L'âge du non
- Tordu -
L’auberge dans laquelle je prends place à Saint-Viâtre, au cœur de la Sologne dite « des étangs », ne brille pas par la chaleur de son accueil. Je ne parle pas de celui de la maîtresse de maison, qui est poli et comme on doit s’y attendre, mais bien plus de la froideur du lieu. Il doit y avoir un problème de chauffage, et les radiateurs électriques portatifs flanqués dans les angles de la pièces semblent aussi peu efficaces que les ingénieurs de l’EPR de Flamanville.
L’endroit est désert, et ce n’est pas pour me déplaire. Alors que j’attaque par la face nord le buffet d’entrées (avec des harengs à l’huile et aux oignons…), je change brusquement d’avis. Vient de rentrer un couple avec une charmante petite fille de deux ans environ. Je ne crois pas me tromper sur l’âge : elle dit non à toutes les sollicitations qui lui sont faites. Faut dire que ses parents sont doués pour poser des questions qui ne devraient pas l'être à un gosse de cet âge-là, même si on possède de fortes valeurs démocratiques et participatives. Nous sommes en république, au nom de quoi un enfant serait-il « roi » ?
Il y a d’abord la question des toilettes : « veux-tu aller faire pipi ? » se risque sa mère. « Non ! » répond le tyran en devenir. Elle insiste, re-non. Elles finissent par y aller, et je vois le joli minois de Tiphaine (c'est son prénom) barré d’une énorme tétine qui ne devrait pas être plantée là à son âge et surtout à cette heure-ci de la journée.
Elles reviennent et le monstre prend place sur une chaise haute, adaptée pour elle. Et le festival commence. Alors qu’elle s’évertue à se lever, ses géniteurs passent leur temps à lui demander de s’asseoir, ce qu’elle consent à faire qu’à grand renfort de menaces, qui ne s’abattront jamais sur elle et elle le sent bien. « Assis ! » (même ordre que pour un chien). « J’ai dit assis ! » (la mère s’énerve). « Assis ou tu prends une fessée ! » (le père s’y met). Là, ça semble fonctionner, le temps regarder son menu seulement… « Tu veux une fessée ? » demande la mère, excédée.
Que croyez-vous que Tiphaine répondit ? « Non ! » Pas folle la guêpe.
Je n’en peux plus, et en plus on se caille. Le café et l’addition en même temps svp, et zou, me voilà dehors sous le soleil solognot qui réchauffe sacrément l’atmosphère. Pendant que j’étais à me geler le derrière en ingurgitant l’émincé de volailles sauce-tomate, j’eus le temps d’entendre le père dire à la patronne : « elle est réveillée depuis 6 heures ce matin, » comme pour justifier l’énervement de la moutarde. En sortant, je me dis qu’elle échappe donc à ce principe qui d’ordinaire se vérifie pourtant : faites faire des activités difficiles ou bruyantes à des gamins, ils seront fatigués. Et c’est bien connu, les gens fatigués sont moins fatigants. A ce rythme, ses parents – s’ils ne donnent pas la fessée maintes fois promise – le seront avant elle.
En regardant le clocher et la perspective du château d’eau, je me demande si je n’ai pas un peu forcé sur le rosé. Le clocher semble tordu. Le rosé n’y est pour rien (seulement ¼ compris dans le menu à 12 € entrée – plat – fromages – dessert – café). Il s’agit d’un clocher tors, une soixantaine sont visibles en France.
- Confort moderne -
Saint-Viâtre, 1164 habitants, son clocher tors donc, sa maison des étangs, ses deux auberges – restaurants, sa pharmacie, sa boulangerie et le tabac presse devant laquelle la Une d’un journal de papa rat d'zi triomphe avec je ne sais qui. Je ne travaille pas pour ce journal et je m’en réjouis.
Le site internet du village précise : « Un tissu commercial de proximité complète les services rendus. Un médecin et un pharmacien veillent sur la santé de tous... on trouve également une poste et un guichet de banque. »
Merci docteur et le bon apothicaire de veiller sur les habitants de ce gros bourg…
On y apprend également que : « au cours du XVIIe siècle, le nom du village s'est transformé pour devenir Tremblevif, probablement à cause des "fièvres intermittentes" (ou paludisme) qui sévissait alors. Au XIXe siècle, ce nom est devenu difficile à porter et à la demande de la commune, le village prit le nom de Saint-Viâtre en 1854. »
On comprend aisément pourquoi.
- Gilet non fourni -
- Sans titre -
Peu de bruit pour (presque) rien
- Ô combien de marins ? -
Quinze jours de rien, la tête vide ou presque, une moisson insignifiante de photos. Maigre bilan des « vacances » qui n’en étaient pas vraiment, comme un interminable vendredi de carême dirait l’autre. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire, et donc à écrire, sur les aires d’autoroutes par exemple. Je n’aime pas l’autoroute - c’est cher et on rate les petits bleds aux bistrots surannés et commerces désuets - mais en revanche j’aime bien les aires d’autoroute. Je ne les aime pas pour ce qu’elles sont, ni pour ce qu’on y mange ou boit, mais pour ce qu’on y voit, sent, entend. Un concentré de France encore riche (faut avoir les moyens pour prendre l’autoroute), familiale, commerciale, et routière. Sur ce dernier point, j’aime bien constater que depuis l’époque où mon père faisait ce métier, les routiers ont vachement progressés question confort et ingéniosité de cuisine débrouille et système D. De vrais petits chefs cuistots, et les cabines de camions se transforment en ateliers culinaires à ciel ouvert. On entend frire les poêles devant lesquelles patientent de gros hommes en sabots et pull à cols zippés ou gilets polaires sans manches. S’ils sont souvent assez enveloppés, c’est la faute à l’immobilisme lié au métier. Les deux Belges aperçus sur l’aire de Longué-les-Cossonières, dans le Maine-et-Loire, ont l’avant du camion qui bascule formant ainsi un petit plan de travail. Assis sur deux minis tabourets dont on jurerait qu’ils vont ployer sous leurs séants, l’un d’entre eux prépare un truc qui frit pendant que l’autre met le couvert sur la mini table. Ils s’apprêtent à manger dehors, comme en plein été, alors que la température est tout juste acceptable. Signe des temps, de la crise ou peut-être plus simplement du bon goût, les deux mastards préfèrent manger leur popote que d’engloutir des sandouiches thon ou poulet mayonnaise à 4,5 € qui laissent sur la faim et donnent la gerbe. Espagnols, Portugais, Belges et Roumains de tous pays, unissez-vous contre notre malbouffe !
Près des toilettes – c’est tout dire – les machines à café, thé, chocolat et potages attirent le chaland. On peut présager que la marge sur ces boissons doit approcher les 70%. Le manque de goût de ces breuvages n’a d’égale que la honteuse réputation de fine bouche française. Il en coûte désormais 1,2 € voire 1,5 € (pour un thé !). Difficile de trouver quelque chose au prix symbolique de 1 €. Parfois je me dis que comme métier, j’aurais dû faire loueur de machines à café.
Dehors, sur les parkings entre les pompes à essence au prix du litre plus cher qu’un litre de vin rouge (faut pas rouler bourré ça coûterait une fortune), et les magasins de stations où on vend de tout – qui a donc l’idée saugrenue de faire ses courses ici ? – des voitures chics à côté desquelles la notre fait pâle figure. Quand me vient l’envie de prendre l’autoroute avec ma vieille 306 diesel de presque 310.000 km, je m’amuse à la comparer avec les grosses cylindrées immatriculées dans le 7-8 ou le 9-2. Les gens qui en sortent sont bronzés toute l’année, ont des chemises blanches et des jeans « slims » pour les hommes et des talons pour les dames. Certaines ressemblent à des p… mais en moins bien car franchement plus vulgaires.
Le pire, ce sont les moutards mal élevés qui profitent de la fatigue de papa au volant et de la résignation de maman pour faire acheter l’inachetable : bombons en tous genres, glaces, boissons sucrées qui font grossir etc. Ils courent partout et manquent de renverser les cafés achetés à prix d’or. Le pire du pire : le savon des stations d’une marque d’essence aux bénéfices records de 14 millions d’euros, qui vous colle aux mains jusque tard dans la journée. C’est la totale.
Il est temps de foutre le camp d’ici.
Heureusement, l’île où nous nous rendons nous offre le spectacle d’une route submersible historique – le passage du Gois – qui disparait sous les flots toutes les douze heures. Si ce n’était la présence du pont, depuis 1971, on se sentirait vraiment à l’écart du monde.
Novembre est là à Noirmoutier et les hordes touristiques insupportables n’y sont plus, la plupart des maisons sont fermées et ouvertes aux cambrioleurs. Je ne suis point Arsène Lupin, je ne fais que toucher avec les yeux. Il flotte ici un parfum de Méditerranée au bord de l’Atlantique. On sent le sel et le varech à plein nez, et les bulots, huitres ou autres délices de l’Océan sont à prix (très) abordables.
Y revenir, avant vingt ans comme lors de ma précédente visite. En écrivant cela on dirait que je sors de prison…
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En allant à la préfecture de Loir-et-Cher (retour aux réalités du travail), croisé deux adolescents / branlotins pur jus dont l’un des deux bâillait à s’en décrocher la mâchoire. On voyait presque ses amygdales. A la main, un téléphone qui crachotait de la musique insipide. Il s’est couché tard le gamin. Crois-tu que c’était pour regarder l’excellent No country for old men des frères Coen diffusé hier soir sur France deux ?
- Ligne de fuite(s) -
- Solitude automnale -
No comment
- Nature (morte) -
En attendant le retour des écritures...
Tiens au fait Charlie a brûlé.
Et personne pour soupçonner Siné ?
Si c'est pas une erreur judiciaire ça !
Bourlingue & vagabondage jusqu'au 13 novembre environ.
- Mangez-en tous -