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Le jour. D'après fred sabourin

Le terrorisme expliqué à ma fille

17 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #quelle époque !, #Lettres à ...

 

Ma chère enfant, il y a onze mois, j’ai déjà écrit un texte qui commençait par le même titre. Je ne l’ai jamais publié, il est resté à dormir dans le dossier « textes 2015 » d’une clé USB qui ne quitte pratiquement jamais ma poche. A l’époque – qui semble déjà si loin – toute une rédaction de dessinateurs caricaturistes était tombée sous les balles de Kalachnikov, ainsi que des clients d’un supermarché casher. La traque de deux des assassins s’était terminée dans les conditions que l’on sait, et dont nous avons vu les images, scotchés aux médias, les jambes tremblantes. Le moment que nous avons vécu, dès le début de l’année alors qu’il restait un peu de buche de Noël dans le frigidaire et qu’on avait à peine rangé les guirlandes et boules du sapin dans un  placard, était à la fois sidérant, terrifiant, tout autant que gonflé par l’espoir grâce à l’incroyable soulèvement solidaire des Français et même du monde. J’avais vu passer, ici ou là, des trucs pour « expliquer le terrorisme » aux enfants, la plupart en bande dessinée. C’était raccord avec le thème. Zep s’y étais mis, d’autres aussi, moins connus mais qui gagnent à l’être. Il faut reconnaître un certain « avantage » aux illustrateurs pour ce type de question à l’adresse du jeune public. Du coup, j’avais essayé de t’écrire moi aussi quelque chose, que je n’ai pas trouvé assez fort sur le moment et pourtant je voulais que ça sorte de mes tripes. Mais ça n’est pas sorti. J’ai laissé tomber.

C’était sans compter sur ce vendredi 13 novembre, où nous venons de franchir un pas définitif dans la terreur, la stupeur, l’horreur et tout le tremblement. Les mots nous manquent pour décrire tout cela. Trois jours après, lundi 16, tu as toi aussi fait ta minute de silence, à l’école maternelle (qui n’a jamais aussi bien portée son nom), dans ta classe, naturellement.

Je suis venu te chercher à quatre heures de l’après midi. Le ciel était gris, sans caractère, un ciel gris tout mou qui ne dit ni oui, ni non. Il faisait doux, et les feuilles mortes des arbres jonchent le sol désormais. Elles sont marrons, et, par endroit, elles forment une sorte de boue plutôt glissante, pas très avenante. La ville était très calme, mais ici ça n’est pas dû aux attentats de vendredi soir : dans une petite ville moyenne telle que B., le lundi c’est calme, tous les commerces ne sont pas ouverts, la circulation est fluide. On dirait presque un jour de vacances. On en est loin.

A l’heure pile, la grille de l’école s’est ouverte, et les parents sont entrés pour aller chercher les enfants qui ne restaient pas à l’accueil loisirs périscolaire (le truc des rythmes scolaires qui a énervé tout le monde il y a deux ans). Je ne t’avais pas vu depuis trois jours, je me suis demandé comment tu avais entendu parlé de tout ça. Tu es sortie de ta classe et je t’ai demandé comment tu allais. « Pas trop bien », m’as-tu répondu, le regard fuyant. « Ah bon ? Pourquoi ? » Et tu as expliqué que tes lunettes – une nouveauté depuis vendredi – te faisaient un peu mal au nez. Sur le chemin du retour, tu m’as dit : « M. m’a tiré la langue ! Je l’ai dit à A., qui va lui tirer les oreilles ! » J’ai entendu ça pendant que je réfléchissais toujours à la façon dont j’allais essayer de t’expliquer le terrorisme… Du coup, j’ai fermé ma gueule. On est rentré en se courant après genre « attrape-moi si tu peux » et en grimpant sur les murettes. La liberté. L’insouciance. La vie.

Pour le goûter, il y avait une demi-pomme, un carré de chocolat, du jus de pomme, un petit morceau de gâteau aux noix. Je me suis aussi épluché une pomme pour t’accompagner. Au bout d’un moment, le ciel était toujours gris dehors, je t’ai demandé si tu avais entendu la sirène à midi. « Oui » as-tu dit. « Et… vous faisiez quoi pendant ce temps-là ? » ai-je demandé, un peu hésitant. « On était en silence dans la classe. » Mon sang s’est figé. « Et tu sais pourquoi vous avez fait ça ? » Alors d’une traite, le plus calmement du monde, tu as dit : « Oui. C’est parce qu’il y a des gens qui sont morts à un spectacle. On leur a tiré dessus avec des gros fusils, comme des chasseurs, et dans la rue aussi. » J’ai dû reprendre mon souffle. « Et… tu sais dans quelle ville ça s’est passé ? » « Oui, à Paris. » A Paris où tu étais il y a quinze jours en balade avec ta maman…

… … …

Les points de suspension que vous venez de lire représentent les secondes – une dizaine ? Une trentaine ? Je ne sais plus – qui m’ont été nécessaires à la reprise de mes esprits. Toi, tu as continué de mâcher, toujours très consciencieusement.

On mangeait des pommes ; et en essayant de t’expliquer le terrorisme, je ne me suis pas rendu compte à ce moment-là que j’étais en train d’avaler les pépins.

 

FS 16/11/2015

 

(c) Terreur Graphique

(c) Terreur Graphique

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Les copains d’abord

16 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #quelle époque !

"A la mémoire de nos frères dont les sanglots si longs faisaient couler l'acide". 

(B. Cantat). 

Les copains d’abord

La date avait été choisie bien en amont, lors du dernier week-end où nous nous étions retrouvés. C’était au début d’un bel été, et nous avions pris rendez-vous « à l’automne ». Certains avaient un peu regretté le choix de novembre argumentant qu’on ne pourrait pas se baigner dans la piscine. D’autres avaient ajouté, pour positiver : « on ira chercher des champignons ou des châtaignes, c'est bien aussi. »

Vendredi 13 novembre, neuf vieux copains « de trente ans » (comme on dit, mais cette-fois-ci c’est vrai) ont convergés vers le Limousin, à quelques encablures de Limoges et de Saint-Léonard-de-Noblat. De Paris, Versailles, Blois, Castres, Lyon, Châteauroux La Rochelle et Angoulême, les 8 jeunes quadragénaires se préparaient pour un week-end « entre potes ». Parce qu’on a la chance de pouvoir encore le faire. Parce que nous nous connaissons depuis des lustres. Parce que nous avons déjà partagé beaucoup de moments ensembles. Parce que nous nous aimons d’une vieille amitié virile tout autant que sincère, je le crois.

D’emblée, l’ambiance est montée, naturellement, comme d’habitude dirai-je. Les bonnes blagues, les petites vannes sur l’un ou l’autre se sont mélangées aux nouvelles plus sérieuses. Des nouvelles de la famille, de la vie professionnelle, de la vie personnelle. On a épluché quelques châtaignes et coupé du saucisson, ouvert des bières, remis un bûche sur le feu. En cuisine, des parfums venaient déjà caresser nos narines tandis que nous guettions l’arrivée de l’un ou nous inquiétions du retard d’un autre. Quand tout le monde fut arrivé, nous avons enfin pris l’apéro, car la bière c’est juste pour la soif et la joie des retrouvailles. On a parlé de ceux qui ne pouvaient pas venir, expatriés quelques années au Chili ou en Chine. On a trinqué, et on a remis une bûche sur le feu.

Le dîner fut animé, sans éclats de voix particuliers pour autant. On a parlé politique bien sûr, mais sans s’engueuler, pour une fois. Les récentes déchirures entre tel ou tel semblent être pardonnées, ou en tout cas dépassées, chacun mesurant peut-être que ça serait quand même un peu con de bousiller une si longue amitié pour ça. On a parlé aussi, évidemment, de celles qui n’étaient pas là : les femmes. Présentes partout, mais visibles nulle part. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, car je risquerais d’avoir des problèmes avec telle ou telle, et avec les féministes de garde qui veillent au grain, partout et toujours. C’était un week-end entre copains. Point.

On a ouvert quelques belles bouteilles, car c’est le seul dress code que nous nous imposons : on vient seul, sans femme, ni enfants, ni chiens ni chats, mais bien accompagné quand même. Sans être des buveurs d’étiquettes, nous sommes quand même amateurs de belles et bonnes choses… à partir du moment où elles s’ouvrent avec un tire-bouchon. Les discussions sont allées bon train, et on a voyagé sans quitter nos chaises : du Tchad d’où revient l’un des nôtres d’une mission humanitaire, à Pékin et Santiago où sont les frères de deux autres. Paris, Blois, Lyon et le Tarn ont fait le reste. On a aussi parlé médecine, et c’est toujours rassurant d’avoir un docteur parmi ses amis. On a évoqué la Cop 21, la planète, tout ça… Fromage, dessert, puis on s’est affalé qui dans le canapé, qui au bord de la cheminée, pour digérer en reprenant un verre de Saint-Emilion grand cru (ça aide, vous ne saviez pas ?).

On a remis une bûche sur le feu. Et les premiers tweets sont arrivés. Les premières alertes sur Facebook. Les premiers re-tweets des sites d’informations, des médias nationaux. Tout le monde, ou presque, s’est mis à regarder son smartphone sans rien dire. Nous cherchions les résultats d’un match de foot qui venait d’avoir lieu au Stade de France. Nous sommes tombés sur un concours de tir à vue en plein Paris. Un mauvais jeu de massacre. Et nous sommes tombés de haut. Certains on quand même débuté une petite belote, gardant une oreille à ce que les autres énonçaient en découvrant, stupéfaits, le bilan qui s’alourdissait minute par minute. Nous étions sidérés, sans mot dire. Le Parisien de l’équipe était inquiet. Son visage a changé. Le banlieusard n’était pas plus rassuré. Vers une heure du matin, les plus assommés sont allé se coucher. Les autres ont continué la belote. On se sentait à la fois proche de l’évènement et tellement protégé de là où nous étions, au beau milieu de la campagne limousine. Dehors, il commençait à faire froid mais sans excès pour un mois de novembre. Le silence était écrasant. Rien, ni chien, ni insecte, ni moteur, pas un meuglement de vache ni un souffle d’air. Le silence absolu de la nuit épaisse et lourde qui s’abattait sur notre maison, notre refuge. Une nuit noire. Une nuit de mort.

Le lendemain tout le monde s’est réveillé tôt, bien que certains se soient couché très tard. Nous avons alors pris, comme tout le monde, l’exacte mesure du drame atroce qui venait de ce jouer, un vendredi soir à Paris. Des gens écoutaient de la musique, mangeaient, buvaient, dansaient. Ils étaient à des terrasses de café, profitant de la douceur d’un automne jusqu’ici exceptionnel. Ils étaient, eux aussi, entre potes, entre amis, entre couples, ou seuls au comptoire, pour l’être un peu moins. Certains devaient se connaître, comme nous, depuis longtemps, depuis l'enfance qui sait, depuis toujours.

Nous avons alors tous pris conscience, sans se le dire, juste dans les regards et la manière d’être, que nous étions incroyablement chanceux d’être ensemble, d’être amis, et, plus encore : d’être vivants. La suite du week-end s’est déroulée comme elle devait : d’autres bouteilles se sont ouvertes, on a déjeuné dehors au soleil, la bière a coulé sous la mousse, on a ramassé des pieds de mouton et des châtaignes en secouant les feuilles mortes jonchant le sol des forêts. Le rosbif était parfaitement cuit comme on aime, et la tarte au pommes aussi. On a tapé dans un ballon de rugby, aux rebonds si imprévisibles. On a fait les cons avec le Lada Niva dans les chemins creux. Dimanche matin, sur la table du petit déjeuner, des journaux sont venus mettre des images et des mots sur l’horreur. Et nous disions : "et maintenant, que faire ?"

Enfin, l’après midi, au moment de la dispersion générale, tout les vieux copains, en se faisant des bises de vieux copains et se tapant sur les épaules se sont dit, droits dans les yeux : « à la prochaine, fin mai-début juin, hein ? »

Ouais, les gars. Sans faute, d’accord ?

Sans faute...

F.S 16 novembre 2015

- petite revue de presse entre amis -

- petite revue de presse entre amis -

- du beau, du bon, du...? -

- du beau, du bon, du...? -

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KFC : du poulet, en veux-tu ? En voilà !

12 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #Presse book, #concept

Le 188e KFC en France est ouvert à Blois depuis le 10 novembre. Il y avait du beau monde la veille pour se pencher sur son berceau lors de l'inauguration.  

- les fameux "buckets". Le poulet, c'est meilleur quand c'est partagé -

- les fameux "buckets". Le poulet, c'est meilleur quand c'est partagé -

KFC. Kentucky Fried Chicken. « Le spécialiste des vrais morceaux de poulets entiers cuisinés sur place », dit le slogan. Le géant américain de la restauration rapide, fondé à la fin des années 30 du siècle dernier par Harland Sanders (alias « le colonel Sanders »…), a ouvert le 188e restaurant français de la marque à Blois, boulevard de l’Industrie, le 10 novembre dernier.

Un restaurant rapide construit… rapidement, c’est le moins qu’on puisse dire : en à peine 6 mois tout était fait ! Permis de construire, construction, aménagements urbains nécessaires au futur afflux de clients, assainissement etc. On connait des projets blésois qui mettent plus de temps à sortir de terre (1). 

Mais le poulet de l’oncle Sam – pardon, Sanders – c’est du rapide. Ce natif de Louisville, Kentucky, mit au point en 1939 la cuisson du poulet sous pression. Les morceaux, découpés sur place, sont ensuite saupoudrés de farine afin d'être panés, puis après un passage au four atterrissent dans des « buckets », sorte de petits sauts en carton où les clients peuvent picorer en trempant les morceaux dans des sauces. Car chez KFC, ce qui est épatant, c’est aussi le « partage »...

10.000 emplois en France, en 10 ans

A la barre de la machinerie, un Breton. Erwan Tourtelier, physique de basketteur et mince comme s’il ne mangeait jamais de burgers, 42, marié et sept enfants, déjà partenaire-franchisé du KFC de Saran, près d’Orléans. Un self-made-man lui aussi sous pression, à l’américaine mais en France, ce qui est rare et d’autant plus impressionnant. « Je suis entré à 18 ans chez Quick, comme simple équipier. J’ai gravi tous les échelons. Ensuite – après un passage chez Castorama et Bricorama, je suis passé chez KFC, et après avoir été directeur des opérations au niveau national, j’ai ouvert ma première franchise à Saran, puis maintenant à Blois », explique le jeune homme de bonne famille avec franchise aussi. Pourquoi donc avoir quitté la maison Quick après tout ce chemin avec eux ? « Chez KFC, ce qui me plaisait, c’est qu’ils ont un savoir faire ancestrale. Aujourd’hui, je suis fier d’ouvrir ce restaurant en Loir-et-Cher, ce qui me permet de développer mon projet entrepreneurial dans la région », ajoute-t-il sans se séparer de son sourire très managérial, et de sa chemise blanche immaculée estampillée du logo de la firme. So corporate

Côté employés justement, KFC peut se targuer, en 10 ans, d’être passé de 10 restaurants sur le territoire national à… 200 en milieu d’année 2016 ! 10.000 emplois ont été créés. Entre les deux, un investissement à l’américaine : 500 millions d’euros. « Il y a plus de 20.000 restaurants KFC dans le monde » ajoute un ponte de la maison mère venu boire lui aussi le champagne de KFC lors de l’inauguration. « En semaine normale, on table sur 60.000 € de chiffre d’affaires. Les premières semaines d’ouverture, c'est environ 150.000 € de C.A ». Des chiffres qui donnent le tournis. Mais tout le monde ne rentre pas dans la salle de restauration – au nouveau décor et design créé spécialement pour Blois, et qui devrait servir ensuite à tous les KFC dans le monde. « 40 % du C.A se fait avec le drive », ajoute Erwan Tourtelier. Car si on ne peut plus téléphoner en conduisant, on peut toujours grignoter au volant, voilà pourquoi les restaurants du Kentucky poussent souvent près des grands axes routiers, très fréquentés. 

Côté emplois donc, ce sont « 55 emplois, de 18 à 53 ans » qui seront créés, mais pas tous en même temps, et pas tous à temps plein. Des contrats « 24 heures » d’intérimaires seront signés en fonction de la demande. « 25 personnes seront présentes en situation standard » dit le jeune directeur. Une réactivité très anglo-saxonne qui fait le succès - et les marges - des restaurants de poulets de M. Sanders. 

- des charlottes, des élus, et des employés KFC -

- des charlottes, des élus, et des employés KFC -

Marc Gricourt, maire de Blois et vice-président de l'agglo en charge des questions économiques, et Christophe Degruelle, président d’Agglopolys, n’ont pas raté l’inauguration et se sont vu offrir un beau tablier rouge estampillé du logo de la marque. Tous deux se réjouissent des emplois créés, en attendant ceux générés par Leroy-Merlin au printemps prochain (90 emplois pour l’hyper du bricolage qui s’installera zone d’activités de la Garbottière, Leclerc etc.). Et un grill Courtepaille été 2016. Bientôt donc, la périphérie de la cité blésoise n'aura rien à envier aux villes de même strate, et à leurs cousines du Kentucky...  

A ceux qui pourraient penser, caustiques personnages (y en a-t-il ?) que c'est « encore un truc de malbouffe américaine qui vient nous envahir ! », KFC indique, dans son communiqué officiel d’inauguration, que si la farine utilisée dans la conception de la panure vient des Pays-Bas, deux fournisseurs de poulets sont français : « Doux » à Châteaulin (Finistère) et « Gastronome » dans la Sarthe voisine.

Après, libre aux potentiels clients blésois de « jeuner avec les aigles, ou picorer avec la volaille », selon le proverbe sud-américain (dit-on)…

F.S

(1) Certains depuis trente ans, comme le "chevet Saint-Vincent"... 

KFC Blois, 34 bd de l’Industrie. 

20.000 restaurants dans 120 pays. Appartient au groupe Yum ! Brands Inc (avec Pizza Hut et Taco Bell). Ce qui totalise 41.000 restaurants dans 125 pays. 

- C. Degruelle (à g.) et E. Tourtelier, au champagne. Avant le cola ? -

- C. Degruelle (à g.) et E. Tourtelier, au champagne. Avant le cola ? -

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Le chômage expliqué à ma fille

7 Novembre 2015 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

- Lac du Montagnon d'Iseye, vallée d'Ossau, Béarn (64) -

- Lac du Montagnon d'Iseye, vallée d'Ossau, Béarn (64) -

 

« Tu iras au travail ou à l’école après l’école ? »

« Mon petit, je n’ai plus de travail… »

« Ah bon ? Mais comment tu vas faire alors ? »

« Et bien je ne sais pas trop encore. Mais il faut que tu saches que c'est un vrai travail que de chercher du travail tu sais… C’est mal payé, mais c’est un sacré boulot ».

« Et pourquoi t’as plus de travail ? »

« Parce que celui qui me l’avait donné me l’a repris… »

« Ah… Il est méchant alors ? »

« ... Je ne sais pas, je ne peux pas réellement te dire ce que j’en pense… »

« Tu vas lui dire qu’il est méchant ? »

« Et toi, à l’école, quand quelqu’un est méchant, tu lui dis ? »

« Oui ! »

« Et ça change quelque chose ? »

« Non… »

Ce n’est pas simple de t’expliquer, du haut de tes quatre ans, ce qu’est un licenciement économique, le chômage, le bordel qui m’attend chez Pôle emploi… À vrai dire tu t’en fiches un peu, et sans doute vas-tu trouver dans la situation qui s’ouvre à partir d’aujourd’hui quelques avantages. Notamment un, non négligeable : je vais pouvoir, plus souvent qu’avant, t’emmener à l’école et venir t’y chercher. D’une certaine façon, je vais être plus disponible, je ne pourrai plus m’abriter derrière l’alibi du « j’ai trop de travail » ou « j’ai un rendez-vous, une inauguration » tout ça...

- La dent de l'amer -

- La dent de l'amer -

Il n’y a pas longtemps, alors que nous lisions un livre sur les châteaux forts, il y avait une prise d’assaut, une bataille, et je t’ai dit : « c’est la guerre ». Tu m’as demandé – c’était touchant – « c’est quoi la guerre ? » J’ai répondu avec mon cœur de père, mes guibolles d’ancien para et mon cerveau d’historien. Désormais, je suis moi aussi de plain pied dans la guerre, la guerre économique, comme on dit. « Il faut se battre » entend-on à tous les carrefours. Alors battons-nous… Mais la guerre c’est aussi celle contre le mensonge, la fatuité, l’attentisme, l’incompétence et la vision court-termiste de ceux qui croient tout savoir, enfermées dans leurs certitudes, et la brutalité froide des tableurs excel. Nous ne sommes plus dès lors que des « points de convergences juridiques », des pions dont on se débarrasse d’un trait de plume, sans merci ni au-revoir. C’est aussi ça, la comédie humaine. Elle comporte plusieurs actes, des acteurs brillants dans des grands films, et des seconds rôles, des navets et des séries B. A la fin, il faut nous arracher du fauteuil quand le rideau tombe sur la scène et que le mot « fin » a disparu. Comment t’expliquer tout ça aussi ?

Alors j’ai regardé dehors, les feuilles tombent sévèrement des arbres, et bientôt « les arbres seront en bois » et « c’est à ça qu’on reconnait l’hiver » comme le disait si joliment Jules Renard. Je me suis dit que pour t’expliquer le chômage, il fallait peut-être se calquer sur les saisons. 

- High level -

- High level -

Le chômage, d’abord, c’est un peu comme l’hiver. Il fait froid, il pleut souvent sur les arbres nus et la nuit vient de bonne heure, le jour tard le matin. Tout est souvent gris et ressemble aux murailles. On se sent embastillé et les beaux jours semblent si éloignés qu’on se demande s’ils reviendront.

Le chômage, c’est comme l’hiver. Une saison qui en apparence ne sert à rien. On n'en voit pas le bout, et on a l’impression que le soleil ne reviendra jamais. L’hiver, en apparence, c’est nul.

Pourtant au début, on est content, on retrouve les bons pulls de laine, on ressort le manteau d’hiver, avec des trucs dans les poches qu’on avait oublié… On se dit que quatre mois, c’est vite passé, et puis à bien y réfléchir avec les jours qui raccourcissent dès la fin du mois d’octobre jusqu’à la fin mars, c’est quand même assez long. Et puis il y a novembre qui en rajoute une couche, avec son faux air d’hiver (sauf à l’heure où j’écris, fenêtre ouverte, le soleil entrant à plein poumon dans mon bureau). L’hiver ma fille, c’est un peu comme le chômage, c’est nul. « Quand il fait froid on ne peut pas marcher pieds nus dans l’herbe » m’as-tu dit récemment. Non, on ne peut pas. La seule certitude c’est que ce fichu hiver, il finira bien par finir. Alors que le chômage, lui… on ne sait jamais quand ça s’arrêtera.

Et pourtant, tu vois, parfois l’hiver il fait grand beau ! Des journées de soleil à s’en faire péter les lunettes noires, on reprend espoir d’ailleurs, on se dit que ça y est, le printemps est tout près, on a presque chaud, on a des envies de terrasses avec une petite bière, ou de glaces vanille-fraise en buvant des jus de pommes glacés. Des gens commencent à dire qu’ils ont vu des bourgeons sur les arbres, « quand même, on n’est qu’en janvier ! » Tout cela s’appelle l’espoir et souvent c’est vite remballé par un coup de froid avec un vent du nord-est sournois à te faire jouer des castagnettes avec tes dents. L’hiver c’est aussi le moment où il y en a au moins un qui retrouve du boulot, vers le 25 décembre généralement, le moment où tu fais des vœux à n’en plus finir. Cette année, les vœux, on ne les mettra pas tous dans le même panier…

Parfois aussi il neige et là d’un coup il y a 60 millions de gens qui retrouvent plus ou moins une âme de gamin. Les paysages sont transformés, on se fait des batailles de boules de neige. Et tu oublies que toi aussi tu les as, les boules. Tout est recouvert d’une chape soyeuse et silencieuse. Et puis ça fond et la boue colle aux semelles…

Enfin, un jour – mais l’hiver est passé depuis longtemps parfois – tu décroches le sésame, le truc que généralement tu n’attends pas ou en tout cas pas comme ça. Tu as tellement bossé pour maintenir ta terrasse à peu près propre pendant l’hiver que tu en avais oublié que chômeur c’est pas un vrai boulot et là… tu sens le printemps à plein nez. Tu reprends espoir, mais vraiment, tu trouve tout joli et tu respires à plein poumons en te disant qu’on ne t’y reprendra plus. Tu as envie de dire « je t’aime » à tout le monde même à ceux que tu ne connais pas ! Tu changes de vie, tu changes la vie. Tu as pris dix ans dans la tronche mais tu changes de vie. C’est le printemps, c’est l’été. C’est la vie.

Et c’est reparti.

Et c’est reparti.

Et c’est reparti. 

 

F.S 7 novembre 2015 

- Depuis la Table de Ponce -

- Depuis la Table de Ponce -

- Suivez le guide -

- Suivez le guide -

- La "Laiterine" (home, sweet home...) -

- La "Laiterine" (home, sweet home...) -

- Au feu ! -

- Au feu ! -

- Je suis la vague, toi, l'île nue -

- Je suis la vague, toi, l'île nue -

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