iDTGV : comment rester "Zen" sans se faire "Zapper" ?
« Le respect de l’horaire de départ, votre sécurité et celle des autres passagers ne sont plus assurés »
C’est cette petite phrase sibylline qui m’a mis la puce à l’oreille, le jour où j’ai failli manquer l’iDTGV alors qu’il restait 2 minutes avant le départ. Du coup, je me suis penché sur les conditions de voyage de cette « filiale SNCF » aux tarifs certes attractifs, mais aux conditions d’accès parfois douteuses.
D’abord il faut vous dire que ce fameux jour, arrivant suant et essoufflé au pied de l’iDTGV Lyon-Paris (problème de bus pour arriver à la gare Part-Dieu), je me suis fait sermonné par un agent de quai, m’indiquant « qu’il fallait arriver bien avant le départ du train ». Lui faisant aimablement, mais fermement remarquer que celui-ci partait dans deux minutes, et que j’étais donc encore « en avance », l’agent de quai a surenchéri m’indiquant que désormais, 5 minutes avant c’était l’extrême limite. C’est d’ailleurs indiqué sur le site web d’iDTGV. Dont acte, je n’avais pas vu. A la question, légitime : « mais pourquoi donc, puisque le train n’est pas encore parti ? », la réponse fut, imparable : « c’est une question de sécurité ».
Si vous choisissez un jour de voyager en iDTGV, il faut bien savoir que tout étant une « filiale » de la SNCF, ces trains dont les réservations se font uniquement via le site internet, voyagent rarement seuls. Je veux dire par là qu’ils sont quasiment toujours jumelés à un TGV « classique », qui lui accepte les voyageurs essoufflés et suant jusqu’à la dernière seconde avant fermeture des portes. Pour ces TGV-là, la question se pose dès lors du « respect de l’horaire de départ, de sécurité ou de celle des autres passagers ». Mais l’iDTGV qui part en même temps (puisqu’accroché derrière, suivez-bien), n’est visiblement pas sujet aux mêmes règles de sécurité (il s’agit juste de monter dans un train, notez bien). Le voyageur malin peut alors se dire qu’en plus d’avoir réalisé une bonne affaire - les prix sur iDTGV sont très attractifs, parfois 50% moins chers qu’un TGV classique - il est donc plus en sécurité dans l’iDTGV… qui roule en même temps. Comprenne qui pourra.
Sentiment qu’il partagera sans doute en lisant les conditions d’accès avec des bagages :
Suis-je limité en quantité de bagages ?
Vous pouvez emporter 2 bagages gratuitement (détails ci-dessous).
Si vous emportez plus de deux bagages, il vous faudra payer un supplément de 35 € par bagage (sur le site iDTGV dans "Mes options de voyage"), dans la limite de 2 bagages supplémentaires par personne.
Si vous n'avez pas payé ce supplément lors de votre réservation, la régularisation vous coûtera 45 € à bord.
Les bagages gratuits par personne ne pourront excéder :
- deux bagages à main (valises, sacs à dos, sacs de voyages) par Voyageur ; ou
- un bagage à main et un objet par Voyageur (une poussette d'enfant, un fauteuil roulant, une bicyclette dont les roues démontées sont rangées ensemble dans une housse spéciale de 1,20 x 0,90m maximum, une planche nautique rangée dans une housse de 1,20m x 0,90m au maximum, une paire de skis, un monoski ou un snowboard, un sac contenant un animal domestique « de petite taille ») ; ou
- un bagage à main par Voyageur et un bagage 50cm x 50cm x 50cm ; ou
- un bagage à main par Voyageur et un instrument de musique.
Je vous laisse calculer ce que vous devrez payer si vous possédez une flûte traversière, une valise de plus de 50cm x50cm x50cm et un sac à main si vous êtes une femme… Cette remarque ne prend pas en compte le violoncelliste cycliste avec un sac à dos de randonnée. On peut aussi remplacer le vélo par une trottinette, juste pour essayer.
Voyons donc : 35€ par bagage supplémentaire, dans la limite de deux, soit 70€ le cas échéant, ou 90€ si vous payez à bord (2x 45€). Dans certains cas (notamment le fameux Lyon – Paris à 28€ le trajet en s’y prenant bien à l’avance par exemple), cela représente quand même plus du double voire le triple du prix initial. A ce tarif-là, mieux vaut voyager léger, pratiquer le ping-pong - les raquettes prennent moins de place qu’un vélo - ou aimer la musique sur baladeur MP3.
J’ai demandé au « superviseur » (= contrôleur, en langage iDTGV) pourquoi dans un TGV classique, on pouvait pratiquement déménager toute sa garde robe sans soucis, et sans payer de supplément. Réponse : « dans les TGV classiques, c’est la même règle, sauf que personne ne contrôle ». Ce qui est vrai, j’ai un jour effectué un Lyon – Rouen avec un petit bureau d’écolier (emballé et protégé dans du papier à bulles), on ne m’a rien demandé.
Si vous êtes amoureux, mais hélas vous devez momentanément vous séparer, il vous faudra échanger vos derniers baisers avant le contrôle d’accès à bord : fini les adieux déchirants à la porte du train.
Je voyage seul mais je souhaite qu’un proche m’accompagne à ma voiture. Est-ce possible ?
Pour garantir votre tranquillité à bord, le contrôle des billets s'effectue sur le quai. La zone d'embarquement, située derrière celle de vérification des billets, n'est donc pas accessible à votre accompagnant.
Dommage, ça faisait de belles scènes qui rappellent de fameux plans de cinéma…
Il y a trois ambiances dans l’iDTGV : IDZen, IDZap et IDNight. Traduction : ambiance n°1 : silence dans les rangs ; ambiance n°2 : plan drague, jeux de société et conversations ouvertes conseillés ; ambiance n°3 : boîte de nuit dans train idoine, avec Dj et disco au bar.
Question : que fait-on des enfants ? (toujours un problème dans le train, les marmots…) :
Puis-je voyager avec mes enfants en iDzen ?
Même si les voitures iDzen leur sont tout de même ouvertes, pour préserver la tranquillité des autres passagers nous recommandons aux parents voyageant avec de jeunes enfants de réserver plutôt en iDzap.
Ainsi, vos enfants chéris seront priés d’aller faire du bruit ailleurs. Notez au passage qu’il s’agit de garantir « la tranquillité des autres passagers » et pas d’assurer leur « sécurité ». Pourtant, parfois, vu le niveau sonore des bambins, ou l’abondance de jouets transformés en projectiles, on pourrait se poser la question.
Enfin, si vous ne pouvez pas prendre ce précieux iDTGV très sécurisé, vous devrez bien entendu échanger votre billet mais 5 heures avant le départ du train. Les imprévus de dernière minute sont rarement tolérés. Dans tous les cas, vous devrez vous acquitter de 10€ de « frais » supplémentaires. Un passager a dû poser la bonne question du « pourquoi 10€ », puisque le site web d’iDTGV répond à la question :
Pourquoi doit-on payer des frais de 10€ pour échanger son billet ?
L’échange de billets est générateur de frais pour iDTGV. Qui, en effectuant ce service gratuitement, ne pourrait continuer à proposer des tarifs aussi compétitifs.
Sachant que tout se passe avec quelques clics informatiques, on reste perplexe sur les fameux « frais pour iDTGV »…
Soyons beaux joueurs : prendre un iDTGV, quand on en a la possibilité (c’est-à-dire si, pour être optimum, vous pouvez voyager plutôt en heures creuses et en milieu de semaine), reste quand même une bonne affaire.
Et en plus, iDTGV prend soin de votre « sécurité » et de celle des « autres passagers ». Mais n’oubliez pas de voyager léger (pas plus de 2 bagages), vous pourrez ainsi courir plus vite et arriver bien avant l’heure du départ. Vous devrez tout de même attendre le départ de l’autre TGV « classique » pour arriver à bon port.
(passages en italiques : www.iDTGV.com)
La main dans le sac (à merde)
Promis après je ne parle plus de foute. Mais là c’est plus fort que tout : Thierry Henry, le tricheur honteux, enfant gâté du sport français (et sportif le mieux payé du pays, au passage, grâce à 8 millions d’€ de sponsors, en plus du reste), diva des terrains et des vestiaires, seul joueur tricolore à participer à quatre coupes du monde, "Titi" comme on le surnomme, demande à ce qu’on rejoue le match ! "Oh, oh... Z'ai cru voir un Grominet !"
Dans un communiqué, qui sort après celui de la FIFA (qui a dit que non, on ne refera pas le match, sauf chez Eugène Saccomano sur RTL), Henry l’homme de main qui se comporta comme un pied mercredi dernier contre l’Irlande, a le culot d’avouer la faute, tout en précisant « qu’il n’est pas l’arbitre », que si ce dernier n’a rien vu, c’est un fait du jeu et pis c’est tout. En effet, Thierry Henry n’est pas l’arbitre, en revanche, il a pris le libre arbitre, dès la fin du match, de se « confesser » à l’Irlandais Richard Dunne, abasourdi par l’aveu suivi de rien du tout. « Oui, j’en ai parlé avec Thierry Henry à la fin. Il a triché. Il s’est excusé ? Non. Il n’a même pas dit qu’il était désolé. Et il jouera la Coupe du Monde. Et pas moi. C’est tout. »
C’est tout, en effet. L’incident qui devient quasi diplomatique, monte haut mais ne quitte pas l’infâme boue merdeuse dans laquelle il entraine le sport, le fair-play (mot britannique, inventeur du jeu), l’équipe de France, ses joueurs grassement payés etc. Même le Prince Tout-Puissant de la République s’en lave les mains : pour une fois qu’il ne se mêle pas de tout et n’importe quoi ! On aurait aimé l’entendre en cas de résultat inverse…
La célèbre main de Titi Henry va rejoindre les grands faits d’armes du sport mondial, sur la même étagère que celle de Maradona, du coup de boule de monsieur Zidane et combien d’autres mauvais gestes encore, juste en dessous de l’étagère à produits pharmaceutiques et au dessus des publicités rasoirs pour Gilette.
La semaine où l’on vient de fêter les vingt ans de la convention ONU des droits de l’enfant, et où la fessée est plus que jamais remise en question, c’est à Thierry Henry qu’on a envie de botter les fesses.
Et pas avec la main, cette fois.
Y a eu main !
L’équipe de France ira bien en Afrique du Sud en juin 2010. Après un suspens hitchcockien et cent vingt minutes de match médiocre pour les Français, le score est sans appel : match nul, donc on y va.
Match nul, c’est le meilleur titre qu’on puisse trouver, et laissons aux spécialistes le soin d’analyser les raisons techniques qui mènent à ce résultat. Hier soir, Gignac avouait avoir eu les chocottes à cause de l’enjeu : qu’en sera-t-il si par hasard et sans doute aussi par chance, la France rencontrait le Brésil ou l’Allemagne lors de la phase finale… ?
Mais le match est nul surtout parce qu’on a triché : Thierry Henry fait « une main » dans la surface de réparation, à moins d’un mètre du but irlandais, permettant ensuite à Gallas de marquer. L’arbitre ne voit rien, il est trop loin, et le gardien irlandais a beau hurler à l’injustice, le but est accordé. C’est du vol. « Y a eu main », oui mais quelques minutes plus tôt « y avait péno » sur Anelka, crocheté par le gardien en situation dangereuse mais l’arbitre n’avait rien dit. Justice ? Juste ciel ?
Y a donc eu main, et y a but. On est qualifié, et resurgissent alors les mauvaises phrases des tricheurs aux cuisses merdeuses : « seul le résultat compte ». Les milliers de jeunes dans les clubs, forts de cette exemplarité, sauront quoi faire le week-end prochain.
Et c’est ce qu’on verra en juin, sans aucun doute, pour la suite tant attendue du « roman des tricheurs ».
voir aussi cet article de Jacques Attali "Nous sommes tous des Irlandais" ici
we are the champion !
Armistice
Nous avons vraiment pris contact quand j’ai demandé des livres. Entre gens qui aiment la lecture, on établit vite des repères. Les préférences provoquent les idées, qui donnent rapidement la mesure des opinions. Sur ma table, j’eus bientôt Rabelais, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Vallès, Stendhal naturellement, du Maeterlinck, du Mirbeau, du France etc., tous auteurs assez suspects pour de jeunes filles de la bourgeoisie, et je refusai, comme fades et conventionnels, les écrivains dont elles étaient nourries.
Un infirmière apprivoisée en amena une autre, et ainsi de suite. Les conversations commencèrent, je fus entouré et pressé de questions. On m’interrogea sur la guerre :
- Qu’avez-vous fait au front ?
- Rien qui ne mérite d’être rapporté si vous désirez des prouesses.
- Vous vous êtes bien battu ?
- Sincèrement, je l’ignore. Qu’appelez-vous se battre ?
- Vous étiez dans les tranchées… Vous avez tué des Allemands ?
- Pas que je sache.
- Enfin, vous en avez vu devant vous ?
- Jamais.
- Comment ! En première ligne ?
- Oui, en première ligne, je n’ai jamais vu d’Allemand vivant armé, en face de moi. Je n’ai vu que des Allemands morts : le travail était fait. Je crois que j’aimais mieux ça… En tout cas, je ne peux vous dire comment je me serais conduit devant un grand Prussien féroce, et comment ça aurait tourné pour l’honneur national… Il y a des gestes qu’on ne prémédite pas, ou qu’on préméditerait inutilement.
- Mais alors, qu’avez-vous fait à la guerre ?
- Ce qu’on m’a commandé, strictement. Je crains qu’il n’y ait là-dedans rien de très glorieux et qu’aucun des efforts qu’on m’a imposés n’ait été préjudiciable à l’ennemi. Je crains d’avoir usurpé la place que j’occupe ici et les soins que vous me donnez.
- Que vous êtes énervant ! Répondez donc. On vous demande ce que vous avez fait !
- Oui ?... Eh bien ! j’ai marché le jour et la nuit, sans savoir où j’allais. J’ai fait l’exercice, passé des revues, creusé des tranchées, transporté des fils de fer, des sacs à terre, veillé au créneau. J’ai eu faim sans avoir à manger, soif sans avoir à boire, sommeil sans pouvoir dormir, froid sans pouvoir me réchauffer, et des poux sans pouvoir toujours me gratter… Voilà !
- C’est tout ?
- Oui, c’est tout… Ou plutôt, non, ce n’est rien. Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, le seul qui compte : J’AI EU PEUR.
J’ai dû dire quelque chose d’obscène, d’ignoble. Elles poussent un léger cri, et s’écartent. Je vois la répulsion sur leurs visages. Aux regards qu’elles échangent, je devine leurs pensées : « Quoi, un lâche ! Est-il possible que ce soit un Français ! » Mlle Bergniol (vingt et un ans, l’enthousiasme d’une enfant de Marie propagandiste, mais des hanches larges qui la prédestinent à la maternité, et fille d’un colonel) me demande insolemment :
- Vous êtes peureux, Dartemont ?
C’est un mot très désagréable à recevoir en pleine figure, publiquement, de la part d’une jeune fille, en somme désirable. Depuis que le monde existe, des milliers et des milliers d’hommes se font tuer à cause de ce mot prononcé par des femmes. Mais la question n’est pas de plaire à ces demoiselles avec quelques jolis mensonges claironnants, style correspondant de guerre et relation de faits d’armes. Il s’agit de la vérité, pas seulement de la mienne, de la nôtre, de la leur, à ceux qui y sont encore, les pauvres types. Je prends un temps pour m’imprégner de ce mot, de sa honte périmée, et l’accepter. Je lui répond lentement, en la fixant :
- En effet je suis peureux, mademoiselle. Cependant, je suis dans la bonne moyenne.
Gabriel Chevallier, La Peur (éditions La Dilettante)
Qui étais-tu ?
Toi qui es aujourd’hui un professionnel du management, un polytechnicien diplômé, spécialisé, confirmé, un centralien ultra formé aux rigueurs des méthodes de travail issues de la mondialisation. Toi qui es aujourd’hui un « cost killer » dans un grand groupe, chargé d’optimiser en rayant d’un trait sur un tableau des montagnes de chiffres, derrière lesquelles se cachent en fait des personnes, des vies, des parcours professionnels. Toi le financier, adorant le dieu « Bourse » et son apôtre Cac 40, obnubilé par les dividendes à verser aux actionnaires toujours plus avides de résultats, façon « up or out ». Toi qui n’as pas de contact avec la réalité, qui ne sait pas et ne veut pas savoir qui est derrière ces chiffres que tu manies avec l’aisance d’un enfant jouant au mécano. Toi qui manage tes équipes par le stress, la terreur, les coups bas, les petits arrangements, les menaces, les délocalisations sauvages et les mutations géographiques : qui étais-tu lorsque tu étais petit(e) ?
Je t’imagine enfant, dans la cour de l’école. Etais-tu un caïd jouant au petit chef, manœuvrant un vaisseau pirate dans un bac à sable ? Etais-tu un champion de billes, les poches remplies à la fin de la récréation alors que tu en avais seulement deux en arrivant le matin même à l’école ? Etais-tu solitaire dans ton coin, raillé par tes camarades qui ne voulaient pas jouer avec toi, te traitant de « fayot », parce que tu répondais souvent juste aux exercices de maths même ceux avec plein de chiffres et de virgules… As-tu été un collégien boutonneux assis bien sagement sur ta chaise alors que le reste de la classe hurlait en gigotait en attendant que la prof n’arrive ? Ou bien as-tu été un vrai premier de la classe, ne te satisfaisant que des notes au dessus de dix-sept sur vingt, pleurant de rage pour un quatorze en rentrant chez toi dans ton polo « Lacoste » ou « Poivre blanc » offert par ton père à la fin de ta première compétition de tennis ? As-tu été cette fille constamment courtisée et jouant avec les nerfs de ta cour empressée de se savoir en grâce auprès de toi, ou bien étais-tu la fille à qui personne ne parle, dont les professeurs disaient à la fin de l’heure : « ah tiens au fait, elle n’était pas là, machine ? ». Qui étais-tu, as-tu écrit sur les fiches de renseignement en début d’année que tous les profs demandent de remplir, que tu voulais devenir « contrôleur de gestion, trader, financier dans une grande banque d’asset management » ? As-tu indiqué que tu voulais piloter tes équipes en leur collant un stress aux fesses au point de les rendre malades, de les asservir et les esclavagiser avec des méthodes qui donnent la nausée tant elles sont énormes, irrespectueuses, outrageuses ? Non, je n’imagine pas que tu aies pu écrire cela un jour. Comme tous les ados et les enfants de ton âge, tu voulais devenir médecin, vétérinaire, pompier, cosmonaute, pilote d’avion, chercheur de médicaments pour soigner le cancer (comme celui qu’a eu ton grand-père qui est parti si vite…). Tu te voyais marié(e), avec des enfants, allant à la pêche ou à la messe le dimanche, organiser des piques niques, faire du vélo en famille, leur apprendre des choses sur les insectes et les fleurs de montagne, apprendre les départements sur la route des vacances ; tu ne te voyais sans doute pas rentrer à 22h tous les soirs fatigué par une journée harassante à manier des millions de « kilo euros », car c’est lourd à porter à la longue, les « kilos euros »… Tu ne te voyais pas rentrer tard à cause d’une réunion avec un syndicat qui s’est terminée dans le chaos d’un « plan social » qui n’a de social que le nom, puisque les chiffres que tu barres en pensant aux actionnaires et aux profits dégagés ne sont pas pour toi des êtres humains. Tu aurais préféré lire des histoires de petits ours bruns plutôt que de remonter les couvertures sur tes enfants endormis depuis longtemps déjà en arrivant…
Peut-être, quand tu étais petit, tu aurais bien aimé toi aussi que quelqu’un vienne te chercher à la sortie de l’école, te prenne par la main et t’embrasse sur la joue en te demandant : « alors, c’était comment aujourd’hui ? qu’avez-vous fait ? c’était bien la cantine ?». Non, au lieu de ça, tu seras sûrement rentré chez toi seul, en repensant aux humiliations subies durant cette journée merdique où tu as perdu toutes tes billes en un instant, où tes copines n’ont pas voulue jouer avec toi à l’élastique, où celle que tu convoitais depuis la rentrée t’a dis « non mais ça va pas la tête ou quoi ?», et tu rentreras dans la maison vide et sombre en attendant tes parents, cadres dans une grande entreprise ou fonctionnaires d’un service public de télécommunication. Tu auras pris ton chocolat froid qui sortait du frigo. Et dans la solitude de ta chambre, où ton frère ou ta sœur sera encore venu fouiller, tu feras tes devoirs sous la lampe de bureau à tête de Mickey. Tu commenceras par les maths. C’est ta matière préférée. Tu additionneras les bénéfices, diviseras la masse salariale, multiplieras les profits et dividendes pour faire plaisir aux actionnaires, et soustrairas, à l’aide d’un trait de plume les éléments inutiles et retords de ton champ d’action : les hommes, au centre des préoccupations de l’entreprise.
Ce soir-là, sur un petit carnet qui reste caché sous ton matelas, tu auras écris à la page « qu’est-ce que je ferais plus tard ?» : « je veux devenir financier, très diplômé et autoritaire, comme ça je pourrais diriger mes équipes et les humilier en faisant du management par le stress et la terreur ».
Et tu décideras alors de tout sacrifier pour ça.
Librement inspiré par le livre de Ivan du Roy, Orange stressé aux éditions La Découverte.