La Religieuse
Film de Guillaume Nicloux. Avec : Pauline Etienne, Louise Bourgoin, Isabelle Huppert. 1h54.
Guillaume Nicloux s’empare à son tour du roman de Denis Diderot, La Religieuse, brûlot anticlérical racontant l’histoire de Suzanne Simonin, cadette illégitime d’une famille de commerçant, que ses parents forcent à prononcer des vœux dans un couvent pour mieux s’en débarrasser pour des raisons économiques. Jacques Rivette, en 1966, avait déjà produit un film que beaucoup qualifient de chef d’œuvre.
On ne peut reprocher à Guillaume Nicloux, par ailleurs plutôt réalisateur de polars noirs (on se souviendra peut-être de Cette femme-là, avec Josiane Balasko, ou encore du plus détendu Le Poulpe, avec JP Darroussin), de vouloir faire œuvre d’hérésie. Fidèle à Diderot – excepté pour la fin qu’on ne révèlera pas ni pour froisser les spectateurs, ni les lecteurs – il joue habilement de son œuvre en évitant notamment de verser dans l’anticléricalisme. Ce qui, par les temps qui courent, est plutôt bien vu. Il transforme son héroïne, magistralement campée par Pauline Etienne, en adolescente rebelle pour une cause aussi belle et forte que la vocation religieuse : la quête de la vérité, et de la liberté.
D’abord fasciné par la première mère supérieure, mystique qui accueille cette jeune fille à la vocation douteuse, elle est ensuite malmenée par sa remplaçante, Sœur Christine, qui, apprenant qu’elle veut briser ses vœux, lui mène une vie infernale, faite de brimades, d’humiliations et de châtiments corporels à faire perdre la foi au meilleur des néo-convertis. Changeant de couvent (passant des clarisses de Longchamp au couvent de Saint-Eutrope), Sœur Suzanne va alors tomber sous la coupe d’une autre mère supérieure qui essaie de l’amadouer par les sens, en tentant de la séduire. Cette dernière, devant l’indifférence et l’innocence de la chaste Suzanne, va sombrer dans la folie.
Là où réside peut-être le tour de force de Guillaume Nicloux, c’est d’avoir en quelque sorte inversé les rôles d’actrices qu’on aurait pu attendre. La sémillante Louise Bourgoin interprète la mère fouettarde, tandis qu’Isabelle Huppert joue la perverse. Futé.
Ce sont les deux appels du pied de Nicloux à la période contemporaine : si Diderot faisait état dans La Religieuse de ses doutes quant à l’utilité de la vie cloîtrée, Nicloux semble rappeler que deux fléaux sont encore bien présents et rejetés quasi unanimement aujourd’hui : la nocivité de l’intégrisme et des châtiments corporels d’une part. L’abus d’autorité pour abuser à son tour des jeunes novices d’autre part.
Les exégètes de Denis Diderot pourraient le lui reprocher. Le spectateur de 2013 en tirera normalement un plaisir cinématographique assumé, sans craindre l’apostasie, ni l’inquisition…
F.S
- Frotti, frotta -
- Frotte, frotte -
Aux marges d'une visite présidentielle
- Quand c'est flou, il y a un loup -
- Véhicule diesel (mortel) -
- Coeficient de marée -
- "Si j'avais un marteau, je réduirais la courbe du chômage" -
- Touchons du bois -
(c) Fred Sabourin. Blois, 4 mars 2013. Visite F. Hollande au CFA du bâtiment.
L’odeur du père (fiction)
Elle ne s’y attendait pas du tout. D’abord parce que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas sentie son odeur, ensuite parce que le lieu ne s’y prêtait pas, à priori. La file d’attente d’une caisse de supermarché. Devant elle, un homme, quinquagénaire quelconque aux vêtements sobres et passepartouts, révélant l’achat bon marché du rayon confection dans le grand magasin. Mécaniquement, il déposait sur le tapis roulant les produits qu’il venait de choisir. Deux steaks hachés. Du papier toilette. Un lot de quatre sachets de pâtes aux œufs. Un kilo d’oranges. Du café. Un savon. Deux bouteilles de vin rouge du Pays d’Oc. Deux briques de soupes aux neuf légumes. Du beurre. Un litre de lait. 180 grammes de pâté de campagne pris au rayon traiteur. Il ne la remarqua pas. Elle se tenait juste derrière, attendant son tour, son chariot comme bagage. Une fois déposé ses affaires sur le tapis, révélant une vie aussi sobre que ses vêtements gris et sombres, il attendit que la caissière s’en empare pour les faire passer devant son détecteur de code barre. Mais ce n’est pas cela qui éveilla chez elle l’attention. Ce fut son odeur.
L’homme qui s’était penché et relevé successivement plusieurs fois, avait créé un mouvement dont les effluves lui montèrent au nez. Une odeur connue, se disait-elle, mais lointaine. Une odeur âcre et douce de tabac froid et d’eau de Cologne. Une fragrance d’homme, d’un âge mûr, mais pas encore trop, une odeur de célibataire ou de divorcé. Une odeur d’homme qui ne se néglige pas encore, mais ne fait plus trop d’efforts non plus. Quelque chose de l’entre deux, comme son âge. Elle se demandait où elle avait déjà bien pu la sentir... Et surtout sur qui. Ce n’était pas son homme à elle, dans la force de la jeunesse encore, trentenaire vigoureux qui se parfume avec les grands noms de haute couture : Christian, Jean-Paul, Hugo, Georgio… Son homme à elle ne s’aspergeait pas encore d’eau de Cologne de supermarché. Non, celui qu’elle avait connu avec cette odeur, c’était son père.
C’est pour ça qu’elle ne l’a pas reconnue tout de suite. Il y avait si longtemps… Quand elle l’embrassait, en arrivant chez lui, après de longues semaines sans le voir, c’est ce parfum mélangé qui lui sautait au nez. Mêlé à une légère sueur, aussi. D’un seul coup, tout son univers lui revenait. Son petit appartement d’une tour HLM, la ligne de chemin de fer en bas, la table de la cuisine recouverte d’une toile cirée usée sur les bords, encombrée près du mur de papiers, de coupures de journaux, du programme télé, d’un cendrier et de boîtes de médicaments. Les chaises de la cuisine, qui faisait pschitt quand on s’asseyait dessus. Un calendrier des postes avec des scènes de chasse ou de pêche. La cafetière encrassée sur un petit meuble. L’évier blanc et la gazinière marron. La tapisserie jaunie par les volutes de cigarettes. L’ampoule au plafond tachetée de chiures de mouches. Les doubles rideaux bleus aux fenêtres. Et l’odeur d’eau de Cologne.
C’est la caissière qui la sortit de sa torpeur. L’homme qui sentait comme son père venait de payer ses courses et déjà les rangeait dans un cabas. Il croisa juste un instant son regard. Et celui de la petite fille assise sagement dans le panier du chariot. Elle la regarda aussi, en précipitant ses courses sur le tapis roulant. Quand elle eut fini, elle se demanda si sa fille, se souviendrait un jour de l’odeur de son père.
L’inconnu disparu au bout de la galerie marchande, emportant dans son sillage le souvenir de cet homme qu’elle venait de recroiser, douze ans après sa mort.
F. Sabourin. 27/02/2013