Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le jour. D'après fred sabourin

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

5 Juillet 2023 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

C’était un jour gris sans véritable personnalité. Le temps semblait hésiter, entre montée de brumes épaisses, annonciatrices d’humidité, et quelques trouées laissant passer de rares rayons de soleil. La lumière, par instants fugaces, était quand même assez belle et faisant ressortir le vert d’une nature visiblement très arrosée depuis plusieurs semaines. Une nature abondante, généreuse de verdure et de couleurs éclatantes. Les fleurs de montagne – quelques orchis encore, des chardons pointant leurs épines vers le ciel cotonneux, pas mal d’autres variétés dont malheureusement j’ignore le nom – brillaient de mille couleurs. Dominantes de jaune, rose cyclamen, bleu… La terre sentait cette odeur si caractéristique de pierres humides et de fougères entêtantes. Tous les sens étaient en éveil, même le goût, en étanchant ma soif à la fraîche fontaine de Bart : la saveur incomparable d’une source… La sueur me perlait en grosses gouttes dans le dos, sur le torse, et je sentais la ceinture de mon short bientôt saturée d’humidité. Parti de 400 et quelques mètres, l’objectif premier était à 1347 mètres, au col de la Courade. Rien de bien méchant, mais il fallait quand même s’envoyer 900 mètres, en peu de distance. Ce fut fait en deux heures, pile ; la cloche de Gère sonnait 10 heures quand je doublais la petite église ; je posais sac à terre, plus exactement sur la margelle d’un abreuvoir à vaches à midi pile. Mis à part une carcasse de vache croisée aux trois-quarts de l’ascension, je n’avais vu personne. Personne de vivant, devrais-je dire.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Au départ du chemin, la rumeur de la route départementale reliant Pau vers le nord, Laruns et l’Espagne vers le sud, me gênait : je ne parvenais pas à m’en débarrasser, je savais que le bruit disparaîtrait mais quand ? Il cessa net, je ne m’en aperçut finalement pas tout de suite. C’était pourtant comme si on avait brutalement coupé le son d’une télévision. Je me trouvais donc seul au col de la Courade, quelques vaches au Pla dou Soum faisaient tintinnabuler leurs grosses cloches. Je les distinguais à peine dans le brouillard désormais bien accroché. De temps à autre, quelques micro-gouttelettes semblaient en annoncer d’autres, plus fortes, mais nous restions dans le style crachin. Je pris la décision de monter un peu plus haut, vers les Rochers des Cinq Monts. Le sentier s’éleva franchement – 300 mètres de dénivelé en peu de temps – je suais abondamment et sentais bien la pente sous mes godasses. Au sortir d’un bois situé sous la crête de Bouhaben, le chemin se fit très boueux, labouré par les sabots des vaches qui avaient dû passer là peu de temps auparavant. Je commençais à entendre le son de leurs cloches. Une biche – ou un chevreuil – jappa de son rauque et guttural aboiement, mais vraiment assez loin, il ne pouvait m’avoir repéré bien que je puisse parler par moment à voix haute. La boue collait à mes grolles, c’était pénible et je devais louvoyer d’un bord à l’autre de ce cloaque pour ne pas m’enfoncer. J’avançais lentement, et n’y voyais pas à plus d'une trentaine de mètres. La faim commençait à me tenailler, et comme j’avais bêtement oublié mon couteau, je dus chercher une pierre très plate, style copeau d’ardoise, pour faire office de. J’y parvins et je passais le reste du chemin qui me séparait de la cabane de Gerbe d’en haut à la nettoyer consciencieusement avec mes doigts mouillés par les herbes humides, sur lesquelles je prélevais quelques gouttes d’eau au passage.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je trouvais la cabane dans un léger contrebas, guidé par les vaches que j’imaginais bien groupées près d'elle. Elles y étaient, et paissaient, paisibles. Elles semblaient surprises devoir arriver l’humain, je restais cependant à distance, ayant repéré la présence au milieu d’elles d’un petit veau. Je les guettais du coin de l’œil en tartinant mon pâté avec mon couteau de fortune, mais bien vite je dus rentrer à l’abri dans la minuscule cabane. Celle-ci ne contenait qu’une table style bistrot, et une chaise. Ne voyant personne d’autre par ici, cela convenait parfaitement. Je pris, en mastiquant mes tartines, la décision de m’en tenir là, vu le temps et l’absence de visibilité. Sur la carte, je voyais une autre cabane – la Gerbe d’en bas – où je pensais me rendre directement sa avoir à refaire à l’envers le chemin qui m’avait mené jusqu’ici : la longue piste serpentant entre les granges. Je repartais donc, sans savoir si, comme je le lisais sur la carte, je pourrais descendre droit dans la pente herbeuse en direction de cette cabane. Mes pas faisaient un bruit de succion, la boue me collait aux semelles. J’étais en train de remonter une sente au sortir d’un bois que j’avais pris tout à l’heure, labouré par les vaches. Régulièrement, je jetais un œil à droite vers la pente herbeuse, ne parvenant pas à me décider de m'y engager. Les herbes, désormais bien mouillées, devaient glisser sévèrement. J’entendais d’autres vaches en bas, probablement elles aussi près de la cabane que je visais. Elles ne me semblaient pas si éloignées, mais comme je n’y voyais rien, la prise de décision s’en trouvait aussi réduite que ma visibilité. Je tergiversais : allais-je plonger dans l’herbe humide, coupant droit, en espérant que.... ?

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

C’est alors qu’il surgit, flanqué de deux chiens sur ses talons, un parapluie en bandoulière, une veste posée sur l’épaule, chaussé de bottes en caoutchouc, un bâton à la main. Il arrivait de son côté où la pente s’élevait aussi, le chemin formant à cet endroit une sorte de petit dôme, si bien que ni l’un ni l’autre ne pouvions voir arriver quiconque, sauf au dernier moment. Un surgissement, une apparition tout droit sorti du brouillard. Il ne parut pas plus surpris que cela ; moi oui ! J’étais d’ailleurs en train de marmonner mes pensées et tergiversations, comme un moine dans son cloître, lisant l’office. L’homme, coiffé d’une casquette, propriétaire des vaches plus bas – j’allais bientôt le savoir – répondit à mon « bonjour » par un : « alors, on se promène ? ». Je répondis oui, et j’en profitais pour lui demander où était précisément la cabane de Gerbe d’en bas. « Elle est par là », me dit-il, me montrant la pente que je lorgnais depuis tout à l’heure. Je lui fis part de mon hésitation à descendre direct, et il me dit : « j’y vais, vous voulez me suivre ? Ce sont mes vaches en bas ». Comment refuser une telle invitation, providentielle, qui me permettrait d’économiser environ une heure de marche ? J’embrayais derrière lui, tâchant de ne pas trop me laisser distancer, redescendant ce que je venais de monter dans la boue. Tout à coup, il prit à gauche direct dans la pente, et c’était parti. Les herbes glissaient, en effet, ses chiens se retournaient régulièrement en me guettant, intrigués par ma présence, se demandant sans doute quand j’allais me casser la gueule. Il fallait que je cavale bon train, l’homme, bien qu’en bottes, descendait à bonne allure et son pied était davantage montagnard que le mien, qui n’avait pas foulé les pentes pyrénéennes depuis fin mars. À l’entrée d’un passage boisé, une vache noire aux vastes cornes meuglait, solitaire. Le vacher s’arrêta auprès d’elle, on aurait dit qu’il lui parlait (sans doute lui parlait-il, mais je n’entendais pas à la distance où je me trouvais encore) me permettant de le rattraper, ayant perdu un peu de temps dans cette descente acrobatique. Était-elle à lui ? Il ne prit pas la peine de la ramener vers le bas en tout cas, et jetant un œil vers moi, voyant que j’arrivais (enfin !), il reparti aussitôt s’enfonçant dans le bois sombre, et très pentu. Un mince sentier descendait direct, ça frottait de part et d’autre tant il était étroit : je ne l’aurais probablement jamais trouvé tout seul. Je le perdis de vue, mais j’entendais de plus en plus les vaches en contrebas, signe que nous approchions. Au sortir du bois, il m’indiqua le croisement avec le sentier qui débouchait de la cabane de Gerbe d’en haut, que j’aurais pu prendre si j’avais su qu’il existait… Enfin, quelques courtes minutes plus tard, nous arrivions près de la cabane. Combien de temps avait duré cette descente infernale ? Dix minutes, tout au plus ? Peut-être quinze ? Le vacher me dit alors : « voilà, vous y êtes, c’est 200 euros ! » me lança-t-il en rigolant. « Je vous ai fait gagner une heure de marche en évitant le détour ». Et il me parla des gens qu’il croisait à Bious Artigues, pendant la pleine saison estivale, « des gens perdus qui ne savent plus trouver leur chemin ». Je m’étonnais de ce fait, Bious Artigues est un lieu facile, je ne vois pas bien comment on peut s’y égarer, même dans le brouillard ! « Ah si, pourtant, vous n’imaginez pas », ajouta-t-il. « Des Espagnols notamment… ». Je songeais en moi-même aux vers d’Hugo, « c’était un Espagnol de l’armée en déroute, qui se traînait sanglant sur le bord de la route… », et cela ne m’étonnait pas.

Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)
Surgissant du brouillard (une rencontre en altitude)

Je demeurais encore quelques minutes, à observer la cabane, à inspecter l’intérieur, et à regarder les vaches se rassembler auprès du vacher et de ses chiens, leur intimant l’ordre, en leur parlant par onomatopées, de remonter le chemin que nous venions de dévaler. Les chiens revinrent une dernière fois vers moi bille en tête, comme s’ils voulaient me dire quelque chose – mais quoi ?  - et repartirent au cul des vaches. Je les regardais s’éloigner, puis ne les voyais plus mais les entendais encore un bon moment, jusqu’à ce que je décide de repartir, seul, sur le sentier qui continuait de descendre vers Gère, et la vallée. « C’est par là, vous ne pouvez pas vous tromper », m’avait dit le vacher en guise d’adieu. Agitant mon béret, je l’avais chaleureusement remercié, et salué d’un « adichas ! » tel qu’on peut se le dire par ici, même si moi, je ne suis pas vraiment d’ici. Le vacher me salua de la main, tout en continuant à cavaler vers ses vaches, ses chiens à ses trousses. Ce concentré d’évènements éclaira ma journée plus sûrement que le soleil, que je n’avais point vu…

F.S. juillet 2023

Lire la suite