Chant d'automne
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu vive clarté de nos étés trop courts !
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.
J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
Charles Baudelaire.
(c) Fred Sabourin. Bords de Loire, Blois, 28/09/2012.
Aste - Béon, un voyage à pied
- Perspective -
La maison bleue adossée à la colline se voit dès le petit cimetière d’Aste, mon point de départ ou presque, depuis le petit camping style « à la ferme » où je niche deux nuits. Comme je l’espérais, la grille du cimetière grince en entrant. Un carré d’herbe coupé court accueille le passant, qu’il passe ou trépasse. Du gazon frais fraîchement tondu. Les morts ont de la chance ici, me dis-je. Non seulement ils jouissent d’une vue splendide pour l’éternité, mais encore ils peuvent s’ébattre sur l'herbe aux beaux jours. Ce jour l’est justement. Chaud même. Très chaud. La sueur me perle déjà au milieu du dos, alors que je viens de démarrer ce voyage insolite. Du village d’Aste, à celui de Béon. Un voyage à pied. Deux kilomètres et trois cents mètres. Ce n’est pas l’Odyssée, mais une aventure, peut-être.
- Sur gazon -
Une des tombes attire l’œil : elle est sculptée en forme du Pic du Midi d’Ossau. Nous sommes bien dans la vallée du même nom, à quelques kilomètres de Laruns où demain résonneront les chants du pays béarnais, les chants ossalois, pour les fêtes du 15 août. Dans l’axe exact de la tombe et de la maison bleue, le Pène de Béon, la falaise aux vautours comme on la nomme ici. Son front bombé et quelque peu arrogant, fier, il avance vers le vide, songeant aux temps immémoriaux où la glace, ici, a sculpté la vallée. Désormais roule en bas le gave d’Ossau, unique vestige chantant de cette période où la mémoire de l’homme ne peut remonter. La grille grince à nouveau signalant mon départ, poursuivant le chemin dans le village désert, en apparence seulement.
Une vieille femme me domine désormais, du haut de son mur dont on devine un jardin en hauteur par rapport à la ruelle. Quelques banalités météorologiques échangées plus tard, c’est l’église que je double, fermée, naturellement. Devant la mairie ornée d’une vulgaire réplique de la légende d’un ours mis en fuite par une vache (« Viva la vaca ! » telle est la devise de la vallée), une fontaine à l’eau « non potable » me rafraîchit cependant le visage et la nuque. Le lavoir trône à côté, où l’eau disparait dans un bruissement aquatique et chantant. Elle n'est pas potable, indique un petit panneau, et pourtant je m'en abreuve comme les troupeaux. Nulle maladie ne viendra troubler mon sommeil, quelques heures plus tard.
- Hic et nunc -
Je sors d'Aste, sous le soleil exactement. Alors que j'entreprends de filer vers Béon, un petit chemin descend sur ma gauche, comme un appel à une digression hasardeuse. Bien m'en prend, et je longe rapidement un petit ruisseau chantant qui course vers le gave, plus bas. Une première prairie où je planterais bien ma tente, puis, encore plus bas, une seconde, bordée d'arbres et au pied de laquelle coule ce gave frais à cet endroit peu profond. Pas suffisamment en tout cas pour s'y baigner autre chose que les pieds. Les miens foulent désormais l'herbe coupée, abandonnant mes chaussures au bord du chemin. Il règne ici une ambiance de paradis, vraiment, et la chaleur du jour ajoute finalement à la félicité dans laquelle je me trouve à l'instant. Je m'arrache littéralement à ce bonheur simple pour continuer la route. Béon n'est plus très loin, j'en aperçois vite le clocher de l'église Saint-Félix.
- Baylocq (Beau lieu en Oc) -
Avant elle une grille coulisse (en grinçant...) et j'entre dans le cimetière où la famille Ossau-Baylocq m'accueille. Jeanne-Marie, Pierre et leur fille Odette reposent là, dans la quiétude de ce charmant jardin de pierres, près de la route et adossée à l'église. Le gravier crisse sous mes pas, et le bitume chaud me guide à travers la rue de Béon, jusqu'au château. Des portes entrouvertes jaillissent de multiples odeurs de foin moisi, d'herbes séchées, de fromage de brebis, de salpêtre des caves, de bois sec, de rouille et de cambouis rance par les années d'immobilité. « Ça sent le vieux, » diraient les jeunes ou ceux qui n'y connaissent rien. « Ça sent la vie, » me dis-je, en retirant mon béret comme pour saluer l'esprit du village qui semble planer au dessus de ce lieu, ce jour, cette scène. Un bruit de fond anime pourtant le silencieux hameau : le gave est là, et il m'appelle. Je dois m'y baigner, pour rafraîchir ce corps suant sous la chaleur moite d'août qui colle sous la chemise. Dans la tenue d'Adam je descends sur les pierres glissantes dans l'onde fraîche. Elle me saisit, la bougresse. Elle me baptise une nouvelle fois, surtout. « Ici tu régénères, tu renais à chaque fois que tu t'y trempes, » semble murmurer le flot continue de ces eaux bienfaisantes. Là haut près du Pène tournent les vautours fauves à la recherche d'un coin de rocher pour y poser leurs grandes carcasses. Ils sont ici chez eux, comme nous en bas.
Je reprends la route direction Aste où je crèche pour cette-fois. La tête pleine de souvenirs de ce court chemin qui pourtant me paraît un monde...
- Odeurs -
(c) Fred Sabourin. 14/08/2012. Ossau, Béarn.
Retour aux sources
- Ainsi soit-il -
(suite de "Si je mourrais là-bas" )
Vers cinq heures de l'après-midi, j'arrivais près du refuge du Larribet, un brin fatigué par cet aller-retour mais surtout l'inquiétude de ne point y retrouver, comme je l'escomptais, le béret de mon camarade. J'avisais une pierre sur laquelle poser mes fesses, fumant une cigarette au goût amère. La seconde fut plus douce, et je contemplais songeur la petite boîte en métal argenté ornée d'une décoration turque, me disant qu'involontairement, cette boîte à clopes nous liait aussi, un peu. Son père, ancien Amiral sous-marinier, en avait une petite du même genre, dans laquelle il rangeait ses cigarettes cinq par cinq, et dont le claquement sec de la fermeture rappelait les heures fixes auxquelles il « clopait » (comme il disait). J'ai acheté au printemps 2010 cette boîte dans le grand bazar d'Istanbul, ville connue de mon camarade mais dans laquelle nous ne sommes jamais allés ensemble. Cette boîte me rappelle la douceur du soir qui tombe au bord du Bosphore, assis près du pont Galata, m'emplissant les oreilles et le reste du corps du chant des muezzins, humant le parfum des poissons et des oignons grillés. D'un claquement aussi sec que celui de l'Amiral, après les avoir comptées, je refermais ma boîte à cigarettes, me disant que je pourrais tenir, ayant une ration pour plusieurs jours.
J'inspectais la carte, comme si j'avais pu le voir cheminant quelque part au 25.000e, mais la refermais bien vite, m'apercevant que je la connaissais par coeur, et que la seule évocation du Col Noir me glaçait le dos. C'est alors que je décidais d'avertir les gardiens du refuge.
Avant que l'ombre de son béret et le rouge de son sac à dos n'approchât, il se passa plus d'une heure et demie, et c'est vers six heures dix du soir qu'il arriva, enfin. Notre poignée de main ferme et virile, sans mot dire autre que celui manifestant la joie de se revoir, comme après un long temps, traduisait mal l'indicible bonheur simple de ces retrouvailles. Nous avons, debout et lui sans enlever son sac, narré l'étrange coup du sort qui nous avait empêché de dormir, comme prévu, à l'abri Michaud ce soir-là. Les cieux remplis d’astres, parfois recouverts de brume humide montante, nous servirent de toiture, après un bon dîner fait de soupe et de purée-saucisses... Nous avons sombré dans le sommeil des justes enveloppés d’un drap d’étoiles. Le lendemain matin, sans déconner, le Balaïtous nous tendait les bras qu'il nous avait refusés la veille.
- A l'ombre du Balaïtous -
Je n'avais pas envie. Pour une fois, je n'avais pas envie d'y aller, et c'est à reculons quasiment physiquement que je suis parti, emboîtant le pas de mon camarade, lui faisant jurer de ne point prendre trop d'avance pour éviter de revivre la journée de la veille. Après une courte pause près des lacs de Batcrabère où nous rechargions en eau, je regardais vers le Col Noir, avec appréhension. Il dut le sentir, car après un bref instant silencieux il me dit : « Bon, on y va ? Faut y aller-là. » Il m'aurait dit « on fait demi-tour, » je l'aurais suivi sans renâcler.
C’est difficile de grimper là haut avec l’impression de trimbaler la moitié de la roche collée à ses semelles. Finalement, le Col Noir – le vrai – fut avalé sans peine, et le basculement côté Espagne fut accompagné d’un petit zéphire du sud bienvenu, dans cet immense chaos que nous connaissons par cœur, accroché au dessus des lacs d’Arriel, en vue du fameux abri Michaud (Chambre avec vue ), et nous sentions déjà l’odeur de la roche si caractéristique de la grande diagonale à flanc du Balaïtous qui permet aux plus audacieux arrivés jusqu’ici de caresser la cime de ce mythique sommet.
- Dans la nuit se lève une lumière -
Deux carrés de chocolat plus tard, c’est dans celle-ci que nous grimpions, un peu comme « chez nous », sorte de montagne sacrée comme l’est celle que nous apercevons vers l’ouest, « Jean-Pierre », un prénom pour les deux pointes de l’Ossau. Nous y serons le lendemain, mais nous ne la savons pas encore. Cette diagonale, froide le matin (orientée ouest), nous réchauffe rapidement le corps et l’âme, quoiqu’on fasse, malgré le petit rythme imposé par la relative technicité du lieu – sur deux pieds et parfois à quatre pattes – et en une heure depuis l’abri nous parvenons au sommet, où nous ne sommes pas seuls, hélas. Des marcheurs espagnols posent pour la photo souvenir, l’un d’eux – crétin ibérique – monte même sur la structure métallique comme pour s’élever plus haut que les 3144 mètres permis par le Balaïtous. Sans être superstitieux, il est fort probable que cet ambitieux regrette un jour son geste de défiance. En attendant, c’est avec un bon morceau de pâté de canard aux poivrons que mon camarade et moi fêtons cette victoire, la quatrième pour ma part, un peu plus pour lui qui fréquente ces lieux depuis sa tendre enfance. Nous n’avons pas besoin de parler beaucoup pour exprimer notre joie simple à être ici, sous le soleil levé maintenant depuis plusieurs heures, contemplant le plus beau panorama qui puisse être, du Vignemale à l’Ossau, en passant par la Grande Fâche, le Palas, l’Arriel, le Lurien, et, au fond là bas vers l’ouest, le Pic d’Anie à la pyramide si caractéristique. Nous aimons être ici, et, j’ose le dire cette fois, je préfèrerai être foudroyé sur le crâne du Balaïtous que dans cette brèche merdique où je me suis embourbé la veille.
Question de goût.
- On a marché sur la lune -
- Jean-Pierre sort de sa brume -
(c) Fred Sabourin. Août 2012. Larribet - Balaïtous.
Prochains articles : "Aste - Béon, un voyage à pied".
"Lannemezan, deux minutes d'arrêt".