Collection printemps - été
- Comme un veilleur -
- Plaa dou Soum -
- Ca sent le sapin -
- Comportement moutonnier -
- Cabane de Cujalat -
- Heureux ceux qui ont faim : ils seront rassasiés -
- Eclaircie -
- Comme un veilleur (2) -
(c) Fred Sabourin. Avril 2013. Vallée d'Ossau, Béarn, France.
Remonter la Marne
Jean-Paul Kauffmann signe un récit de marcheur qui prend son temps, en remontant le cours de la Marne, rivière qui mérite mieux que son habituelle mauvaise réputation…
Citant le poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin, « La rivière n’oublie jamais la source car, en s’écoulant, elle est la source elle-même, » Jean-Paul Kauffmann donne à son livre Remonter la Marne une des explications sur le choix de cette rivière pour effectuer son retour aux sources. La Marne, frontière symbolique, la Marne convoitée et objet de menaces lors des guerres avec l’Allemagne, la rivière étant en effet un point stratégique avant d’atteindre Paris. « La Marne, un déni français, » dit-il en préambule à sa pérégrination de sept semaines.
Le journaliste (répétons-le ex-otage au Liban entre 1985 et 1988) a décidé de partir, sac au dos, godillots aux pieds, pour atteindre la source d’une rivière plus connue par le côté champêtre de ses guinguettes à canotiers du côté de Nogent, que pour l’extraordinaire personnalité qu’elle présente à ceux qui la côtoient. Kauffmann est aussi à la recherche d’un grand-père vétéran de la bataille de la Marne, contre-offensive de septembre 1914 qui stoppa l’avancée allemande. À la manière de Jacques Lacarrière dans Chemin faisant, 1000 kilomètres à pied à travers la France, paru en 1977 et dont il s’inspire, Kauffmann va ausculter les villes et villages traversés avec la truculence d’un La Bruyère et la poésie de La Fontaine dans la description des caractères, paysages et personnalités croisés. Car elle semble bien peuplée, cette Marne que le journaliste nous fait découvrir : éclusiers, artistes isolés sur des îles rénovées, un scientifique Japonais qui la descend, quelques propriétaires bordant la rivière pas tous aimables aux premiers abords, des invisibles ayant trouvé refuge dans des cabanons ou caravanes sur des petits terrains maraîchers, et un ami photographe qui le suit pendant quelques jours. Et puis… les cigares (seul luxe que Jean-Paul s’est autorisé à transporter dans son lourd barda) et le champagne, vin qui borde la rivière et unit les rencontres en leur donnant du pétillant. Où l’on découvre que cette France qu’on dit morte est bien vivante. Mieux même : près de la source, dans le département de la Haute-Marne, qui ne fait pas envie à grand monde, les habitants gardent jalousement le secret de la beauté de leurs paysages, dénigrés par les agences touristiques et immobilières. Que dire de l’hécatombe de l’emploi dans ces villes traversées ! Saint-Dizier par exemple, qui semble ne survivre qu’au son fracassant des avions Rafales décollant de la base aérienne…
La Seine, une arnaqueuse
Le livre de Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne se lit également avec le nez : il n’a pas son pareil pour décrire les odeurs liées à la fréquentation quotidienne d’un cours d’eau. Bois et herbes mouillés, tourbe, moisissures de champignons, feuilles mortes, rouille et même serpillière humide. Le pèlerin de la Marne, comme il se définit lui-même, fait son voyage en septembre - octobre, pendant cette arrière saison où l’été fait de la résistance, et où l’automne donne déjà les prémices olfactives de sa flamboyante saison.
Enfin, et non des moindres, Kauffmann rétablit une vérité que la Seine ne veut pas entendre depuis deux millénaires : la longueur de la Marne est de 525 km, celle de la Seine, 410. Normalement, c’est la Marne qui devrait capturer la Seine et non l’inverse, « prenant le nom de fleuve et entrant dans la légende. » Idem pour le débit : là, c’est l’Yonne qui débite plus que la Seine à leur confluence. « La Seine est une arnaqueuse, dit-il. Et la Marne, qui fidèlement la pourvoit, sa dupe depuis 2000 ans. » Tout ceci mérite bien une remontée de la Marne jusqu’à la source, une coupe de champagne en main, et pour les plus hardis, un cigare aux lèvres.
F.S
Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann. Editions Fayard.
L’indépendance journalistique en question
- Les noces du journalisme et du politique -
Vouloir dresser le portrait de Richard Ode, journaliste indépendant récemment médaillé Chevalier dans l’Ordre national du Mérite relève de l’inconscience. C’est donc consciemment que nous le faisons.
Dans le Loir-et-Cher, il y a deux sortes de journalistes qui font la bise à Maurice Leroy, ancien ministre, député, et président du Conseil général : les femmes, et Richard Ode. Faut-il voir, dans cette habitude qui atteint désormais toutes les couches de la société, un signe de liaisons dangereuses entre un homme politique qu’on ne présente plus – Momo pour les intimes, c'est-à-dire quasiment pour tous – et un journaliste incontournable dans le département depuis 40 ans ? Il ne s’agit pas pour autant du baiser de Judas, pas plus que celui de Rodin. Peut-être alors est-ce le signe d’une dépendance du journaliste et du pouvoir, et inversement.
L’indépendance journalistique, soluble dans le champagne
Evacuons tout de suite les clichés sur la prétendue indépendance des journalistes : elle n’existe plus, elle n’a d’ailleurs jamais vraiment existé. Les rédactions, hier comme aujourd’hui, de gré ou de force, ont fait leur mutation féodale envers le pouvoir de l’argent, des grands propriétaires de la presse et des médias, jusque dans les recoins les plus nauséabonds de l’activité économique. La publicité – même en baisse – a d’abord pilonné le sacro-saint désir d’indépendance clamé haut et fort par tous les plumitifs de la profession. Le déroulement implacable de l’histoire, de la politique, des forces économiques, et des propos off de fins de banquets ont fait le reste. Nous sommes tous des faux indépendants. Pire : la perméabilité entre les pouvoirs politiques successifs, de droite, de gauche et même du centre, et les journalistes est à ce point visible qu’on entend parfois les cyniques dire : « La presse est tellement libre en France qu’elle n’est même plus obligée d’être impartiale. » Rares sont ceux qui assurent une réelle imperméabilité entre le pouvoir et leur métier, entre vie privée et vie publique. Car c’est très tentant de basculer de l’autre côté du rideau, et d’accepter – au nom de l’information - les invitations à dîner en ville, les (fausses) confidences, les cadeaux (parfois), les connivences… Pour preuve, depuis une quinzaine d’années, le nombre de journalistes qui deviennent des conseillers en communication des élus de tous bords, ou des communiquants de grandes marques. Personne n’est épargné. Peut-on alors réellement choisir ses amis, même quand on est journaliste ? Ce n’est quand même pas un sacerdoce ! C’est à voir… Un journaliste biographe de politiques dit lui-même : « Un journaliste n’a pas d’amis. Il n’a que des sources. » L’expression est suffisamment large pour que chacun y trouve son compte, et vienne y étancher sa soif. Si possible au champagne.
Journalisme et communication
Lycéen à Châteaudun, faculté de droit d’Orléans, Ecole de notariat à Paris d’où il décroche un diplôme de clerc de notaire, qu’il exerce d’abord dans une étude à Cloyes-sur-le-Loir. Et le destin de Richard Ode aurait pu s’arrêter là, dans la bourgeoisie balzacienne des notaires de province. Mais, à la Rastignac, le jeune Ode a une autre idée en tête : il veut devenir journaliste. Pour cela, il doit saisir les occasions, et assurer ses arrières : barman le jour, pompiste la nuit, enquêteur Insee, il parvient, en juin 1969, à entrer comme employé de presse à la République du Centre à Orléans. Peu après, il devient journaliste professionnel, « carte de presse n° 27.820. » S’en suivent 20 ans de plume dans ce quotidien régional. En 1990 cependant, à la faveur d’une restructuration comme le monde de la presse en a le secret mais pas l’exclusivité, Richard Ode franchit le Rubicon, et passe du côté des communicants. Il est aidé en cela par Pierre Trousset, alors président de la CCI. Il le nomme chargé de communication, et rédacteur en chef de Radio Val de Loire, une radio libre, d’une liberté somme toute assez relative puisque radio locale soutenue par la CCI de Loir-et-Cher. Qu’importe ! 10 ans au cours desquels Richard peut assouvir son goût des autres grâce à un sens inné du contact. En 1999, l’aventure s’arrête brutalement, et il décide de faire chemin inverse en redevenant journaliste à la pige. C’était risqué : une fois franchit la barrière, peu de journalistes parviennent à rentrer au bercail, souvent taxé de relaps par les vieux hiboux de la profession qui n’aiment guère cela. « One foot in sea, and one in shore, » dit Shakespeare, Richard Ode conserve un de ses pieds dans l’agence de communication SAM, installée à Blois, et il est en contrat avec l’association recherche et développement d’activités nouvelles (ARDAN). Correspondant de l’AFP pour le département, et pour La Renaissance du Loir-et-Cher, Richard se distingue pour ses papiers où règne une certaine liberté de ton et un style qu’il faut parfois épurer un brin. Il s’investit également dans le Club de la Presse du Val de Loire, et récemment dans le Petit Blaisois, groupe Petit Solognot.
Journaliste indépendant ?
Finalement, la seule vraie indépendance de Richard Ode, c’est celle qu’il a vécue. Né le 1er août 1946 à Bône en Algérie, orphelin de père à dix ans, il débarque à l’âge de 16 ans en France, avec sa grand-mère, sa mère et sa sœur à Cloyes-sur-le-Loir, le 30 octobre 1962. Mais des racines familiales, sont aussi à Mayres, en Ardèche. Ceux et celles qui ont un jour visité ce département cher à Jean Ferrat, auront peut-être traversé cet étrange village constitué d’une rue principale bordée de maisons pour la plupart fermées, au beau milieu du col de la Chavade, reliant l’Ardèche et la Haute-Loire. Le climat y est particulièrement rude. Est-ce là, chez une de ses grands-mères, que Richard Ode commença à se patiner de cet air bourru, et ce marmonage permanent, souvent inaudible, dans une barbe gauloise qu’il taille deux fois par an ? Les historiens trancheront…
Comme tous les pieds noirs qui ont pris le bateau du retour, une valise pour bagage avec toute une vie dedans, Richard Ode a gardé ce sentiment mélancolique d’abandon, de revanche froissée, de résignation nostalgique, de désir fou de résilience, et surtout une grande sensibilité chaleureuse. C’est le prix à payer des déracinés d’Afrique du Nord, « qui portaient comme une étoile jaune leur accent pied noir, » dit-il d’une voix qui s’étrangle. Or c’est sans doute là que l’on touche à l’émouvant de cette décoration : « Cette médaille, c’est l’Algérie, » dira-t-il dans les premiers mots qu’il adressera à la centaine de personnes venue assister à la cérémonie. Parmi elles, un certain Lucien Martin, « le premier Français à qui j’ai serré la main en arrivant, le 2 novembre 1962. A cette époque-là, quand on arrivait quelque part, ajouta-t-il, il n’y avait personne pour vous serrer la main.» La clé de lecture du personnage Richard Ode est probablement dans ce moment précis où, ayant tout laissé derrière lui, une nouvelle vie commence, à l’aube de sa vie adulte, une seule valise dans la main gauche, celle du coeur. Il y avait quelqu’un sur le chemin, qui a tendu la main… et le reste est venu.
Richard Ode est bien vivant, Christiane son épouse, et leurs trois filles Vanessa, Marjorie et Marion en témoignent avec fidélité et… une certaine patience. Pour l’heure, il convient, au nom de la Renaissance du Loir-et-Cher, où cet indépendant journaliste a signé un certain nombre de papiers, de féliciter ce nouveau Chevalier dans l’Ordre national du Mérite. Cette récompense ne signe pas, si nous pouvons nous permettre, une arrivée, ni une récompense, ni une consécration. Mais plus sûrement une invitation à poursuivre le chemin avec l’exemplarité qu’une telle médaille impose. Car l’indépendance, en effet, se mérite. C’est sans doute ce qui fait toute sa grandeur, et surtout sa rareté.
F.S
Carte de presse 110.044
Article paru dans La Renaissance du Loir-et-Cher, vendredi 12 avril 2013
Gros mensonge
- Arbre à Bouge - (36)
Un jour, quand j’étais petit – environ 7 ou 8 ans je crois – j’ai dit un gros mensonge, et je l’ai soutenu à mon père, les yeux dans les yeux. C’était dans le Lot-et-Garonne, où nous vivions quelques années. Dans le jardin de la maison familiale, il y avait un mimosa, comme beaucoup de jardins de ce coin de Gascogne. C’était un jeune mimosa, et ses branches basses étaient à portée d’escalade pour le jeune garçon que j’étais à l’époque.
Mon père m’avait bien mis en garde : les branches étaient faibles, souples, elles pouvaient casser. Je ne devais pas monter dans l’arbre. Comme la relative souplesse des branches faisaient un effet ressort, j’aimais y monter quand même, lorsqu’il ne me voyait pas, et je rebondissais sur les branches basses. Un jour, peu avant de reprendre l’école entre midi et deux comme on disait, j’ai joué dans l’arbre. La branche a cassé. Je me suis trouvé très con, et je suis parti à l’école sans rien dire à personne. J’avais l’estomac noué, et j’ai passé un sale après midi à imaginer ce que j’allais pouvoir dire à mon père quand il verrait cela. Ça n’a pas raté : le soir, je suis rentré, mon père aussi. Il a fait le tour du jardin, avec ses chiens, comme il en avait l'habitude. Il a vu la branche du mimosa, pendante dans l’herbe. Il m’a demandé si c’était moi qui l’avais cassée, connaissant déjà la réponse. Alors j’ai dit : « non, ce sont les chiens, en jouant, qui l’ont cassée. » Mon père, abasourdi par cette énormité, m’a fait répéter. Et j’ai maintenu la même version débile, énorme, mais avec un aplomb et une effronterie telle qu’il ne savait plus quoi faire. Il m’a demandé, les yeux dans les yeux, si je ne mentais pas. J’ai dit : « non, papa, je te jure, je ne mens pas. » « Menteur ! » s’était-il écrié. J’ai été privé de sortie dans le jardin et de télévision pendant 8 jours. Mon père ne m’avait pas cru. Il avait sévi, point. Et il est allé couper la branche à raz le tronc. Je suis resté avec mon remord longtemps, très longtemps, et aujourd’hui, bêtement, en repensant à cette histoire j’en éprouve encore, même si mon père n’est plus là et qu’il m’avait sûrement pardonné, au fond. Mais je lui avais menti, et juré le contraire.
Aujourd’hui, dans la presse et les médias, un certain Jérôme Cahuzac – à une échelle autrement plus importante – a dit qu’il avait menti. A tout le monde. Le président. Les députés. Les juges. Son avocat. Les journalistes. Le public. Les Français. Sa famille. Ses enfants. J’ignore comment ces derniers prendront la chose, et comment ils pourront réparer le lien cassé entre eux. Cela ne regarde personne. Pour le reste, il devra s’expliquer avec la justice et tout le tremblement médiatique qui l’accompagne.
Mais il y a une chose qu’il va trimbaler jusqu’à la fin de sa vie, c’est le remord. Il a menti. Il a masqué la vérité. Il a soutenu mordicus un énorme mensonge. Parce qu’il a eu peur.
Il a eu peur.
Peur.
Photo (c) Laetitia Forgeot d'Arc
I have a dream...
Osez franchir la frontière (soupir...)
(c) M. Lucas. 08/2010. Gavarnie, Hautes-Pyrénées / Ordessa.