Le concept des cabanes (dans les Pyrénées)
- Au milieu, sur la droite, Lacarret -
Elles sont semées ça et là, on dirait qu’elles le sont par hasard mais non, leur emplacement semble étudié par on ne sait quel génie humain de l’abri d’urgence, ou du charme bucolique de la chambre avec vue. Elles se situent toujours où on en a le plus besoin finalement, même quand c’est par surprise. Avouons cependant que le plus souvent nous prévoyons leur rencontre, puisque nous emportons une carte avec nous où elles sont inscrites, et sur laquelle nous nous sommes penchés avant de partir. Petits rectangles noirs ou dessiné en rouge comme des figurines de Monopoly, leur présence rassure avant le commencement de la marche : si ça tourne mal, il y aura « la cabane ».
Malgré cela, elles arrivent à nous surprendre, c’est selon la saison. Certaines sont à moitié enfouies sous la neige, et nous sentons qu’elles le furent pendant les longues semaines d’hiver. Il faut alors « descendre » à l’intérieur une fois la porte ouverte : le niveau du sol neigeux provisoire nous met « au dessus » du linteau de l’entrée. Plus que la pénombre, c’est la fraîcheur humide qui nous saisit en premier : en béton ou plus rarement en pierres sèches, elles conservent l’humidité de l’hiver bien après le dernier glaçon fondu, et même si le printemps se donne des airs d’été en plein midi. On en a connu en plein soleil sans ombre, d’autres nichées contre un rocher, d’autres encore dans une clairière au fond d’un bois.
- Chérue, sous la neige -
Leur aménagement est souvent similaire obéissant à un point commun : il est rude, rustique et spartiate. Un ou plusieurs bas flancs en planches, ou une sorte de mezzanine servent de chambre à coucher, munie d’une échelle en fer. Dans un coin, une cheminée, avec un petit tas de bois qu’on est prié de réalimenter si on en a brûlé. Souvent, une table faite de grossiers madriers, un recyclage de formica ou d’anciennes tables d’école montées de la vallée à dos de mulets. Des bancs. Une chaise hors d’âge où on hésite à s’asseoir. Un sommier à ressort style caserne (on n’imagine pas tout ce que l’armée fournit comme matériel de récupération dans la montagne !). Des bouteilles de vin vides, dont la plupart ornées d’ordinaires étiquettes et surtout locales – on boit rarement des grands crus à cette altitude-là – mais il nous est arrivé de croiser les vestiges d’un Saint-Emilion grand cru justement, coiffé d’une bougie dont la cire dégoulinait sur le corps de la bouteille. Une boîte d’allumettes. Du papier "Q". Des vieux journaux dont on mesure à la date le passage des derniers occupants. Parfois, un livre d’or, dans lequel les randonneurs laissent libre court à leur imagination, pour le meilleur ou pour le pire. Chaque ballade peut alors se transformer en légende vivante, tel ou tel aura trouvé la cabane en plein orage, d’autres s’y seront mis à l’abris d’un soleil trop chaud, d’autres encore y vivront un réveillon montés là à ski ou raquettes. Certains y dessinent, d’autres y laissent des vers. Des enfants joyeux découvrent les joies de la montagne. Un instantané de vie volé à la plaine, ses emmerdeurs et leurs emmerdements, un halo de bonheur là, au creux de la montagne, seul ou à plusieurs. Parfois, cette abri jouxte la partie, plus spacieuse et confortable, d’un berger qui passe là les mois d’estive. Cette cabane-là sera alors fermée à clé alors que l’autre reste en accès libre, même l’hiver, à charge du locataire d’un soir de la laisser en bon état, « comme vous voudriez la trouver en arrivant ». Où l’on constate une fois encore que le curseur de la propreté n’est vraiment pas le même chez tout le monde, et que se vérifie l’adage : « ce qui est possédé en commun et négligé communément. »
- Un petit point blanc sous un triangle de neige : Cambeilh -
Leurs toits de tôles semblent onduler sous le vent, et le vacarme peut même recouvrir la conversation (s’il y en a !) lorsque s’abat l’orage. Le martèlement de la pluie sur le toit, l’écrasement du vent transforme alors les cabanes en navires bringuebalés sur les flots, et si ce n’était leur excellente assise au sol, on s’y croirait ! C’est à ces heures-là que nous songeons à ce que nous serions, sans elles, perdu au milieu de nulle part ou sous le frêle esquif d’une tente igloo… Les cabanes sont un peu les mères protectrices d’une montagne qui ne fait que tolérer le passant, l’invitant, chaque fois qu’il semble l’oublier, à se rappeler sa condition de fétu de paille ici, et que s’il profite des sommets, ce n’est que quelques minutes par an.
Mais à peine les a-t-on apprivoisées que déjà il faut les quitter - métaphore des relations humaines ? On ferme alors la porte derrière soi, à l’aide d’un verrou en fer qui s’actionne aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur ou d’un sommaire bout de ficelle agricole qui maintient le tout fermé à l’aide d’un clou et d’une grosse pierre. On a presque des remords à les laisser là, seules. En descendant (ou en montant, c’est selon) on se retournera plusieurs fois pour leur adresser un dernier salut, les rendant à leur solitude montagnarde, leur promettant du regard « de revenir ».
Revenir…
Revenir…
- Quel est cet orage qui gronde ?"
- Au Gourzy -
- Cirque de Besse -
- La Cujalat -
- Vantardise, ou inconscience -
Bourlinguer
"L'immobilisme est en marche, et rien ne saurait l'arrêter."
Apophtegme extralucide, et orphelin (sic Philippe Meyer)
Allons voir là bas si on y est, et surtout si les autres n'y sont pas.
A un de ces quatre, peut-être...
- Sans regrets -
Love Chambord
- "Viens chérie, on rentre, il commence à faire frais..." -
Il y a un truc bien avec Chambord, c’est que ce visage de France évite au promeneur le sentiment d’être blasé. Refusant vraiment de le devenir, chaque invitation qu’il reçoit pour participer à quoique ce soit s’y déroulant se transforme en aventure visuelle et sensorielle, comme disent les professionnels de la communication et du marketing. Chambord est, comme le slogan de ce soir-là, un créateur d’émotions.
Les ingrédients sont pourtant on ne peut plus classiques : un château (et quel château !), une météo favorable voire très favorable, un happening marketing et commercial, gratiné de communication véritable, des happy few au ventre vide, du vin, des petits fours avec de vrais morceaux de foie gras dedans, une présentation soignée et tape à l'oeil qui dépasse l’imagination. Et le tour et joué. La magie opère. Elle opéra d’autant mieux quand on ne sait quel maître des lieux eu la riche idée d’ouvrir une porte donnant sur un espace d’ordinaire fermé au public, offrant aux photographes des plans superbes léchés par une lumière rasante à couper le souffle. Chambord, dans tout son prestige. Le reste n’est qu'accessoire, et les oreilles s’emplissaient autant que les gosiers de propos incroyables, tantôt convenus, tantôt insignifiants, parfois drôlatiques, toujours de circonstance.
En sortant, légèrement enivré de vin doux de la Loire et d’agneau fondant sur son lit de morilles (un truc de dingue, à tuer sa mère), on entendit, dans la forêt lointaine, pour de vrai, le coucou. Etait-il en haut de son grand chêne ? Répondait-il au hibou ? Nul ne saura. Une seule certitude : cet oiseau d’avril, annonciateur du printemps cette année fort pertinent, niche dans le nid des autres oiseaux, sans leur demander leur avis. Pourquoi se gêner ? Un peu comme le feraient ceux qui, voulant profiter à fond du système, viendraient piquer dans les assiettes un peu de d’auto satisfaction contenue.
Puis, royal et gratuit, le soleil se coucha, laissant apparaître une lune pleine jusqu’aux yeux comme une femme enceinte sur le point d’accoucher. Même les poissons, au fond du Cosson, se pâmaient d’aise. Tendez bien l’oreille. Eux aussi fredonnent : « coucou, coucou, coucou… »
- Solitude -
Mort de rire
"Ceux qui pensaient que la guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçu-t-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, de types morts de rire en recevant une balle allemande. "
Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut. (1er §).
Citation
"Il faut être économe de son mépris, il y a tellement de nécessiteux."
François-René de Châteaubriand
- Ici, bientôt... -