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Le jour. D'après fred sabourin

La petite souris est partie

6 Juillet 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

« Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » (Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles)

- Déchirure -

- Déchirure -

Elle a disparue cet hiver de la vitrine du salon de coiffure devant lequel nous passions chaque fois que je t’accompagnais à l’école, une ou deux fois par semaine. C’était sûrement un signe de quelque chose, et je n’ai pas voulu le voir. Je ne m’en suis pas alarmé, j’aurais peut-être dû. On ne se méfie jamais assez de ces insignifiants détails qui annoncent parfois les catastrophes. On fait comme si, un peu insouciant, un peu dans le déni. On se dit que non, ça ne sera pas possible, pas déjà, pas maintenant. La petite souris en peluche du salon de coiffure a disparue avant que le printemps n’arrive, et toi tu vas partir alors que l’été peine à arriver.

Partir. Vivre ailleurs. Avec ta maman souris. Partir. Vivre ailleurs. Je suis amère. 221 kilomètres. C’est pas la mer à boire. Mais la potion est amère à boire.

Ta mère me l’a annoncé le 29 février. Un jour pas comme les autres, il y en a qu’un tous les quatre ans : on s'en souviendra. Sur le moment je n’ai pas cillé. Je m’y attendais un peu – comme on dit – mais secrètement je repoussais l’idée que tu partes, toi aussi. Je faisais l’autruche, la tête dans le sable, les fesses en l’air. Elle m’a botté le cul avec sa nouvelle à la con. Qu’elle s’en aille, quoi de plus naturel, depuis le temps que... Mais qu’elle t’emmène aussi toi, ma fille, mon enfant, et je ne saurais m’y faire.

Partir. Vivre ailleurs. C’est pas la mer à boire. Mais la potion est amère à boire.

On a à peine eu le temps de s’apprivoiser dans ce semi quotidien partagé entre toi et moi, que déjà il faut se séparer. Ce chemin de l’école, où nous avons vécu tant de choses, découvert la vie et le monde, ton monde, celui à la mesure de ta taille et de tes pas qui arpentaient les pavés de la vieille ville. La murette sur laquelle tu es montée, près de l’église, d’abord en me tenant la main, puis sans la main, puis presque en courant. Les multiples sauts depuis à peu près tout ce sur quoi tu pouvais grimper. Les carrefours, les petits piétons rouges et verts. Les escaliers D-P. et la vue sur la ville, la vue sur le monde. Et la toute petite ruelle pleine de crottes de pigeons que nous traversions vite vite pour éviter de s’en prendre une sur le crâne.

 

Tout cela et tout le reste - le manège, le toboggan du square V., Mélanie la boulangère, la bibliothèque et les poufs sur lesquels on se vautre les samedis d’hiver quand il ne fait ni beau ni chaud : ça déménage. Et moi je reste en rade. A quai. Echoué comme un vieux chalutier.

« La mer enseigne aux marins des rêves que les ports assassinent » (Bernard Giraudeau).

En rade. En radeau. Mené en bas-tôt. Balloté par les flots. La mer qui passe par-dessus bord me burine la gueule et se mélange aux larmes. Larmes de sel, larmes de sang. Sang-timents. Le sel me brûle.

C’est la vie, me dit celle qui t’emmène, qui t'arrache. C’était prévisible. La vie est une chienne, une chienne de vie. Certains construisent, d’autres reconstruisent. D’autres encore détruisent. Faire, défaire, refaire. Nous ne nous verrons plus qu’au prix de kilomètres et de planifications savantes, de négociations, de déceptions parfois.

 

« Depuis la nuit des temps l'histoire des pères et des mères prospère. Sans sommaire et sans faire d'impairs, j'énumère pêle-mêle, pères, mères. Il y a des pères détestables et des mères héroïques. Il a des pères exemplaires et des merdiques. Il y a les mères un peu pères et les pères mamans. Il y a les pères intérimaires et les permanents. Il y a les pères imaginaires et les pères-fiction. Et puis les pères qui coopèrent à la perfection. Il y les pères sévères et les mercenaires. Les mères qui interdisent et les permissions. Y a des pères nuls et des mères extra, or dix mères ne valent pas un père » (Fabien Marsaud, Grand Corps Malade).

- la petite souris est passée -

- la petite souris est passée -

En attendant tu vas t’éloigner, grandir dans d’autres rues, sous d’autres arbres, avec d’autres murettes et d’autres escaliers, dans une autre cour d’école sous d’autres tilleuls, auprès d’autres toboggans. Un autre s’émerveillera de tes progrès, sera le témoin privilégié de tes étonnements, de tes questionnements, de tes joies de tes chagrins de tes rires… Ton rire sardonique parfois, qui me fait tant rire justement. Nous ne partagerons plus que des moments fugaces à pas et minutes comptés, un chrono dans la main. Je te promets que nous en ferons des moments extraordinaires.

 

A l’automne déjà, y avait plus de boulot. Le printemps nous a dégouliné dessus en pluie. Voici l’été et tu es partie, petite souris. C’est déjà l’hiver qui revient. Trop tôt. Trop dur. C’est la vie.

 

« Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » (Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles)

 

F.S 06/07/2016

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A
Courage, Fred, faut rester debout, pour elle, même sous les vents forts
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