Franchir la frontière, pour la liberté
Pendant que 24.000 personnes migrantes vont être accueillies, bon gré, malgré, en France dans les jours – semaines qui viennent, beaucoup poussent des cris d’orfraie en se demandant ce qu’on va bien pouvoir en faire, où les caser etc.
La cécité historique est un mal bien français, hélas, et il conviendrait de se souvenir que nous avons déjà vécu cela en bien pire, si j’ose dire, en 1939, notamment. Entre le 28 janvier et le 13 février, entre 450.000 et 500.000 exilés Républicains espagnols, fuyant le Franquisme suite à la chute de Barcelone quelques semaines plus tôt, ont franchi la frontière et sont entrés dans le département des Pyrénées-Orientales. Il comptait à cette époque-là 230.000 habitants ! On se représente mal le raz-de-marée que cela a représenté. La plupart ont franchi la frontière par le fameux Col du Perthus, entre la Jonquera et Perpignan. Mais d’autres cols et passages leur servirent de refuges, de portes vers la liberté, et surtout la vie, n’ayant d’autre choix que celui de la valise, ou la mort. Ce fut le cas notamment au col d’Ares (1600 m.) pour ensuite atteindre le village de Prats-de-Mollo.
31 janvier 1939 : au Perthus, la situation devient dantesque. De notre envoyé spécial : « Une immense cour des miracles… Au Perthus, la situation s’aggrave d’heure en heure. Il faudrait le Dante pour dépeindre cette affreuse et immense cohue. Cette foule disparate qui piétine, campe, attend sous la pluie battante et glacée qui n’a cessé depuis le milieu de la nuit passée ; ces femmes qui trainent des marmots dépenaillés tout en essayant de protéger à l’aide d’un vieux châle le dernier-né endormi sur leur épaule ; ces enfants qui coltinent d’invraisemblables hardes, ces valises en fibre ou en carton que la pluie a fait éclater de toutes parts et qui vomissent la pauvre lingerie, les derniers effets de la famille ; ces blessés, au visage exsangue à peine visible sous le « topaboca » qui les abrite et qui ne peuvent maintenir au sec, sous ces averses continuelles les pansements, les gouttières qui contiennent leurs membres brisés. » Ainsi les reporters de l'Indépendant décrivaient-ils l’arrivée massive de réfugiés espagnols au col du Perthus.
Les conditions d’hygiène sont déplorables, et le ministre de l’intérieur de l’époque, Albert Sarraut, accompagné par le ministre de la santé publique Marc Rucart, décidera d’employer les grands moyens pour subvenir aux besoins les plus pressants, lors de leur visite sur place le 31 janvier 1939. Le ministre Albert Sarraut déclara lors de sa visite : « Il fallait maintenir l’ordre et assurer la sauvegarde sanitaire du pays ; c’est fait. Les femmes et les enfants, on les recevra ; les blessés et les malades, on les soignera ; les hommes valides, on les refoulera sans exception, sans considération de leur situation personnelle ou de leur état de fortune. Voilà qui est net. (…) »
Nettes aussi les observations faites par les réfugiés eux-mêmes, comme le témoignage de cette petite fille de cinq ans à l’époque : « Il y avait beaucoup de monde. Tellement qu’à mesure que j’avançais, tenue de la main de ma mère, je ne pouvais rien voir. Ce n’étaient que jambes et pieds. J’éprouvais une sensation d’immense oppression. Je me rappelle que les gens pleuraient. (…) Ma mère ne voulait pas avancer parce qu’elle continuait à chercher mon père désespérément. Elle savait que si on séparait les familles, on ne pourrait jamais les retrouver, si toutefois il était encore en vie. »
Le 8 février, la frontière sera fermée. Commence alors la lente marche vers les camps d’internement, Saint-Cyprien, Argelès-sur-Mer, Barcarès, Collioure, le Vernet-d’Ariège, Bram…
La suite, c’est à lire dans ce livre, paru en avril 2011, Franchir les Pyrénées sur les chemins de la liberté (Editions Ouest-France) que j’ai eu l’honneur d’écrire, avec mes mains mais aussi avec les pieds puisqu’il propose aux amateurs de marche et d’histoire de parcourir les chemins empruntés par ces foules immenses d’exilés Républicains ; puis les évadés de France pendant l’occupation.
F.S. 12 septembre 2015.
A propos du "Défi 41"
Ça se lit sur le blog Médiapart d'un certain Éric LABBE, visiblement originaire du Vendômois (Loir-et-Cher), et je ne résiste pas à l'envie de partager ce petit morceau de bravoure...
Défi 41 : un record exceptionnel et inutile... quoi que... !
"Une initiative personnelle orchestrée par une association au service exclusif de l'intéressé, sans doute destinée à assouvir un besoin d'amour et de reconnaissance éternelle, telle pourrait être la raison principale d'un défi qualifié de fou.
Pas si fou que ça puisque ce défi préparé minutieusement aura eu le mérite de servir également la soupe à un monde politique qui s'est empressé de récompenser cette initiative personnelle par une contribution financière de 15 000€.
Pour les ceusses qui auraient loupé l'événement, rappelons que le Défi 41 consistait pour un sportif local à effectuer 41 triathlons en 41 jours, soit 3,8 kms de natation, 180 kms de vélo et un marathon de 42 kms à effectuer quotidiennement.
Défi commencé le 1er juillet 2015 et terminé en apothéose le 10 août 2015, sous les ovations d'un public en pleine jouissance : quel bordel !.
Bien sûr, le Loir et Cher a rayonné mondialement ce qui s'avère bénéfique pour le tourisme, pour la croissance, pour l'emploi, pour la relance des ventes de pompes à vélos, des rustines, des maillots cyclistes publicitaires, des casquettes, des maillots de bain, des cuissards, des chaussures de course, des boissons énergisantes naturelles, des journaux locaux, départementaux, nationaux, mondiaux..... pour les anti-transpirants, les sparadraps anti-ampoules aux pieds, les capotes anti-érections pour sportifs... et caetera... et caetera...
Bref, pendant 41 jours, c'était le nirvana à Vendôme et aux alentours ; rendez-vous compte que sans cet événement, « on » aurait loupé la venue des sommités locales toutes excitées par le simple fait de récupérer politiquement une initiative personnelle à l'aura médiatique indéniable.
Succès populaire qui démontre au monde entier que tout est possible dans le Loir et Cher puisque l'un des leurs a inscrit son nom dans le Livre des Records.
Les autres communes et départements sont fous de rage. Comment une terre de « bouseux » -dont je suis un fier natif- peut-elle réussir à faire la nique à d'autres lieux prestigieux ?
En tout cas, l'ardoise est là : 15 000€ ! Payée par les contribuables.... car très utile à la commune et au département tout entier.
On voit là une notion bien particulière des dépenses publiques "dans l'intérêt général" et donc de la compétence des élus en matière de gestion des finances publiques.
Pendant que de nombreuses associations locales, départementales, nationales se battent quotidiennement dans l'intérêt général pendant 365 jours et doivent remplir un tas de paperasses pour récolter 1 000 ou 2 000 euros annuellement de subventions, un individu lambda s'étant amusé seulement 41 jours pour assouvir des desseins personnels a réussi un second exploit : soutirer 15 000€ à la collectivité !
Si ma grand-mère, native du charmant village de Rahart, était encore de ce monde, elle aurait pu dire, avec son langage bien particulier : « Quand j'vois ça, j'me dis qu'y a où foute le camp d'sa ch'mise ! ».
Et ma grand-mère a réussi des exploits tout aussi prestigieux mais elle était modeste et surtout utile..... ma grand-mère !
Elle nageait, elle vélotait et elle courait.... à son rythme et sans subventions!"
Éric LABBE
http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-labbe/080915/defi-41-un-record-exceptionnel-et-inutile-quoi-que
Noyé de chagrin
A ma fille,
Putain c’est pas vrai, le lendemain de la rentrée scolaire – la deuxième pour toi chez les « moyens » que tu attendais depuis… le début des vacances d’été – on nous balance sous le nez cette photo d’Aylan, 3 ou 4 ans, mort noyé sur une plage de Turquie en voulant fuir son pays. Tout le monde (ou presque) est sous le choc. Drame ignoble. Photo qui pourrait, lit-on ici ou là, « faire ouvrir les yeux », etc. etc. Les grands prêtres de la morale sont nombreux à lancer des « y a qu’à » et des « faut qu’on ».
Quand j’ai vu cette photo, évidemment, j’ai pensé à toi. Tu as le même âge que lui, pour un peu tu pourrais même être habillée pareil, car tu n’es pas toujours en rose princesse cul-cul comme on pourrait le croire et souvent, on te met des fringues de garçon. J’ai pensé à toi, et j’ai revu immédiatement des scènes de plage – même si on n’y va pas beaucoup parce qu’on préfère la montagne – j’ai revu aussi cette piscine où le week-end dernier avec tes brassards décorés de poissons clowns tu riais aux éclats en pataugeant et en nageant « comme un petit chien ». J’ai revu ta joie d’être en vie, d’être aimée, de n’être pas noyée.
Evidemment j’ai pensé à toi car je me suis dit que s’il t’arrivait un truc comme ça, je serais terrassé de douleur et de chagrin, je crois que je me pèterais les cordes vocales en gueulant ou un truc dans le genre.
Evidemment j’ai pensé à toi parce que l’émotion c’est quelque chose de normal face à ce genre de photo, mais plus encore face à ce drame, ces drames. Un jour viendra où tu ouvriras un livre d’histoire, au collège ou au lycée, et à la page concernant l’exode des migrants cherchant refuge en Union européenne, il y a fort à parier qu’on verra cette photo, comme on a vu longtemps cette petite fille nue criant de douleur après un bombardement de napalm pendant la guerre du Vietnam. Un jour viendra où tu me demanderas, comme j’ai pu le demander à mes grands parents ou mes parents à l’époque où j’ai découvert certaines des atrocités de l’histoire de notre monde, « mais pourquoi vous n’avez rien fait ? » Et je te ferai la même réponse évasive à la con : « tu sais, c’est un peu plus compliqué que ça »…
Ma chère enfant je te le dis et c’est écrit comme ça tu pourras me le lancer à la gueule plus tard : je ne sais pas quoi faire face à ça. Je serais tenté de dire « qu’on déjà tout essayé » mais je ne le dis pas parce que c’est sûrement faux et c’est tellement faux-cul ! C’est réservé à ceux qui sont censés nous gouverner et prendre des décisions mais qui en réalité sont souvent plus préoccupés par leur évasion fiscale (un exemple parmi beaucoup d’autres) que de la vraie misère dans laquelle certains s’enfoncent jours après jours.
Ma fille je ne vais pas m’appesantir d’avantage. J’ai vu cette photo, comme beaucoup d’autres ce jour-là ; je ne te la montrerai pas ce soir en rentrant. Non pour te protéger de quoi que ce soit – après tout, le monde dans lequel tu es entré n’est pas le pays des merveilles il faudra que tu le saches ! J’ai juste peur de ne pas savoir répondre à deux questions que tu aurais le droit de me poser, tes grands yeux bleus plongés dans les miens : pourquoi ? Et : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Je n’ai pas la réponse, sans doute parce que je suis un peu, moi aussi, noyé de chagrin. Et je t’en demande pardon.
F.S 3 septembre 2015