Mystique rumba
- Harmonie -
La montagne est vivante. Elle bruisse sans cesse de faunes et de flores, que le vent fait chanter, siffler, grogner, grincer, abattre violement c’est selon. Bêlements, croassements, chuintements, beuglements, cris en tous genres. La montagne est vivante parce qu’elle est peuplée avant de s’y rendre, pendant qu’on y demeure, et après l’avoir quittée. Nous ne sommes que des visiteurs d’un jour, ou plusieurs, et elle a suffisamment de caractère pour nous faire sentir que nous n’y sommes que provisoirement toléré.
La montagne est vivante, aussi, parce qu’elle y abrite des villages. Dans celui où je me trouve, un dimanche matin que la pluie fait dégouliner sur mon béret, il y a des hommes, et des femmes. Des chiens aussi. Des voitures garées comme des petits bateaux dans un port. La plupart disent beaucoup de la sociologie du pays : Le Citroën C15 est roi, aux plates-formes arrière témoignant d’une activité artisanale, agricole et pastorale. Des 4x4 aussi dont l’utilisation est réellement tout terrain, et des modèles hors d’âge. Chacun vient et va selon l’ordre établi, c’est-à-dire la plupart du temps sans ordre, mais semblant obéir à un ordonnancement locale où tout le monde s’y retrouve. Tout gravite autour de la fontaine située au centre de la place. Au milieu de tout ça surnagent des touristes – dont je suis, ne rêvons pas – qui déambulent au gré des achats dans les commerces locaux : essentiellement du pain et du fromage de brebis.
- Suspend ton vol -
Dans le bistrot où je m’installe, qui se nomme L’Union - tout un programme - la taulière sort des pots de fleurs sur les tables humides qui ont visiblement passé la nuit dehors. La télé s’allume au moment même où je franchis le seuil, mais c’est un pur hasard. On y voit des coureurs du Tour de France, et un maillot jaune. Puis des militaires qui semblent morts, et d’autres bien vivants qui marchent au pas sur une grande avenue. Puis une femme aux lunettes rouges au petit accent norvégien, qui ne semble pas goûter ces promenades annuelles et un premier ministre content de lui d’avoir dit une connerie. Son président à lui n’est pas Norvégien d’origine, il est Hongrois. Hongrois qu’il est président mais il ne l’est pas. Bref…
- Tu marcheras sur l'eau -
Le café chaud tombe dans la tasse, et aussitôt le bruit d’un moulin à café empli la pièce. Du coup la télé joue au jeu du film muet et ce n’est pas plus mal. Le bar, dont la façade est minuscule, coincée entre deux maisons aux murs crépis mais dont on devine le granit, possède une arrière salle où pourrait manger tout un banquet de mariage. La décoration est gentiment désuète, style fin Charles de Gaulle début Pompidou. Les tables sont dressées, et dessus les chaises sont rangées. Ne reste plus qu’à les descendre pour poser son séant dessus. On imagine déjà les gros oncles à moustaches en chemises blanches tendues par un ventre à cassoulet, portant bretelles et riant fort. Les guogues sont d’une propreté sans reproche, ils semblent sortis du magasin et déballés de la veille. Un gars du coin à l’accent béarnais sort, les mains dans les poches. Il scrute le ciel, se retourne et dit : « Il fait beau en Espagne. » Et tout le monde se marre dans le bistrot, c’est-à-dire cinq personnes.
Le son suivant est celui d’une scie. Mais pas d’une scie sciant du bois, ou du métal. Un autre son. La scie "scie" autre chose, mais je ne sais pas encore quoi. Une odeur de chair fraîche m’emplit le nez. Un homme au sourire barbu coupe une belle tranche de pâté de campagne à l’ail et au persil. Ça fait une bouche. Et un boudin noir, car dans le cochon, tout est bon. Je lui fais remarquer qu’il a interverti les étiquettes des tomates farcies et des saucisses confites. « Déjà que les gens nous trouvent bizarres, » dit-il… Derrière la caisse sont alignées comme dans un jeu de massacre des boîtes de pâtés, confits, conserves en tous genres portant des étiquettes à petits carreaux roses, rouges, jaunes, orange, verts, bleus et noir. Mais ce qui attire mes sens - tous mes sens - c’est l’arrière boutique. J’aperçois en effet l’établi du boucher, les crochets, vides pour l’instant, des rouleaux de papiers qui servent à empaqueter la bidoche, des rouleaux de ficelle pour larder les rôtis, les torchons en boule. Et là, au milieu de ce fatras, dans le sang écarlate et la blancheur du carrelage, le bruit de la scie, actionnée par le commis qui découpe un morceau dans un grand cuisseau de bœuf. Il y met tout son cœur, et l’huile de coude de son bras droit, arc bouté sur le cadavre. Je m’attends à entendre ensuite le bruit du hachoir, mais non, il repose la scie sur un croc de boucher, et jette sur son épaule l’autre moitié de la cuisse. Il règne ici une ambiance de travail semi-monastique que je dérange à peine. Chacun sait ce qu’il a à faire, dans une économie de mots qui tranche avec les couteaux qui dépassent de partout. Derrière la vitrine, commencent à s’entasser entrecôtes et steak, filets et rôtis, pommes dauphines, pâtés et fromages de tête. Ça sent la viande froide, l’ail et le laurier. Dehors il pleut toujours, mais beaucoup moins. Ça n’a que peu d’importance. Laruns (c’est le nom du village) qui semble mort est bien vivant.
- Un jour où il ne pleuvait pas à Laruns -
Je repense alors à ces verts pâturages, au tintement des clochettes des brebis, au son lancinant et perpétuel du torrent qui dévale sa course. Je sens encore en moi cette odeur de roche chaude brûlée au soleil, et à la sueur qui me dégouline le long du cou. Frissonnant au vent des cimes, qui entoure le cairn sommital de sa fraîcheur parfois inhospitalière, je vois la crête coupée nette et le vide à sa verticale. Il me faudrait des ailes, et c’est bien le seul manque à déplorer. Je me sens rempli de tout cela, solitude bienfaisante et pourtant si peuplée des bruits de la vallée. Elle irrigue mon sang d’une quiétude et hébétude salutaire. Une force et fécondité indispensables.
- Le Palas et les lacs d'Artouste et d'Arrémoulit -
- Sur la tête de Jean-Pierre (2884m) -
- Qui êtes aux cieux -
- Emergence du vertical -
Nulle part ailleurs
- Gorge profonde -
La route départementale numéro 25 conduit la voiture et ses occupants au fond d’une vallée très encaissée et surprenante : les gorges de la Cère, du nom de cette rivière, affluent de la Dordogne, qui prend sa source près du Plomb du Cantal. Ça tourne et vire dru. Sur la carte du Bibendum, il semble y avoir une gare SNCF au fond de cette vallée, à mi chemin entre Laval-de-Cère et Laroquebrou. Lamativie, drôle d’endroit pour une rencontre. On descend, s’attendant à rencontrer au moins un village, puisqu’il y a une gare… Arrivé en bas, point de village. Une maison (qui semble habitée mais dont les volets sont clos), un barrage, une ruine et un tunnel. Des baraques style chemin de fer français dont les fenêtres sont murées, des voies, un quai central : la gare de Lamativie. Quelle surprise ! On se dit que ce n’est pas possible, pas là. Sur le quai, un panneau indiquant le nom de la gare (Lamativie, donc, pourtant éloigné de plusieurs kilomètres du village), et un autre, plus petit. Nous approchons et découvrons une fiche horaire à jour ! Un thé eu air passe par là, et mieux encore : marque un arrêt, de début juin à fin septembre. Lamativie est au beau milieu du GR 652, qui relie Laroquebrou à Bretenoux, en descendant les gorges de la Cère. Je regarde ma montre : un Brive – Aurillac va s’arrêter ici à 15h35, dans 20 mn…
- Odeurs -
Il flotte un air de far-west, et ce jour-là tout y est ou presque. La chaleur de midi écrase tout, façon Lecomte de Lisle (Midi, roi des étés). L’air est saturé de cette odeur caractéristique de voies ferrées, mélange de goudron chaud, de vieille urine, de rouille et de cailloux granitiques chauffés à blanc. Je tends l’oreille pour déceler le grincement possible d’une éolienne façon Il était une fois dans l’ouest. Rien. Juste le bourdonnement de mouches qui semblent chez elles, et les cigales et grillons qui scient l’atmosphère de leurs chants estivaux. « L’air flamboie et brûle sans haleine ». La sueur me coule au bas du dos et colle la chemise. On passe à l’ombre, en attendant, et la ruine offre un morceau d’histoire : ancien baraquement des ouvriers qui ont construit le barrage, au début des années 30. Plus bas le barrage, et le murmure de la Cère. Un coup d’œil à la montre : 15h30. Il est temps de se rapprocher du tunnel, pour voir ce qui pourrait en sortir dans quelques instants.
- Le bout du tunnel -
C’est la cloche de la barrière – et non le garde barrière lui-même – qui surprend en premier. Celle-ci annonce la fermeture concomitante des garde-fous. Un bruit de ferraille ajouté au moteur diesel se fait entendre à l’autre bout du tunnel. Deux phares se distinguent et grossissent lentement. Un klaxon retentit, et le monstre d’acier jaillit de l’ombre nous soufflant un air chaud qui est sans commune mesure avec ce que crachaient autrefois les locomotives à charbon. Le thé eu air sponsorisé par la région Auvergne entre en gare de Lamativie, et marque l’arrêt. Personne n’en descend, encore moins n’y monte. Une minute après, il va son chemin et disparait entre deux roches taillées à brut. Et c’est fini. Le silence revient.
Pour un peu j’en aurai presque oublié la chaleur, les odeurs, le chant des cigales et le bitume fondant sous mes semelles. L’espace d’un moment, Lamativie était ce far-west, à mille milles de toute terre habitée. Nulle part ailleurs, assurément.
- Arrivée d'un train en gare de Lamativie -
- Sans titre -
- Sans titre -
Que mon cimetière soit plus marin que le sien
- Saint-Cirq-Lapopie -
Déférence gardée à messieurs Paul Valéry et Georges Brassens, j’aime visiter un village en commençant par son cimetière. A bien y regarder, on sent beaucoup de la quiétude d’un hameau à la tranquille beauté de ses pierres tombales. S’il faut être fou pour se demander : « est-ce ici que le repos éternel serait le meilleure ? » alors oui, je suis fou. Une personne qui m’accompagne dans cette pérégrination quercynoise n’est pas loin de le penser, quand brusquement je donne des coups de volant à la vue d’une église romane et de son cimetière attenant. C’est bien souvent l’endroit le plus peuplé du village, et à défaut de bistros – souvent inexistant à notre époque hélas – le cimetière est encore le lieu le plus fréquenté. On se surprend même à constater que les morts les plus vieux (drôle d’expression n’est-ce pas ?) sont parfois les plus fleuris. Et de fleurs fraîches avec ça ! Sous cette latitude chaude, finalement assez peu de morts en 2003, la fameuse année de la canicule qui tua soit disant beaucoup de gens. Beaucoup plus victimes des guerres de 14-18 et 39-45 et leurs suites. Une bonne série de jeunes soixantenaires, signe que le crabe étend son influence bien au-delà de l’estran.
D’abord il faut pousser la grille, qui, comme dans un film, grince évidemment. C’est la sonnette pour les morts. Ils sont prévenus que quelqu’un leur rend visite. Puis le regard s’attarde ça et là au gré du marbre gris, parsemé de taches multicolores ou de fers rouillés des croix qui pendouillent au gré des vents de l’éternité. Passent les semaines et passent les années… On cherche des noms, qu’on ne connaît pas bien entendu. Sauf à tomber sur tel ou tel, voire sur le sien (très rare dans cette région). Bredouille, on remarque la prédominance de certaines familles, de leur statut social, et on joue au jeu des prénoms. La République des Jules nous interpelle là, sous le cagna d’un midi de juin, heure où tout est brûlé même le cerveau. L’angélus sonne, l’heure médiane où tout consume même les plus amples convictions : point de paysans à l’horizon pour prier au milieu des champs. Pourtant cette cloche n’est pas sans nous rappeler quelque chose…
Accrochés aux flancs de falaises découpées patiemment par les glaciers millénaires et fondants, ces petits cimetières invitent à la flânerie, quoiqu’on en dise et pense. Et si l’on tendait l’oreille, après que la cloche se tu, on entendrait presque les verres tinter des bistros morts aussi, et les coups de gueule des vielles à leurs maris, et les rires des enfants, et les balles de guerre, et le cri des agonisants.
- Ce toit tranquille où marchent les colombes -
- Ce n'est pas la plage de Sète -
- RIP -
- Sans titre -
- Sans titre -
- Bouziès -
- Chambre avec vue -