Cayenne, chien policier
- Attention, il va flinguer -
En février 2010, j’avais déjà eu l’occasion de narrer ici même une visite présidentielle du petit Nicolas en Loir-et-Cher, où je pigeais pour une radio locale. J’ignorais alors qu’un jour il reviendrait, et que je serais in solidum les pieds dans la glaise ligérienne.
C’est à Saint-Laurent-Nouan, à la Centrale EDF nommée Saint-Laurent-des-Eaux que le président candidat nous a donné rendez-vous lundi 26 mars dernier, par un bel après-midi très ensoleillé et printaniers. Un temps à taquiner le goujon dans les eaux de la Loire en fait. Fort différent du rendez-vous de Morée deux ans plus tôt, où il gelait à pierre fendre. Saint-Laurent-des-Eaux, parce que cette centrale nucléaire a les pieds dans le fleuve. Risque d’inondation donc. En fait non, nous assène-t-on du côté de la communication bien bordée de la centrale, « tout est prévu pour résister aux pires crues et encore pire puisque les calculs ont été surélevés jusqu’à l’inimaginable. » On imagine. Bref, ici comme ailleurs : « aucun risque. »
- C'est un coin de verdure où chante une rivière -
C’est la raison pour laquelle le président – candidat vient rassurer les électriciens en bleu de chauffe et casques idoines, du moins pour ceux qui toisent moins de 1,70m au casting organisé par EDF. Manquerait plus que les ouvriers soient plus grands que le président ! Visite au pas de charge mon pote, 20 minutes chrono dont le passage par la salle de turbine où les 900 MW qui tournent à plein régime, donnent une ambiance équatoriale à la visite. Il fait environ 33°, l’âge du Christ, et le président grimace, semblant souffrir un chemin de croix. Il n’est pas le seul.
Equatorial, c’est aussi le thème du chien renifleur qui passe en revue le matos des journalistes une heure et demi plus tôt, près de l’entrée secondaire de la centrale. Cayenne, c’est le nom de ce chien policier qui sniff nos appareils photos et caméras posés à nos pieds alors que nous sommes pratiquement au garde-à-vous derrière, apportant une touche d’humour noir à une séance trop connue. Le service de presse aboie, les gendarmes aboient, on se fait quasiment engueuler parce que ça ne va pas assez vite etc. Toutes ces précautions sont-elles nécessaires ? A priori non. La plupart des journalistes qui sont là, issus de la presse nationale (et dont je reconnais quelques visages vus il y a deux ans, ce sont donc les mêmes qui font ça depuis le début du quinquennat, ils vont finir à l’asile les pauvres gens !), sont largement identifiés. Le peigne-cul qui gère le service de presse (dont je vais reparler plus loin) les appelle même par leurs prénoms, c’est dire s’ils se connaissent… Les autres, je veux parler des bouseux de la presse locale, regardés avec toute la déférence d’un jacobinisme parisiano-centré, ont dû montrer pattes blanches, décliner tout leur état civil la veille, et carte d’identité, de presse etc. pour pouvoir être accrédités. A quoi bon vérifier qu’on n’aurait une bombe dans les Nikon, Canon ou autres caméras de JRI ? Tout simplement parce qu’on va rentrer dans une centrale nucléaire les amis, et que si par hasard on ne prenait pas toutes ces précautions (chien renifleur, portillon d’aéroport), on pourrait écrire qu’on rentre dans une centrale comme dans un moulin, ce qui serait contre productif par rapport au discours ultra sécuritaire distillé par ailleurs. CQFD.
Arrive le moment où la tension est à son comble : la distribution des tickets « pool ». Pour qui n’a jamais fait une visite présidentielle dans une France forte, il faut expliquer ce grand moment d’humiliation collective.
Il y a plusieurs endroits stratégiques où les photographes et caméramans peuvent faire des images. Chaque endroit est marqué par une lettre : pool A, B, C, D, sur des tickets de couleurs différentes. Le blanc-bec du service presse distribue d’abord « à ceux qui comptent » : AFP, Reuteurs, AP, TF1, France 2. Plus quelques têtes amies qu’il appelle par leurs prénoms, comme des vaches. Après, vient la presse locale, la volaille. Nouvelle République et République du Centre sont servies. France 3 aussi, mais uniquement après avoir quémandé. France 3, souvenez-vous, est dans le collimateur du président depuis les désormais fameuses images « off » sur un plateau télé en 2007…). Et puis… c’est tout. Les autres, du balais, vous prendrez des photos pendant « l’adresse informelle du président aux salariés EDF. » Etonnement et indignation des bouseux (j’en suis). « Je n’y peux rien, c’est comme ça, contentez-vous de ça, tout le monde ne peut pas aller partout, et ce n’est pas en me parlant comme ça que vous obtiendrez quelque chose, » siffle le connard à tronche de premier de la classe, un peu comme un pion style école communale, distribuant sucres d’orge et coups de férule à la récré. Je pense très fort : « et si je te fais une turlute, tu me laisses faire mon job ? »
Ca doit se sentir, car quelques minutes après, il revient vers moi et me distribue un précieux ticket, de couleur saumon, estampillé « pool C ». Celui-ci me permettra d’aller quasiment partout. Dans la panique et les bousculades de la visite, un photographe qui se démerde bien peut profiter des moments de flous pour s’introduire là où il ne devrait pas être. J’en serai. Sous la surveillance toujours efficace du SPHP (les gorilles), mais loin des petits dictateurs de poche du service presse. On a les petites victoires qu’on peut.
La visite se déroule comme d’habitude oserai-je dire si je l’avais, mais je me souviens trop bien de celle de Morée il y a deux ans : une foire d’empoigne, une bousculade de tous les instants, et plusieurs obsessions : être bien placé, pas coincé derrière dans un couloir, éviter les gorilles du SPHP (difficile), ne pas faire trop de photos floues, dans le doute, mitrailler tous azimuts en espérant sauver quelques clichés exploitables. Bref, faire le boulot, en plaignant les confrères qui font ça tous les jours.
- Mêlée à 5 mètres de la ligne des 22 -
Juste avant « l’adresse informelle » du président – candidat aux casques bleus EDF, le trou du fion revient vers moi et me prend par le bras en me disant : « venez, vous pouvez aller faire des photos là-bas lorsqu’il va arriver. » Il croit me donner un énorme privilège. Et il ne croit pas si bien dire. Le passage plein de courants d’air par lequel le petit Nicolas va arriver, sous des tuyaux, porte ironiquement le nom de rue sans joie. J’ai le temps de faire la photo. Faut savoir être opportuniste.
- Prêt à shooter ? -
- Feu ! -
Après avoir improvisé devant les ouvriers triés sur le volet (de taille pas trop grande donc), à qui il sera difficile ensuite de tirer quelques mots, « car on a reçu des consignes de ne pas faire trop de commentaires, » le président – candidat s’apprête à remonter dans la Peugeot 508 noire blindée (il y a deux ans c’était une Citroën C6). Un journaliste de France 24 tente un coup : « Un mot sur le Sénégal Monsieur le Président ? » (il y avait l’élection présidentielle la veille). « Merci ! » lui adresse-t-il avant de s’engouffrer dans son carrosse.
Merci qui ? Merci quoi ? Merci le Sénégal ? Là où « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire » ? On ne saura pas.
J’ai ma petite idée : le journaliste de France 24 mesure à vue d’œil environ 1,90 m. C’est trop grand.
- Merci le Sénégal -
Là haut
Pendant ce temps-là, à 200 km plus au sud de Toulouse & Montauban (des petits villages dont on parle, je ne sais pas si vous connaissez ?), point d'encombrements ni de tirs à feu nourri, ni de balles perdues ni d'horreurs sanglantes.
Juste de la glace, un peu de roche et beaucoup, beaucoup de silence...
La suite, c'est assez vite ici j'espère.
(Puygmal d'Err, 2910m, 23 mars 2012, 12h25 GMT. Pyrénées-Orientales).
On the road again
Retour ici bientôt...
Cinq Oscars dans le jardin
Jean Dujardin et les Oscars
5 Oscars, du jamais vu pour un film français à Hollywood. Avant eux, 6 Césars, dont les très prestigieux du : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleure musique, meilleure photo…
En remportant à peu de choses près la même chose outre-atlantique, l’équipe du film de The Artist entre dans la cour des grands, des très très grands. Des trops grands ?
Mais Michel Hazanavicius, Bérénice Béjo et Jean Dujardin sont-ils taillés pour la démesure qui s’offre désormais à eux ? Flanqués d’agents plus puissants que n’importe quel exécutif dans le monde, dont un seul d’entre eux pourrait quasiment racheter la dette grecque avec un seul film, les « frenchies » vont devoir changer de vie. S’adapter, ou mourir. Interrogé sur ces récompenses et les conséquences qui en découlent, Régis Warnier, oscarisé en 1993 avec Indochine, a reconnu qu’il avait un temps travaillé avec les américains, puis décidé de rentrer en France. Trop de pression, trop de projets pharaoniques, pas assez de marges de manœuvre, des contraintes finalement trop lourdes.
C’est que, voyez-vous, le cinéma français est comme les Français eux-mêmes : cabotin, insoumis, une « exception culturelle » à lui seul. D’ailleurs Michel Hazanavicius, réalisateur de The Artist et son producteur Thomas Langman (fils de Claude Berri), l’ont reconnu eux-mêmes : jamais un tel film n’aurait vu le jour aux Etats-Unis. En récompensant The Artist des Oscars les plus prestigieux, l’Académie du cinéma américain semble d’ailleurs sonner définitivement le glas d’un cinéma qu’on ne reverra sans doute jamais : c’est la fin de la pellicule, adieu 35 mm en cinémascope, adieu films muets où seul le physique et sa capacité à capter la lumière comptait, adieu amateurisme et petits budgets permettant à des « OCNI » (Objets cinématographiques non identifiés) de percer. La fin d’une ère, le début d’une autre : le tout numérique. Pour notre plus grand bien, dit-on.
Marion Cotillard, très justement récompensée pour La Môme en 2008, a disparue de nos écrans radars. En sera-t-il de même pour Jean Dujardin, né dans les Hauts-de-Seine et élevé à Plaisir dans les Yvelines (ça ne s’invente pas), et dont les parents ne savaient pas très bien quoi faire de lui. Lui, pourtant, vivant au milieu de ses rêves – on l’appelait « Jean de la Lune - ne pensait qu’à faire des sketches et jouer la comédie. Jean Dujardin qui mit tant d’années à ciseler le portrait de cet ado attardé qui explosa dans Brice de Nice. Jean Dujardin, qui s’invita chaque soir de 1999 à 2003 à l’heure de la soupe dans les foyers, avec Un gars, une fille, où beaucoup se reconnaissaient dans cette caricature parce qu’il (ou elle) avait le (ou la) même à la maison. Jean Dujardin, qu’on n’avait pas vu venir, sauf peut-être à travers Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117, espion macho, bête, raciste, lourd, lâche, mais tellement drôle. Nicole Garcia, avec Un Balcon sur la mer, (2010) fut la première à le faire arrêter de rire.
Jean Dujardin, qu’on retrouve – comme par hasard ? – à l’affiche d’Infidèles cette semaine, avec Gilles Lellouche, film à sketches lourd, lourd, si lourd qu’il pourrait faire oublier les deux petits kilos de l’Oscar que Dujardin serrait dans sa main dimanche soir.
Dernière facétie avant d’attaquer les choses sérieuses avec nos cousins américains ?
T’en vas pas Jean, t’es pas des leurs…