
La France entière, suite aux attentats commis sur son sol et au massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, se réveille tout d’un coup « tous Charlie ». Et ça doit bien les faire marrer, là haut, ceux qui, justement, passaient leur temps à les caricaturer dans ce qu’ils avaient de plus ridicules parfois !
Un grand nombre de ces résistants de la dernière heure, ces millions d’hommes et de femmes qui descendent dans la rue brandissant leurs crayons et déposant des bougies (dans un rituel pagano-laïc et religieux qu’auraient sûrement conchié les dessinateurs de Charlie), n’ont pour la plupart – l’écrasante majorité – jamais ouvert le dit canard satyrique auparavant. Voire trouvaient habituellement qu’ils en faisaient un peu trop dans l’outrance et l’irrévérence. Pire : ils vont se précipiter comme des morts de faim mercredi 14 janvier dans les kiosques pour s’arracher le million d’exemplaires en vente ce jour-là, alors qu’ils ne l’ont jamais acheté jusqu’ici.
Où sont-ils donc, tous ces ardents défenseurs de la « liberté d’expression » autant que de la presse, dans le quotidien des jours sombres et des semaines grises, pour faire vivre justement cette presse dont ils semblent d’un coup si épris ? Achètent-ils les quotidiens et hebdomadaires par ailleurs sous perfusions tant la crise qui les traverse ressemble à des soins palliatifs ? Où sont-ils tous ces « Charlie » lorsqu’il s’agit de payer un contenu sur un site Internet d’information ? Où sont-ils encore, lorsqu’il s’agit de reconnaître que le travail d’un journaliste, reporter, enquêteur n’est pas un bénévolat rémunéré par des prunes et qu’il serait donc normal d’en rétribuer à sa juste valeur le contenu ? Tant de néo convertis à la liberté de la presse, franchement ça fait chaud au cœur, sincèrement, merci ! Je bondis de joie sur ma chaise et dans ma rédaction, tout en craignant les lendemains qui déchantent dès que les cendres seront refroidies, c’est-à-dire probablement dans huit ou quinze jours…
Se souviendront-ils alors, tous ces « Charlie » brandissant la liberté d’expression d’une presse libre dans un pays qui l’est tout autant, qu’hormis les journaux satyriques, l’autocensure est souvent de mise dans toutes les rédactions ? Une « liberté de la presse » régulièrement sacrifiée sur l’autel des actionnaires de grands groupes de presse, de la sainte publicité, des annonceurs légaux et des politiques de tous bords. Beaucoup de confrères s’en plaignent d’ailleurs, mais anonymement, à visage couvert et à mots feutrés, c’est dire s’ils se sentent libres... Savent-ils, tous ces nouveaux crayonneux du dimanche que dans les rédactions, il n’est pas rare qu’on invite plus ou moins poliment mais toujours fermement des journalistes à lever le stylo sur tel ou tel sujet, pour éviter de froisser tel ou tel élu, tel ou tel chef d’entreprise, telle ou telle profession règlementée dont le poids pourraient avoir des incidences sur l’avenir du journal, sous perfusion de ce qu’on nomme poliment « les aides indirectes à la presse » ?
Il y a pile un an, l’auteur des lignes de ce blog en a lui-même fais les frais, oh je vous rassure, dans une mesure fort mesurée au regard de ce qui vient de se passer. A cause d’un article (Le fait du prince) il fut durement sanctionné par une hiérarchie sous pression après avoir été exclu de conférences de presse de la part de l’élu froissé (un ancien ministre). On tapa du poing sur les tables de part et d’autres et on n’apprécia guère la liberté d’expression de ce blog, après avoir baissé pavillon sur la liberté de la presse. Pour la seule et unique fois, un article fut donc retiré du blog, dont l’audience ne dépasse guère la trentaine de consultations quotidiennes (40 les meilleurs jours !) c’est dire si la République était menacée !
Alors on sourit un peu en voyant des « Charlie » soudainement émus aux larmes pour défendre la presse satyrique alors que les mêmes étaient représentés en bien mauvaises postures dans les caricatures de nos regrettés dessinateurs. Ils doivent se retourner dans leurs tombes.
D’ailleurs, les survivants de cette boucherie ne se gênent pas pour le dire : ils s’étonnent de cet élan soudain d’amour envers eux, et « vomissent » les nouveaux adorateurs (« Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis », a déclaré le dessinateur Willem à un quotidien néerlandais). Luz, quant à lui, déclare à nos confrères de FranceTV info « qu’au final, la charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes, déplore-t-il. Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n’importe quoi. Même Poutine pourrait être d’accord avec une colombe de la paix. »
Nous verrons bien si cet élan aussi spontané que généreux de défense de la liberté d’expression se traduit dans les faits durables dans les jours, semaines et mois à venir. Je le des sincèrement : je l’espère de toutes mes forces. L’énorme mobilisation de dimanche fait vraiment chaud au cœur, un peuple, une nation debout, c’est beau. Seuls font désordre sur la photo les représentants de pays étrangers pas franchement connus pour leur liberté d’expression, de la presse et de libertés tout court.
Mais nous savons trop bien, dans notre histoire, combien ces élans peuvent retomber comme des soufflets sortant du four et combien nous sommes capables, par lâcheté, fainéantise, couardise, et surtout petits arrangements entre « amis » de rater les rendez-vous que l’histoire nous donne. « Les politiques seront-ils à la hauteur ? » s’interrogeait Régis Debay lundi matin sur France Culture. Un long silence et une profonde inspiration a valu toutes les réponses du monde.
Sinon, la tartufferie continuera son prodigieux spectacle et la mémoire de tous ceux qui ont été exécutés par les terroristes ne sera ni honorée ni respectée. Et de là haut, on les entendra sûrement rugir, eux qui étaient « contre les cons qui gagnent toujours à la fin car ils sont trop. »
- à Blois dimanche 11 janvier -
- à Blois dimanche 11 janvier -
« Mourir ? Plutôt crever ! » *
C’était au tout début des années 90. Avec quelques copains du lycée, nous avions ressuscité un des nombreux journaux dits scolaires qui avaient tenté, à leur manière, de croquer la vie pas toujours mouvementée du bahut. Le Cupidon Times succédait à Holidays, qui succédait lui-même à Graffiti.
À Angoulême, chaque mois de janvier a lieu le Festival de la Bande dessinée, une grand messe incontournable dont nous ne manquions jamais une édition. Cette année-là, un peu bravache, nous avons écrit au service presse du Festival, pour demander des accréditations en vue d’un numéro spécial BD du Cupidon Times, journal du très chic lycée Saint-Paul. Et nous les avons obtenues !
Imaginez la joie de ces quatre ou cinq ados encore bien boutonneux, avec leurs accréditations presse autour du cou, carnets à spirales sous le bras et plusieurs stylos dans la poche, « au cas où il y en ait un qui tombe en panne ! »
Sommet du Festival, la remise des Alph’arts au théâtre de la ville (les prix, équivalent des palmes cannoises). Nous y étions. J’y étais. La cérémonie était assez chiante à cette époque-là, depuis ça s’est un peu amélioré, mais il y régnait une incomparable ambiance loufoque, totalement foutraque, mélange savoureux de professionnalisme et d’esprit BD.
Ça sentait la clope, la bière tiède, la crotte de nez, le vieux cuir, la sueur et l’amitié. Il y avait des dessinateurs (et dessinatrices !) partout, dans un joyeux bordel que je ne suis pas prêt d’oublier. Un autre monde. Mais quel monde !
En me frayant un chemin dans les couloirs de ce joyeux merdier, j’avise Cabu. A moins d’avoir passé toute sa vie dans une grotte au fond des bois sans électricité ni télévision, impossible de le rater. Sa coupe au bol de Playmobil, ses petits yeux malicieux derrière des binocles : le grand Duduche, devant moi, là, seul. Timidement, je me lance : « euh… Cabu ? Euh… Une dédicace pour le Cupidon Times ? » Il se marre : « le quoi ? » « Le Cupidon Times », dis-je. « Un journal de lycée, l’ancien lycée de Mitterrand ici à Angoulême. » Et d’expliquer l’esprit du canard, son irrévérence, bien surveillée par les gardes chiourmes et censeurs du bahut.
Je sors le calepin de ma poche ; il sort son arme : un stylo. Il griffonne quelque chose, à l’envers je ne vois pas bien ce que c’est. Je lui explique qu’à cause de mes insolences, les profs me sortent de cours parfois. Il sourit, sans s’arrêter de dessiner. Puis il légende le tout et me tend le calepin. Je le remercie, et il s’en va, doucement, comme sur la pointe des pieds. Je regarde le crobard : il a dessiné un type avec une crosse et une mitre, légendé : « Moebius est devenu évêque ! » À l’époque, je ne connaissais pas bien cet auteur, je me suis rattrapé depuis. Et je me demande bien pourquoi il m’a dessiné ça, mais je me garde bien de courir après lui pour le lui demander. Mes semelles ne toucheront pas le sol pendant 8 jours. J’ai croisé Cabu. Il a été d’une gentillesse extrême. Il m’a fait un dessin pour le Cupidon Times.
Ça se passait comme ça, à la BD d’Angoulême : Cabu, Wolinski, Siné, Cavana, Vuillemin, Edika et consorts se baladaient dans les rues, dédicaçaient dans la chaleur moite des chapiteaux chez leurs éditeurs, faisaient la fête dans les bistrots. Nos bistrots, de notre ville. On était en famille, eux ressemblaient à des oncles ou des cousins un peu en marge, mais tellement drôles, attachants et surtout gentils. Ils se baladaient avec leurs armes de dérision massive : un sourire, des crayons, du papier et de l’encre.
Aujourd’hui que le sang – d’encre – a coulé dans une rédaction à Paris dans le 11e, le Cupidon Times ressurgit du fond de ma mémoire et me tire une flèche en plein cœur, et un coup de pied dans la gueule. Merde. Fais chier. Sa mère la pute. Allez vous faire foutre.
« Être tué par balles pour un antimilitariste, quelle ironie. » (Anne Jouan, Le Figaro du 8 janvier).
« On n’a pas peur des trous d’balles. » (Wolinsky).
* Siné.
F.S
Je suis Charlie (aussi)
Putain, j'arrive pas à m'y faire. Dites-moi que je vais me réveiller, que tout cela n'est qu'un très mauvais cauchemar...
J’ai noyé le sapin
Ma fille, je te demande pardon, mais ce matin, j’ai noyé le sapin. Celui que nous avions choisi et acheté ensemble il y a un mois, sur le parking de l’hypermarché. Puis chargé dans le coffre de la voiture. Puis monté dans le salon, et décoré ensemble avec les guirlandes et boules de circonstances. Je revois ta joie et tes sautillements devant l’arbre de Noël. L’attente du jour J – sans excitation particulière – et celle de tes grands yeux bleus perçants lorsque tu as découvert les papiers cadeaux à son pied. Ce sapin, qui sentait bon, je l’ai jeté ce matin, après l’avoir mis à nu hier soir, rangé boules et guirlandes dans le carton qui va redescendre dans le silence noir et frais de la cave pour sa gestation annuelle de onze mois.
Comme il perdait beaucoup d’aiguilles et que je ne voulais pas salir tout l’appartement, je l’ai passé par la fenêtre. Il est allé s’écraser, trois étages en dessous, sur le trottoir de la rue. J’ai eu l’impression de défenestrer un ami. Pourtant sa chute a été légère, presqu’aérienne, ça m’a surpris. En touchant le sol, le tronc a fait un petit « ploc ! » et tout le reste de ses aiguilles est tombé. Là, il fut vraiment à poil, dans le petit matin froid de janvier. Vite, vite, j’ai descendu quatre à quatre les escaliers pour aller le récupérer, et l’emmener, comme chaque année, vers la Loire, où l’attendait son funèbre bain mortel. Je sais, ce n’est pas bien de jeter son sapin dans la Loire, les habituels donneurs de leçon et ayatollahs de l’écologie et du développement durable vont me tomber dessus, aussi emmerdants en 2015 qu’ils ne l’étaient en 2014. Je m’en fous, je n’irai pas à Paris en décembre prochain écouter le Président parler de sa nouvelle danseuse, avec son danseur étoile préféré un ex-animateur télé adepte du kytesurf à Saint-Lunaire, dans une énorme baraque face à la mer achetée avec les royalties de gels douche merdiques qui collent à la peau et coûtent celle des fesses.
J’ai descendu le petit chemin qui mène au fleuve. Dans la semi-obscurité du jour naissant, entre chien et loup, j’ai entendu des canards s’envoler. Prudemment je me suis approché du bord – la Loire c’est dangereux disent les gens d’ici qui ne s’y baignent pas – j’ai empoigné solidement le haut et la base du tronc et hop ! à la baille. Il a fait un petit « plouf » et a à peine coulé. Il est resté près du bord, le courant l’emportera – ou pas – quand il le décidera. Et je suis resté là, comme un con, à regarder mon sapin nu flotter comme un bouchon au bout d’une ligne de pêche. Une tristesse m’a soudainement envahit, la mélancolie des lendemains de Noël, celle, sombre, tranchante, grise et froide comme l’acier des débuts janvier. La mélancolie des vœux, la tristesse des jours qui ne rallongent pas encore vraiment. J’ai surtout pensé à toi, petite fille, à ta joie sans retenue durant de cette période où l’imagination de l’innocence est si forte, pour encore quelques fugaces années. Après, il sera bien temps que tu te rendes comptes que Noël et le gros bonhomme rouge à barbe blanche ça n’existe pas, et c’est peut-être tant mieux car on dit que c’est une sacré ordure. Ça ne m’étonne pas d’ailleurs : un type aussi gros et moche capable de rentrer sans frapper chez les gens pendant leur sommeil en ramonant la cheminée avec sa hotte à la con, pour déposer des trucs sous un sapin dans un salon et filer à l’anglaise : c’est louche, quand même.
Toi tu t’en fiche. Mais je te demande pardon, ma fille : ce matin, j’ai noyé le sapin. Je me console en revoyant l’image de ta joie à découvrir tes deux cadeaux préférés : le livre des trois petits cochons en relief et animé ; et un camion de pompiers avec une grande échelle et des boutons pour faire du bruit. Ah oui parce que j’ai oublié de vous dire : cette fille n’est peut-être pas une fille. Tu aimes les camions de pompiers et les voitures. Mais le rose est quand même ta couleur préférée. Les intégristes de la lutte contre les stéréotypes sexistes vont sûrement avoir eux aussi des choses à dire. S’ils en ont le courage, avec les ayatollahs de l’écologie, ils peuvent aller prendre un bain dans la Loire : il y a un sapin qui flotte comme un petit bouchon au bas d’un raidillon ligérien.
Et ce soir, une petite fille demandera : « il est où, le sapin ? » Je n’aurai pas la force de répondre…
celui-ci a eu moins de chance, finalement :
L'étoile filante
Dimanche 4 janvier, 6h45 du matin. Extérieur nuit, route nationale 20, La Tour de Carol. 2° dehors. 21° à l'intérieur de la voiture. Les ombres blanches des sommets s'abattaient sur nous ; et la grande gueule d'une lune enceinte quasiment jusqu'aux yeux éclairait faiblement la route. Soudain, en direction du col de Puymorens, une étoile filante stria le ciel constellé d'étoiles.
Quel présage apportait-elle, cette enfant unique mort-née de l'atmosphère glacé ?
Je préfère amplement faire un voeux à celle-ci que tous les autres des débuts d'années, l'haleine chargée de relents de boudins blancs truffés, de chocolats fourrés et de champagnes tièdes.
Car ceux faits aux étoiles filantes ont probablement plus de chances de se réaliser...
- Plouf ! -