Une nouvelle amie
François Ozon joue avec les codes – qu’il transgresse – et les genres – qu’il bouscule – dans un film où même le spectateur peut goûter au plaisir du travestissement.
Pendant un long moment, on se demande où François Ozon veut emmener le spectateur avec Une nouvelle amie. Le début est pourtant limpide, et c’est même un beau moment de cinéma. Claire et Laura sont deux amies inséparables depuis leur 7e année. Dans le premier quart d’heure, le réalisateur balaie au cours d’un montage virtuose les vingt premières années de la vie de ces deux jeunes filles. Découverte, adolescence, rencontre du prince charmant, mariage de tradition familiale dans une paisible église de province bourgeoise et catholique. À peine mariée à David (Romain Duris), Laura (Isild Le Besco) – qui vient d’accoucher – meurt d’une maladie laissant seuls le père et Claire (Anaïs Demoustier). Cette dernière commence à sombrer dans la dépression qui amène son mari (Raphaël Personnaz) à lui conseiller d’aller rendre visite au jeune père veuf. Lorsqu’elle arrive chez lui, Claire tombe sur David costumé en femme blonde portant les vêtements de sa défunte épouse. Il justifie cet étonnant choix en disant que cela calme le bébé, perdu sans sa mère. Et cela satisfait pour lui une ancienne pulsion de travestissement, refoulée pendant son mariage.
Vertige des sentiments
Si cette transgression du genre est bien le véritable point de départ d’Une nouvelle amie, elle ne sera pourtant pas l’unique dans un scénario à la fois rigoureux, plaisant et déroutant. Le dégoût et l’incompréhension initiale de Claire vont peu à peu laisser place à d’autres ambigüités faites de désirs, de vertiges, de tentations, de séductions, de plaisirs troublants, d’érotisme libéré. Romain Duris prend un malin plaisir à jouer une femme dans un travestissement finement étudié, Anaïs Demoustier n’en demeure pas moins une jeune femme liée par tradition familiale au conformisme bourgeois d’une province aisée (qui n’a parfois rien à envier aux lotissements résidentiels américains), mais sérieusement ébranlée dans ses certitudes. Il n’est pourtant pas question ici du combat social que pourrait mener « David – Virginia » (le prénom choisi lorsqu’il s’incarne en femme), tel que François Ozon aurait pu le monter, avec toute la violence que cela supposerait. Pas non plus une sorte de comédie Cage aux folles. La question est moins « qu’est-ce que se découvrir travesti quand on vient d’un milieu hétéro bourgeois où cette transgression est tout bonnement inaudible ? » mais plutôt : « qu’étaient donc réellement les relations entre ces deux jeunes femmes, amies depuis si longtemps, et dont l’absence de l’une remet profondément en cause les sentiments de l’autre ? »
« Je suis une femme »
François Ozon, auteur du récent Jeune et jolie, joue avec les ambigüités et la transgression des codes à une époque où la société est extrêmement clivée sur les questions de mariage pour tous, de supposée théorie genre, des désirs refoulés qui finissent souvent par éclater au grand jour. D’autant plus violemment qu’ils étaient bien cadenassés dans le conformisme. Si le casting est parfait, n’en demeure pas moins une petite frustration à la sortie d’Une nouvelle amie. Celle d’avoir certes assisté à un bon film qui tient le spectateur jusqu’au bout, mais en laissant ouvertes beaucoup de portes qu’il aurait été intéressant de traverser. Comme pour La prochaine fois, je viserai le cœur de Cédric Anger dont nous parlions ici récemment, on aurait aimé qu’Ozon ose tirer des ficelles chabroliennes pour aller au-delà du désir, justement. Car ce qui est suggéré à l’issue d’Une nouvelle amie donne envie de savoir ce qui a bien pu se passer dans l’ellipse finale résumée par un « 7 ans plus tard ». On devra pour l’heure se contenter d’une des dernières paroles du film : « Je suis une femme ! » envoyée de Virginia à Claire par texto.
Certes, mais…
F.S
Une nouvelle amie, de François Ozon. Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Besco. 1h47.
La prochaine fois je viserai le cœur
Le nouveau film de Cédric Anger met en scène l’histoire d’un fait divers de la fin des années 70 : un gendarme tueur de jeunes filles. Noir, sobre, et nerveux.
Dans l’appartement de Franck, gendarme de son état, une affiche de David Hamilton attire l’œil et pas seulement. On connaît le goût, parfois sulfureux, du célèbre photographe et réalisateur londonien pour les jeunes femmes encore en fleur, à peine sortie de l’adolescence. La clé de la personnalité complexe, double, maladroite, peuplée d’un imaginaire viril, fascinée par l’ordre et la morale, du gendarme Franck (Guillaume Canet) réside là. Mais n’attendez pas de La prochaine fois je viserai le cœur qu’il vous la donne tout cuit.
Le « tueur de l’Oise »
L’histoire est inspirée de faits réels : en 1978-79, dans l’Oise, une série de meurtres et de tentatives de meurtres défraie la chronique. Plusieurs jeunes femmes sont en effet retrouvées mortes ou sérieusement blessées, soit renversées par une voiture alors qu’elles circulaient à mobylette, soit parce qu’elles faisaient de l’auto-stop. L’enquête sera d’autant plus longue que le coupable – qui finira par être arrêté – est un gendarme de la brigade chargée, avec la police judiciaire, de l’enquête. La prochaine fois je viserai le cœur est une formule utilisée par le gendarme-tueur dans des lettres anonymes qu’il envoyait afin d’essayer d’expliquer ses actes autant que pour brouiller les pistes. On l’appellera même « le tueur de l’Oise ».
Cédric Anger, fasciné par les films noirs, signe avec La prochaine fois je viserai le cœur une œuvre forte, dans la lignée de celles d’un Jean-Pierre Melville (on pense au Cercle rouge), ou Alain Corneau (Série noire). Déjà l’auteur du Tueur (en 2007) et de L’avocat (2011), Cédric Anger maîtrise les codes du film de genre. Mais ne croyez pas qu’il s’agisse d’une série B : La prochaine fois je viserai le cœur possède la classe et l’ambiance des meilleurs polars, pour plusieurs raisons.
Traque, suspicion, désillusion
D’abord et avant tout pour le personnage lui-même. Repoussant autant que fascinant, la personnalité de ce gendarme-tueur, Franck (1) ne peut laisser indifférent le spectateur. L’audace de Cédric Anger et de donner le point de vue du criminel au point de le rendre attachant. C’était risqué, mais ça fonctionne, surtout par le choix de Guillaume Canet pour interpréter le rôle. Mâchoires serrées, adepte de l’automutilation, incapable de nouer une relation avec une jeune femme qui pourtant lui saute au cou, troublé même par l’ambivalence sexuelle lorsqu’il doit se rendre sur des lieux de dragues homosexuels pour les besoins de l’enquête. Un rôle parfaitement interprété, de solitaire discret apparemment rangé, rêvant d’une mutation dans une unité type GIGN par envie de voyages, apprécié par son supérieur, dont il a la confiance. Ambivalent jusqu’au bout de lui-même, son besoin d’exister passe aussi par ses crimes, qu’il commet dans un état de folie ne parvenant pas à faire oublier l’abject du geste, jusqu’à en vomir. Franck sort de chez lui, de nuit. Puis traque une proie comme un chasseur, et la tue, ou la blesse mortellement. Puis il rentre chez lui s’allonger sur un lit impeccablement fait, ou dans une des pièces de l’appartement aménagée en repère de guerrier, véritable forteresse militaro-criminelle, avec articles de presse le concernant collés au mur.
L’autre raison de la réussite indéniable de La prochaine fois je viserai le cœur, c’est son climat. Scènes nocturnes, froides, et journées dans le brouillard ou la pluie, omniprésence de la boue et des flaques, d’arbres sans feuilles : il ne fait pas bon vivre dans cette Oise déprimante, grise, au cœur d’un hiver triste et morne.
Enfin, à la manière d’un Claude Chabrol qui se serait régalé à disséquer une institution de l’intérieur, comme ces vers de terre que Cédric Anger nous montre parfois en gros plan, l’unité de gendarmerie où Franck semble un modèle, devient le théâtre peu à peu d’une traque qui glissera vers la suspicion, et la désillusion. A ce sujet, la scène finale demeure un morceau d’anthologie du film noir : confondu par ses empreintes, Franck est arrêté par ses collègues, qui, l’ayant attaché comme un vulgaire prévenu au radiateur, le fixent d’un regard dégoûté de s’être fait si longtemps berné par le meilleur d’entre eux.
« Attention, je vais vous faire mal », dit étrangement à ses victimes ce gendarme avant de commettre ses crimes. La prochaine fois je viserai le cœur ajoute-t-il dans ses lettres anonymes. Et l’on se dit, en sortant de la séance, que Cédric Anger et Guillaume Canet ont réussi les deux.
F.S
(1) Il s’appelait Alain Lamare, était apprécié de ses supérieurs. Il a été déclaré par les psychiatres non responsable de ses actes pour état de démence, et a été interné dans une unité psychiatrique.
Photos : Th. Hardmeier. Sunrise Films. Les Productions du Trésor. Mars Films. Caneo Films.
Ma cabane, mais pas au Canada
Ici, bientôt, il sera question de cabane (mais pas au Canada), de couleurs automnales chatoyantes, de première neige étincellante (comme du "sucre glace" ?), des frimats de l'automne d'une journée inoubliable, d'un bon feu de cheminée et de vaches mortes sous le regard d'un géant.
Comme ça, vous reviendrez ici lire et en prendre plein les yeux. Et d'ailleurs ça commence là :
et là aussi :
Mais ça n'est qu'un début. Et si vous n'aimez pas la montagne et ses paysages, allez vous faire cuire un oeuf.
(teasing de ouf ! )