Et de trois ! (trois p'tis chats, trois p'tis chats...)
A ma fille
Je sais qu'un jour viendra car la vie le commande
Ce jour que j'appréhende où tu nous quitteras
Je sais qu'un jour viendra où triste et solitaire
En soutenant ta mère et en traînant mes pas
Je rentrerai chez nous dans un "chez nous" désert
Je rentrerai chez nous où tu ne seras pas.
Toi tu ne verras rien des choses de mon cœur
Tes yeux seront crevés de joie et de bonheur
Et j'aurai un rictus que tu ne connais pas
Qui semble être un sourire ému mais ne l'est pas
En taisant ma douleur à ton bras fièrement
Je guiderai tes pas quoique j'en pense ou dise
Dans le recueillement d'une paisible église
Pour aller te donner à l'homme de ton choix
Qui te dévêtira du nom qui est le nôtre
Pour t'en donner un autre que je ne connais pas.
Je sais qu'un jour viendra tu atteindras cet âge
Où l'on force les cages ayant trouvé sa voie
Je sais qu'un jour viendra, l'âge t'aura fleurie
Et l'aube de ta vie ailleurs se lèvera
Et seul avec ta mère le jour comme la nuit
L'été comme l'hiver nous aurons un peu froid.
Et lui qui ne sait rien du mal qu'on s'est donné
Lui qui n'aura rien fait pour mûrir tes années
Lui qui viendra voler ce dont j'ai le plus peur
Notre part de passé, notre part de bonheur
Cet étranger sans nom, sans visage
Oh! combien je le hais
Et pourtant s'il doit te rendre heureuse
Je n'aurai envers lui nulle pensée haineuse
Mais je lui offrirai mon cœur avec ta main
Je ferai tout cela en sachant que tu l'aimes
Simplement car je t'aime
Le jour, où il viendra.
Charles Aznavour
12 millions d’élèves, et toi, et toi, et toi…
L’année dernière à pareil époque, j’étais tombé par hasard lors d’une promenade en ville sur la boîte à musique rose bonbon d’où jaillit une danseuse en tutu montée sur ressort et qui tourne sur elle-même. Cette boîte, offerte le jour de tes deux ans, a donné lieu à un texte qui a jaillit lui aussi, mûri cependant pendant plusieurs jours avant de le mettre en ligne sur ce blog. Il a occasionné énormément de commentaires, la plupart en privé, et une franche émotion chez certains lecteurs (et lectrices). J’en fus à la fois sincèrement étonné tout autant que content. Au fond je crois que c’était la première fois que je publiais quelque chose d’aussi personnel et véridique, et c’est sans doute ce qui a touché un certain public.
Cette année, je ne tombe pas pour l’instant sur quelque chose qui ferait à la fois l’objet d’un cadeau pour ton troisième anniversaire, et m’inspirerait un quelconque texte à l’instar de celui de septembre dernier. Je ne me force pas, laissant le hasard, les coïncidences faire leurs œuvres. Si quelque chose doit venir, ça viendra. Et l’émotion suscitée se traduira, peut-être, par quelque chose d’écrit.
Cette année, en fait, le cadeau c’est plutôt toi qui me le fais. Tu viens de rentrer à l’école. La première école, celle qu’on appelle « maternelle ». Celle que des ayatollahs sectaires d’une prétendue égalité hommes-femmes érigée au frontispice de ministères sur la rive gauche parisienne voulaient récemment gommer, pour remplacer par je ne sais quelle expression vidée de sens. Toi, tu t’en fiches comme de tes premiers chaussons, et tu étais très contente d’y aller, à l’école maternelle, en petite section (noté de l’acronyme « PS » sur la feuille à l’entrée de ta classe… Epatant…).
Ce matin-là, dans le petit matin frais et ensoleillé de septembre, l’été enfin revenu, nous t’avons donc accompagné à l’école. Pour la première fois de ta vie, et sûrement pas la dernière. Ta petite main dans ma grosse pogne, l’autre dans celle, plus fine, de ta mère. Avec un tee-shirt que tu avais choisi (de couleur rouge avec un éléphant imprimé dessus, pour ceux qui pensent encore que seuls le rose et le bleu caractérisent les mômes), et tes chaussures usées par le goudron de la crèche. « C’était bien la peine d’acheter des souliers chics BCBG en cuir d’une grande marque anglaise », me suis-je dit…
« Ralentir : école ! » Disait un humoriste habillé en salopette à rayures et tee-shirt jaune : on allait quand même pas y aller en courant… Nous y sommes donc allés en marchant normalement, si tenté que désormais le mot « normal » revête encore une certaine normalité, justement. A l’entrée, nous n’étions pas les seuls, mais, comme beaucoup, nous étions en avance. J’ai donc eu tout le loisir de regarder d’un œil amusé le portail peint en blanc, ajouré d’une grille, d’une hauteur d’environ un mètre cinquante. « C’est symbolique », ai-je pensé, me souvenant de la porte en ferraille peinte en vert sapin qui m’avait accueilli 38 ans plus tôt dans une école maternelle du Poitou. C’était en 1976, la fameuse année de la sécheresse, millésime fabuleux pour certains vins. Ce portail je m’y suis souvent par la suite agrippé en hurlant, vociférant, pleurant et même vomissant pour ne pas le franchir. Tes débuts à l’école ont donc été très différents des miens, même si, symboliquement, nous t’avons vus pleurer au moment où nous allions te quitter.
Des pleurs il y en avait beaucoup, ce matin-là dans cette petite école maternelle, et il y avait beaucoup de papas, de mamans et de doudous pour essuyer toutes ses larmes de chagrin. Pensez-donc ! l’école… Qui sait où cela conduira ?
Puis nous avons franchi de nouveau le portail, et chacun est parti vers ses activités. J’aurais aimé attendre encore un peu vous voir si une cloche sonnait, annonçant le début officiel des activités. Je ne crois pas qu’il y ait de cloche dans ton école. Ou alors ce n’est pas celle qu’on imagine… Souvent, dans la journée, j’ai pensé à toi me demandant ce que tu pouvais faire pendant que je gagnais laborieusement ma croûte qui est aussi la tienne. J’avais peur, sincèrement, que cela ne se déroule pas bien, j’imaginais aussi les plus grands terrorisant les plus petits comme ça avait été le cas à mon époque. Bref : je m’inquiétais comme on peut s’inquiéter ce jour-là de façon paternaliste. Le soir ta mère est venue te chercher, et tu as fait une colère de tous les diables : tu ne voulais pas partir de l’école… Ça te passera.
Finalement, le cadeau surprenant il est là : j’avais tout imaginé sauf ça. Je me sentais fier, au fond, de cette journée pour toi et pour moi. C’était une vraie journée de rentrée scolaire : le ciel était bleu azur, le soleil brillait mais sans chaleur excessive, les marronniers sur la place perdaient leurs feuilles et leurs marrons. Les cartables sentaient le neuf. Les habits aussi. Les rues étaient encombrées de voitures, d’enfants courants en tous sens et d’adolescents comparant leurs téléphones en ricanant bêtement (pléonasme). Voilà, tout était « normal ». 12 millions d’élèves venaient de retourner « à l’usine », certains pour la première fois (sans trop le savoir) d’autres peut-être pour la dernière fois (sans s’en douter).
Vous étiez 12 millions, mais je me sentais, moi, seul au monde avec toi, « en serrant dans ma main tes petits doigts ».
Ma fille, mon enfant : merci pour ce moment.
Immortelle randonnée - Jean-Christophe Ruffin
Pendant toute cette phase du chemin, j’ai multiplié les expériences spirituelles, visitant chaque ermita placée sur ma route, prenant part aux offices du soir dans les chapelles, les églises. J’ai pu mesurer dans quel état particulier se trouve aujourd’hui le petit monde de la chrétienté, en particulier en Espagne.
Si les messes dominicales regroupent encore beaucoup de monde, les offices du soir n’attirent que des personnes très âgées. Le service du prêtre semble fait pour elles seules et j’ai vu quelques officiants bâcler l’affaire, visiblement agacés de gâcher leur talent devant un si maigre public.
Dans certains endroits, la ferveur reste impressionnante malgré (ou à cause) du vide des bâtiments. Je me souviens d’un soir au Pays basque où, dans une église humide qu’ornaient de simples croix de fer forgé, une femme assez jeune enchaînait les ave maria en roulant les « r », déclenchant les réponses rocailleuses de l’assistance, semblables à des avalanches de pierres. A mesure que se répétaient les simples et brèves paroles de la prière, on sentait une tension monter dans l’église. Malgré le nombre relativement restreint de fidèles qui y étaient rassemblés, le lieu semblait empli d’énergie spirituelle. Quand, enfin, le prêtre fit son apparition dans le chœur, sa présence provoqua une véritable catharsis et peut-être çà et là quelques émois plus intimes.
Le pèlerin, en passant d’un lieu de culte à un autre, effectue une véritable coupe géologique à travers les différentes strates chrétiennes du pays.
Dans les fastueuses cathédrales, il rencontre l’élite du clergé, les prêtres les plus saints ou les plus habiles, ceux qui ont u tirer leur barque au sec et se sont fait attribuer, à défaut encore de la pourpre, de riches prébendes, des diocèses confortables, les plus belles cures. A l’autre extrémité, dans les campagnes reculées, survit à peine un clergé tout proche des usages païens qu’il est censé combattre. C’est là, dans ce lumpen-clergé, que l’on trouve tous les effets de la pauvreté, de la promiscuité, de la tentation qui sont autant de stigmates du Christ. Prêtres incompétents, alcooliques parfois, fornicateurs peut-être, quand ils se recrutent parmi ces pauvres pasteurs de campagne semblent pouvoir être, sinon absous, du moins jugés avec clémences. Ils ne cultivent pas leurs vices comme des privilèges de nantis mais plutôt comme les rares consolations qui leur soient offertes pendant une vie de misère. Mais ce sont des personnages de Graham Greene plus que de Barbey d’Aurevilly.
(chapitre Une belle tranche de chrétienté)
(…)
Dans l’état d’hébétude où j’étais en avançant dans les rues, cette épopée me fournit une matière à rêver. Le départ du Primitivo me projetait dans l’escorte du roi Alphonse. Je tentais de voir par ses yeux et imaginais les reliefs que je traversais à l’époque où ils n’étaient encombrés ni de trottoirs ni de chaussées, ni d’immeubles ni de magasins. Les personnages de bronze grandeur nature que les Espagnols aiment répandre dans leurs villes comme autant d’étranges silhouettes immobiles me semblaient avoir été les témoins pétrifiés, dans leur immobilité de statue, de la sortie triomphale d’Alphonse de sa capitale. Assez longtemps, deux ou trois heures peut-être, je conservai assez d’aptitude au rêve pour imaginer les oriflammes claquant au vent frais des combes, les villageois assemblés pour acclamer le roi, la procession des courtisans empressés de chevaucher au plus près du monarque. Ces derniers, je les voyais bien : la vie m’a donné le privilège d’observer de près ces grands animaux, félins mineurs ou fauves carnassiers, reproduits à l’identique depuis le fond des âges et pour les siècles des siècles, dressés à flatter les puissants autant qu’à mépriser les faibles et que l’existence, quoi qu’on en dise, récompense contre toute morale : je veux parler du peuple éternel et redoutable des lèches-bottes.
(chapitre Sur les traces d’Alphonse II et de Bouddha)
Ce dernier passage est particulièrement délicieux... (note personnelle)
Editions Guérin, 2013.