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Le jour. D'après fred sabourin

Démission de Nicolas Hulot : et pendant ce temps-là...

29 Août 2018 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne, #édito

Le ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot a démissionné mardi 28 août, au cours d'une émission matinale sur France Inter, sans préméditation semble-t-il (sauf pour lui et encore !). Dénonçant la forte présence des lobbys au plus haut niveau de l'État, Nicolas Hulot estime même de ce fait la démocratie en danger. Illustration des inepties écologiques avec l'agrandissement du refuge des Sarradets, sous la Brèche de Roland, à Gavarnie dans les Hautes-Pyrénées.

- le refuge des Sarradets, en août 2018 -

- le refuge des Sarradets, en août 2018 -

Les randonneurs et férus des Pyrénées ne peuvent pas le manquer : au nord ouest sous la brèche de Roland, à 2587 mètres d'altitude, le refuge des Sarradets, en travaux depuis 2016, fait peau neuve. Inauguré en 1956 par Maurice Herzog, d'une capacité de 57 places, ce refuge emblématique se voit doté d'une extension qui portera sa capacité à 70 couchages. L'ancien refuge, en pierres et en béton, ne sera pas détruit. Il est actuellement rénové. Les travaux ont pris du retard : il était prévu de le rouvrir pour l'été 2018, il le sera plus probablement pour celui de 2019. De grandes terrasses y sont aménagées, le point de vue sera aussi exceptionnel que le panorama qu'on peut y admirer. Cependant, on s'interroge sur l'opportunité, il y a 70 ans, d'avoir choisi d'implanter à cet endroit-là ce refuge, défigurant à jamais l'un des sites pyrénéens les plus exceptionnels. Un randonneur qui se rendait au Taillon (3144 m) le 1er août, que je crois avoir reconnu comme étant très probablement de Patrice de Bellefon, auteur pyrénéiste fameux, disait à ses deux compagnons de cordée du jour : "c'est quand même étonnant d'avoir choisi, à l'époque, d'implanter là ce refuge... Il aurait été plus logique de le placer en amont du col de Sarradets, près de la cascade". Et il s'étonnait aussi des travaux pharaoniques d'agrandissement de ce refuge, par "le très écologique CAF" (Club alpin français, Ndlr). Le coût global des travaux avoisine les 3,1 millions d’euros financés par le FEDER (fonds européens), le FNADT (aménagement et développement du territoire), la Région Occitanie, le Département des Hautes-Pyrénées, l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), l’Agence de l’Eau, le Parc National des Pyrénées et la FFCAM (Fédération française des clubs alpins et de montagne).

- Le cirque de Gavarnie et le refuge des Sarradets en août 2016 - (photo M. Lucas)

- Le cirque de Gavarnie et le refuge des Sarradets en août 2016 - (photo M. Lucas)

Bien entendu, la construction de l'extension du refuge de Sarradets respecte scrupuleusement un cahier des charges draconiens en matière de "protection de l'environnement", dans l’utilisation des matériaux, de recyclage, de basse consommation etc., tout l'arsenal habituel désormais connu. Y travaillent des entreprises locales, ce sont des "emplois non délocalisables" comme le dit la formule consacrée, réjouissons-nous.

Cependant on s'interroge sur l'opportunité, dans le contexte que nous connaissons actuellement (réchauffement climatique, surfréquentation touristique des grands sites protégés, fonte du permafrost entrainant des éboulements dans les Alpes, fonte des glaciers dans les Pyrénées et pas plus loin que celui d'Ossoue, au Vignemale voisin, etc.), d'une telle construction. Il en a été de même il y a quelques années chez nos voisins espagnols, au refuge de Goritz sous le Mont Perdu, dans le canyon d'Ordesa (72 couchages). À quelle logique et quels lobbys obéissent cette construction ? Peut-on se plaindre d'un côté de la destruction progressive et accélérée de la biodiversité, du réchauffement climatique qui transforme petit à petit la terre en étuve, des conséquences des gaz à effet de serre, bref, de tout ce qui vient de pousser Nicolas Hulot, dans un sanglot réprimé de justesse à l'antenne, à la démission, et continuer comme si de rien n'était de coloniser les sites dits protégés en y favorisant le tourisme de masse ?
Même si ici il y a un « trou dans le mur », on ne va plus « droit au mur ». On est dedans.

 

F.S.

- la brèche de Roland, août 2013 -

- la brèche de Roland, août 2013 -

- refuge des Sarradets, août 2016 - (photo M. Lucas)

- refuge des Sarradets, août 2016 - (photo M. Lucas)

- Cirque de Gavarnie et refuge des Sarradets, août 2016 - (photo M. Lucas)

- Cirque de Gavarnie et refuge des Sarradets, août 2016 - (photo M. Lucas)

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T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…

5 Août 2018 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

- Il y eut un soir -

- Il y eut un soir -

Elle ne doit pas aimer le cirque, Marie : elle lui tourne le dos. Elle ne voit pas le fabuleux spectacle de l’amphithéâtre de Troumouse et ses 11 kilomètres de circonférence. Ceinturée de bleu, un voile lui couvrant les cheveux, les mains croisées sur sa poitrine comme pour fendre le vent du nord qui doit la gifler 300 jours par an : elle trône, sur son piédestal de pierre, fixant la vallée et là bas au loin, sa sœur jumelle bien à l’abri dans sa grotte au bord du gave, à Lourdes. La vierge de Troumouse a les pieds froids dans le petit matin frais des étés chauds mais semble se moquer comme d’une guigne des éléments et des grimpeurs qui caressent les flancs de la Munia, 1.200 mètres au dessus de sa tête, culminant à 3.155 m au dessus du niveau de l’océan. Pour être sûrs de ne rien rater du spectacle du couchant et du levant, c’est à ses pieds justement que nous avons déplié le duvet, lui tournant le dos en espérant qu’elle ne nous en tienne pas rigueur. Puisqu’elle semble vénérer l’humanité là bas tout en bas, nous vénèrerons le mur de son appartement, là bas tout au sud…

- Il y eut un matin -

- Il y eut un matin -

Dormir à ses pieds, drapé comme elle dans les étoiles ; s'éveiller dans l’haleine froide et humide des roches et des névés, cette « sueur froide » du cirque, sensation olfactive à nul autre pareil… Dormir à ses pieds, enveloppé dans ce cirque majestueux, le mur du fond d’une chambre à coucher pas comme les autres. La tête bien calée sur l’oreiller gonflable, le dos à l’aise autant qu’il est possible sur le tapis de sol adéquat pour ce genre de nuit sobre et spartiate à la fois ; pas besoin d’éteindre la lumière : le variateur naturel fait le job. Petit à petit, les cinquante nuances de gris des parois quasiment verticales du cirque de Troumouse se teintent d’oranger, puis de rose, puis de gris foncé puis de noir. Une première étoile apparaît. C’est la nuit. Il faut dormir, demain, dès l’aube, à l’heure où ne blanchira pas la campagne (et c’est heureux car nous dormons dehors), il faudra ouvrir les yeux de bonne heure pour profiter du spectacle inverse. Cette nuit n’est pas une nuit : c’est un drive-in grandeur nature. Un time lapse comme on dit aujourd’hui (un « accéléré »), mais sans le filtre d’un écran de smartphone et surtout : en temps réel, sans autre connexion que celle du corps avec le sol. Hormis le bruit des cloches d’un troupeau de vache qui imperturbablement ruminent quelle que soit l’heure, et hormis la statue de la vierge deux mètres au dessus de nous, nous sommes absolument seuls dans le cirque. Nuit sauvage. Sylvain Tesson le dit dans une récente interview au Monde : « Éteignez tout et le monde s’allume ».

T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…

Comme souvent ces nuits-là, on ne dort pas très bien. Pas seulement à cause de l’inconfort relatif lié à la situation du « sommier », cette couche sédimentaire de plusieurs millions d’années que l’on a pourtant tenté par tous les moyens de rendre la moins dure possible. Non, en réalité on ne dort pas bien car, manquant d’habitude, le moindre bruit maintien en éveil, le moindre souffle fait ouvrir l’œil, tout devient suspect malgré le désert du lieu. On ne se sent pas « seul », ce coin de terre et de cailloux semble habité par des centaines de petits farfadets, d’animaux sauvages qu’on devine au loin (isards, marmottes, bien que celles-ci doivent dormir à poings fermés selon leur réputation…), insectes persistants à cette altitude et se gavant des restes de pique-niques des promeneurs diurnes, bétail placide indifférent à la nuit. Mais il y a mieux : ce cirque semble habité par l’esprit, l’esprit du lieu, l’esprit de Pyrène, l’esprit de ce massif de Gavarnie-Mont Perdu-Ordessa, et de ses 35 millions d’années qui semblent vouloir à tout prix nous écraser. Un avantage de taille cependant : à 2.100 mètres, les moustiques volent bas, beaucoup plus bas même, et l’absence de cette dérangeante compagnie ne nous manquera pas un instant.

T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…

La vraie raison pour laquelle on dort « mal », c’est qu’à chaque fois qu’on entrouvre les paupières, le plafond nous happe, littéralement. Il est à chaque heure différent, couvert de constellations qui font leur cinéma permanent côté cour et côté jardin ; le spectacle de la voie lactée est saisissant. Comme le disait l’autre jour un camarade de jeu de ces randonnées et souvent lui aussi voisin de chambre à coucher sous tente, d’abris sous roche ou sous la voûte étoilée : « la montagne est grande, et tu es bien petit ». C’est sur cette banale philosophie que je sommeille à moitié, « mangé » par l’immensité de l’univers, le cirque à mes pieds. En tendant les orteils, je pourrais le toucher… 

T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…

« Rien ne s’oppose à la nuit » chantait Baschung, sauf quand elle accouche du jour. Impossible de le manquer, ce point où tout bascule : le froid se fait plus vif, d’abord insidieusement, puis de manière plus franche. Il faut remonter le duvet par-dessus les épaules, puis clore complètement la fermeture éclaire. Il est cinq heures, Paris s’éveille mais la ville et son grouillement frénétique sont si loin. À six heures certaines étoiles disparaissent, la voie lactée n’est plus qu’un fantôme évanouie. C’est le moment qu’il ne faut pas rater, cet entre loup et chien où il est impossible de savoir avec exactitude si c’est le jour qui vient où la nuit qui revient… Là bas, au loin et pourtant toute proche, la paroi commence à sortir du noir. Des nuances de gris réapparaissent. On se lève péniblement, mais mue quand même par le désir de jouir du spectacle qui s’offre désormais à nous. À l’ouest, les crêtes les plus éloignées du levant se teintent de rose, puis d’oranger : c’est le mouvement inverse de la nuit commencée quelques heures plus tôt seulement. Seul le souffle gazéifié du réchaud fend le silence et le café brûlant est le bienvenu. Il faut boire le matin, et partir. Quelques minutes plus tard, « équipés-bottés » nous attaquerons l’ascension de la Munia par son couloir nord, la dalle Passet, le « pas du chat » et la crête qui n’en finit plus.
 

Pour cela, nous quittons la compagnie de la vierge – qui l’était toujours après la nuit, notez bien – et c’est désormais aux « deux sœurs » qu’il faut orienter notre boussole, ces deux canines inversées à mi pente qui signalent le couloir caché au nord, prenant directement vers le sud-ouest en épingle à cheveux, où il est hautement probable que la neige nous attend…

- Couloir - (au fond : "les deux soeurs")

- Couloir - (au fond : "les deux soeurs")

- Autoportrait de l'auteur en béret -

- Autoportrait de l'auteur en béret -

- Perspective -

- Perspective -

- Le battement d'aile d'un papillon -

- Le battement d'aile d'un papillon -

T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…
T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…
T’as vu la vierge ? Oui, j’ai même dormi à ses pieds…

(c) FS 6 août 2018. Nikon D300. 10-24 mm.

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