la chronique sur la vie d'aujourd'hui...
attention, travaux…
Dans ma rue il y a des travaux. Et moi j’aime regarder les travaux. C’est l’ancienne clinique Ste Marthe qui est en démolition. Le puissant tractopelle saisit de ses mâchoires d’acier le calcaire d’une pierre bien charentaise, mais devenue grise, patinée par le temps. Une maison qui s’écroule, c’est toujours un peu de l’humain qui s’en va. On imagine la vie qu’il y avait à l’intérieur. Par la façade éventrée, on aperçoit encore les restes des chambres. La peinture jaunie, les câbles pendent en triste pantins désarticulés. C’est plus fort que moi, je pense à ces vies sauvées dans ces espaces désormais à ciel ouvert. Les malades qui étaient ici. Leurs angoisses, leurs souffrances, les longues nuits de veille, quand le sommeil ne peut venir. Les rires des enfants qui visitent les malades, et font fi de l’ambiance, apportant une note joyeuse à la vie blessée. Je pense aussi aux soignants, qui ont arpentés les couloirs de cette clinique, qui ont pansés, rassurés, accompagnés malades et mourants. Au premier étage, on voit encore une tablette accrochée en hauteur : sans doute pour une télévision, précieuse fenêtre sur un monde dont on ne fait plus partie lorsqu’on est allongé sur un lit médical. Des débris de plancher pendent en drôle de langues. On voit désormais tout un espace qui auparavant nous était interdit. La perspective prend de la profondeur. C’est toute une rue qui en est changée.
Au fond de ce qui reste encore de cour, le tractopelle trône, chaud encore de sa ripaille gargantuesque. On l’entend presque digérer ce qu’il a mis au sol et ingurgité, dans un cliquetis de tôles en refroidissement, baignées d’huile chaude. Nous sommes dans ce laps de temps où l’homme hésite entre son ancienne humanité blessée et la machine surpuissante, qui vient faire du neuf. Qui des deux l’emportera ?
Je presse le pas : l’inquiétante dévoreuse de façades me regarde fixement… Je ne fais pas partie des meubles !
surf mamie, surf...
Brice… de Parisss !
On imagine pas à quel point la mer monte… Jusque dans le bus n° 95 qui passe à la gare Montparnasse. En sortant du TGV, le voyageur prend de nouveau conscience de la chaleur, et de la nécessité d’y remédier. A l’arrêt de bus sur le parvis, un homme passe, portant sous le bras… un surf ! C’est encombrant, un surf, quand on n’est plus allongé dessus du côté de Lacanau ou Hossegor… Le mieux c’est qu’il passe presque inaperçu… Encore provincial aux sens en alerte un instant auparavant, l’usager des transports urbain redevient parisien blasé dès le premier mètre de pavé.
Mon œil s’amuse de ce surfeur de bitume, qui doit faire de nombreux efforts pour faire entrer sa planche dans le bus qui vient d’arriver.
A l’intérieur, il trône fièrement à ses côtés, le teint hâlé de la tribu des glisseur, et la chemise grande ouverte. Ca y est, j’ai deviné : c’est Brice de Parisss, le roi de la glisse !
Je suis « cassé »…
le nombril du monde
« Le nouvel annuaire. Moi. Ma vie. Mes voisins. Mon quartier ». Slogan actuellement sur tous les murs du métro de Paris. Le visuel est explicite : une photo d’un ventre (homme ou femme) sur lequel est tatoué un plan de ville, avec le nombril au milieu. Le communiqué de presse précise : « l’objectif est de montrer que l’individu est au centre du nouvel annuaire. Celui-ci devient un outil qui l’aide à construire son propre monde dont il est le centre. Le nombril comme centre du plan de quartier symbolise la proximité, l’intimité et le lien (…) aider les gens à mieux s’intégrer et s’approprier le lieu dans lequel ils vivent»
Drôle d’époque ! Moi, moi, moi et… mon nombril ! L’individu triomphant, tatoué sur le ventre plat des publicités qui frisent l’obésité, quatre mètres sur trois. L’individu au centre de la vie du quartier, par définition épicentre de la collectivité, du lien social, de l’entraide. Pour quiconque a déjà vécu à Paris ces derniers temps, rien d’étonnant à cette allégorie des temps qui courent. La vie de quartier est en réalité souvent une vie de solitudes, faussement collective lors de « repas de quartiers » où on sort les petits plats, les nappes à carreaux, les chaises et les bouteilles, en oubliant l’hiver. L’été caniculaire de 2003 a rappelé à beaucoup que dans « mon quartier », parmi « mes voisins », certains étaient bien âgés, et surtout bien seuls.
Le nouvel annuaire peut-il devenir un trait d’union ? Ou bien ne restera-t-il qu’une danse du ventre, trop rempli pour les uns, et trop vide pour les autres…
Le nouvel annuaire peut-il être le nombril du monde ? De mon monde…
mais où passe le temps ??
à la bonne heure !
Le clocher de la Cathédrale s’est tu. Et pourtant nous ne sommes pas dans cet espace – temps entre le soir de la Cène et le tombeau ouvert : les cloches ne sont pas à Rome ! Elles sont bien là, mais se taisent.
Les cloches sont des personnes, on leur attribue un prénom (féminin, sauf le bourdon…), et il faut parfois les soigner. Leur support de bois, madriers forts et résistants, plient sous l’action du balancement de la fonte sacrée. Au bout d’un siècle, il faut les changer. Aussi, les ouvriers les ont bâillonnées.
Leur fierté est à l’arrêt. Plus de sons, plus de ritournelles, trois coups au quart d’heure, quatre fois trois à l’heure pile. Marteau frappée sur « Marie » la cloche des heures (1,5 tonnes…) en sourdine. Comme un silence sur la partition de la ville.
Et on ne sait plus quelle heure il est ! Dans le paysage sonore de l’urbain plateau, plus de marque du temps. Plus d’appel à la prière des anges, ni à 8 heures, ni à midi, ni à sept heures du soir, clin d’oreille au soleil qui s’en va. De mon bureau sous les arcades du clocher nord, plus de résonances. Je ne sais plus l’heure, et je me perds. Suis-je en retard ? Suis-je en avance ? Où est passé le temps ? « On ne voit plus le temps passer » disent certains. « Le temps fait beaucoup" disent d'autres. Sagesses populaires ressassées pour exprimer notre dégoût et angoisse de la vie déjà partie et dont on ne sait si elle reviendra. « Vienne la nuit, sonne l’heure, ni le temps passé, ni les amours reviennent… ». Sous le clocher de la Cathédrale coule l’heure. Revenez, cloches qui rythmez la vie, la prière et le temps : Pierre et Paul, Marie, Henriette, Caroline et Marguerite. Ainsi les cloches nous disent : à la bonne heure !
il fait dimanche...
Esprit, es-tu là ?
Dimanche matin. Fête de « Pentecôte ». Dimanche de juin surtout, le premier qui décide de prendre ses quartiers d’été. Raison suffisante pour pousser un peu plus ma bicyclette où le pain et le journal frais sautent sur le porte bagages, en revenant des halles. Je pousse donc jusqu’aux remparts, ce « balcon du sud-ouest », selon le poète. La place Beaulieu est vide… Vraiment vide ! Pas une voiture, pas un piéton, pas un chien qui ne promène son maître : rien ! Pour l’étranger à la ville, ce spectacle n’aurait rien d’un événement. Et pourtant, je vous dit qu’il est très rare de voir cette place vidée de tout artifice de la vie moderne. Je regarde l’ordonnancement des platanes. La rectitude austère des grilles du lycée Guez de Balzac. La verticalité du clocher de St Ausone, qui dépasse comme un iceberg des murs protecteurs de la ville. Le ruban gris de bitume qui s’en va à perte de vue, comme une piste de décollage. Des lignes, graves, dures, fortes, mais aussi la chaleur des arbres qui invitent à la folie. La lumière du matin rend ce lieu encore plus cru. On cherche en vain le « premier homme ». Il se cache. Il se tait. A-t-il peur ?
Par dessus les arbres, juste sous le ciel bleu du peintre, les feuilles bruissent doucement. Le vide n’est pas total : il y a un peu de vent. Alors je me souviens de la fête du jour, et j’interroge : Esprit, es-tu là ?