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Le jour. D'après fred sabourin

lettres a ...

Tu as parlé, et je me suis tu

3 Février 2014 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Lettres à ...

 

 


Un jour, sans que je m’en aperçoive, tu as parlé. Ah ! bien sûr, ça n’est pas arrivé du jour au lendemain, comme si on appuyait sur le bouton du son pour le faire jaillir. Assez vite après ta naissance, tu as marmonné quelques sons informes, des trucs indéfinissables aux sonorités en « a » et « euh ». Ces premiers borborygmes ont fait la joie béate des néo parents que nous étions. Ces « mots » étaient comme jetés en l’air et j’avais l’impression qu’ils ne retomberaient jamais. Tu n’étais donc pas sourde, puisque des sons sortaient de ta bouche. Enfin, la communication pouvait s’établir, et ça changeait des cris stridents qui nous avaient pratiquement rendus sourds, justement.
Puis vinrent les premiers mots construits, dont la thématique tournait essentiellement autour de l’alimentation : pain, beurre, confiture, ratatouille (c’était l’été), patate, etc. Ou bien ce qui faisait ton quotidien : le lit, les couches, le doudou, les livres, les jouets, le bain. Ensuite, tu as aboyé. Chaque fois que nous croisions un chien dans la rue, tu t’exclamais : « ouah ! ouah ! » si bien que les passants se retournaient, un peu interloqués, et je leur disais pour plaisanter : « oui, elle ne parle pas, elle aboie ! » Et puis vint l’inépuisable liste des termes corporels, dont la fameuse chanson Alouette, gentille alouette nous permettait une facile revue de détails. Ce fut parfois comme si la nuit permettait une mise à jour de ce que nous appelons aujourd’hui le disque dur interne : hier, tu ne disais pas ce que tu parviens à exprimer aujourd’hui. L’émerveillement de tes progrès est sans limite.


Et puis, un jour, une première phrase, ou plutôt une sorte de première phrase. Tu t’es mise à ajouter, dès que quelqu’un quittait la pièce : « papa est parti, » ou « maman est partie. » Comme des adultes maladroits, nous te disions « mais non, il (elle) est juste dans la pièce d’à côté. » Mais tu insistais en répétant la phrase, de sorte que je te croyais malheureuse de voir disparaître les gens de ton champ de vision. Ce qui était vrai dans les premiers temps d’ailleurs, jusqu’à ce que tu intègres que quelqu’un disparaissant de la pièce n’était pas parti à tout jamais. C’était juste ta première phrase, que tu répétais ad libitum, ravie de savoir la dire.


Une première phrase en creux donc, pour exprimer, déjà, l’absence. La vie est cruelle : quand elle vous donne les moyens de la décrire, c’est pour dire que quelqu’un vous manque ou qu’il disparaît de votre propre champ de vision. La parole est enfin libérée, pour peindre le vide et le silence. Pour éviter l’oubli. Pour se souvenir des belles choses. Pour faire revivre un visage. Pour dire qu’on aime.


Tu as parlé. Alors j’ai commencé à me taire pour t’écouter.

 

 

 

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La vie sans toi

27 Septembre 2013 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #Lettres à ...

 

 

 

Ma fille, mon enfant, j’ai longtemps vécu sans toi et je me demande aujourd’hui ce que serait ma vie si on t’enlevait à moi. Je serais perdu si tu n’étais plus là, avec tes grands yeux bleus qui me scrutent, tour à tour m’interrogent, m’interpellent, m’implorent, me demandent ce que je ne sais pas toujours t’apporter. Parfois, le mystère insondable des silences qui se partagent entre ton regard et le mien me transperce : mais que peux-tu donc bien penser, du haut de tes deux ans ? Je m’émerveille chaque jour de tes progrès, de cette autonomie que tu gagnes quotidiennement, à travers laquelle j’aperçois l’indépendance qui sera la tienne le jour où tu nous quitteras pour tailler ta route. Je la redoute autant que je la souhaite.


J’ai si longtemps vécu sans toi, que je n’aurais même pas pu t’inventer, et pourtant secrètement je t’ai toujours attendue, espérée. J’avais pris d’autres chemins, tu semblais impossible, et puis il y a deux ans par une belle journée d’automne semblable à celle d’aujourd’hui tu es arrivée. Au début tu as été dure. Tes cris brisaient mon sommeil à m’en rendre fou. D’ailleurs ça m’a rendu fou. Descendu au plus bas, imaginant parfois l’impensable, nous avons fini par nouer le contact. Et d’âge en âge celui-ci se consolide, s’affirme, se construit petit à petit comme on chemine pas à pas dans la montagne, ces montagnes pyrénéennes auxquelles je suis si fière de te présenter, et que tu reconnais déjà à travers les photos. Je guette le jour où, devenu vieux et les genoux grinçant de douleurs, tu seras devant et tu me diras : « alors, t’arrives ? »
 

 

J’ai vécu si longtemps sans toi. Et tu es là, je regarde ton sommeil à la fois si lourd et si léger. Où es-tu à cette heure-ci ? Dans quel pays de solitude ou peuplé de monstres imaginaires ? Refais-tu le film de ta journée à la crèche, avec ces autres enfants dont tu ne dis pour l’instant rien, ton langage se mettant doucement en place. D’histoires sans parole tu passes peu à peu au cinéma parlant, mais le mime demeure encore le meilleur moyen de communication entre nous. Il n’est pas besoin de mots pour dire ce qui nous relie. J’entends ta respiration, paisible ou saccadée. Tu es si loin et je suis si proche à ce moment-là. Sens-tu ma présence dans le silence de cette petite chambre où tu te reposes ? J’en deviendrais chamane pour protéger ton sommeil des cauchemars qui parfois te réveillent en sursaut, ton cri déchirant alors la nuit, et ma main posée sur ton front pour te dire que je suis là, que tu n’as rien à craindre, que le loup n’est pas forcément celui auquel on pense et qu’ils peuvent même parfois être gentils…
 

 

Hier tu as eu deux ans. Deux ans déjà, et deux ans enfin, devrai-je dire. Deux ans seulement diront d’autres. Il y a quelques semaines, entrant dans un magasin de jouets d’une rue commerçante de la ville où nous vivons, et devant lequel nous passons si souvent, je suis tombé sur une boîte à musique. Un truc kitch comme on dit à mon âge, un truc avec une danseuse à tutu qui jaillit sur ressort en même temps que la musique quand on ouvre la boîte. C’est rose et il y a un cœur sur le petit tiroir qui s’ouvre en dessous. Ça dégouline de guimauve, tout ce que je déteste. En voyant cette boîte dans le magasin, en l’essayant avec l’autorisation de la commerçante, j’ai pensé à ton regard le jour où tu découvrirais cet objet inconnu. Je t’imaginais, curieuse, en entendant le « clic, clic, clic, » de la clé remontant le ressort qui permettrait à la musique métallique de s’extraire de la boîte magique. J’ai acheté la boîte à musique, et, assis sur le lit, je l’ai ouverte devant toi. Je n’ai pas été déçu. Ton émerveillement devant cet objet nouveau, la prunelle de tes yeux et ton sourire d’enfant surpris et heureux me transpercera longtemps. Aussi longtemps que ma mémoire voudra bien me laisser ce tableau, cette image, ce sourire de toi.


Toi que j’ai attendue si longtemps, ma fille, mon enfant.

 

 

F.S

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