The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
Le dernier et très très attendu film de Wes Anderson explore la mythologie littéraire d’un âge d’or du journalisme, à travers une galerie de portraits de correspondants américains dans une France sépia qui sent bon l’intérieur des armoires normandes de nos aïeules. Un capharnaüm de comédiens internationaux qui évoluent dans des décors superbes, mais l’ensemble peine à cacher les faiblesses du scénario. Un élément qui ne s’achète pas à coup de millions de dollars...
- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -
Lorqu’Arthur Howitzer Jr (Bill Murray), rédacteur-en-chef du news magazine The French Dispatch, supplément week-end du Kansas Evening Sun, casse sa pipe dès le début du film, quatre de ses plus prestigieux reporters prennent leur plus brillante plume, pour se souvenir de leurs meilleurs reportages, boucler un dernier numéro hommage et écrire sa nécrologie. Le résultat est un film à sketchs, où le réalisateur américain explore les mythologies Outre-Atlantique et d’une France éternelle, en envoyant ses comédiens-reporters arpenter « Ennui-sur-Blasé », en vrai Angoulême transformée et même magnifiée par des décors superbes (qui ont donné du boulot à plein de gens par ici et c’est même pour ça que les salles sont pleines cette semaine).
Il y a d’abord l’histoire des bas-fonds et des titis des faubourgs, où l’on croise un peintre psychopathe (Benicio Del Toro), dont la muse n’est autre que sa gardienne de prison (Léa Seydoux). Puis vient la romance post-adolescente sur fond de manifeste de Mai-68, entre l’étudiant Zeffirelli (Thimothée Chalamet) et la jeune Juliette (Lyna Khoudri), dans un conflit potache abracadabrantesque. Enfin, l’histoire d’une rocambolesque amitié née dans une salle à manger entre un commissaire de police (Mathieu Amalric) et un cuisinier fin limier des fourneaux, Nescaffier (Steve Park), qui sauve son fils d’une bande mafieuse, au prix d’une course poursuite dans les rues escarpées d’Ennui-sur-Blasé – séquence tournée en animation, de loin le meilleur moment du film.
De ce capharnaüm foutraque et débridé, on ressort franchement dubitatif. Certes, The French Dispatch n’est pas un film raté en soi, c’est plutôt un film trop bien cadré, trop bien léché, trop bien manufacturé. Reprenant les codes habituels des cadrages au cordeau, de l’alternance heureuse (parfois) entre la couleur et le noir et blanc, des effets de symétrie et de l’obsession du détail, Wes Anderson apparaît, dans ce dernier opus, meilleur chef décorateur que scénariste. Car il faut l’avouer : on ne peut réprimer de sévères et fréquents bâillements – n’en déplaise aux Angoumoisins, nombreux dans la salle à être venu tenter de reconnaître qui un copain figurant, qui un décor vu pendant le tournage qui dura dix mois l’automne et l’hiver 2018-2019, et qui se sont montrés très enthousiastes pendant la projection. Débourser plus de 27 millions de dollars (le plus gros budget de tournage d’un film américain sur le territoire français) dans la réalisation de The French Disptach n’en fait pas pour autant, comme on peut le lire sur les affiches des abris-bus de la bonne vieille ville d’Angoulême, « le meilleur film de Wes Anderson ». Sauf à se contenter du feuilletage d’un catalogue d’images chics et des tournures de phrases ficelées comme des slogans publicitaires.
Si l’intention est louable – plonger dans la légende dorée d’un journalisme plus ou moins fantasmé où la qualité du récit et l’inventivité romanesque prenait le pas sur l’enchaînement réel des faits – le tout dans une ville française rêvée plutôt que reconstituée, n’en demeure pas moins l’impression tenace d’un ennui à Ennui. Vous allez nous trouver bien blasés, et c’est pas faux, mais à Angoulême on a tellement parlé du « film de l’américain, tu sais, Wes Anderson, et ben il tourne dans la ville avec un millier de figurants et tout ce que la région compte d’intermittents du spectacle », qu’on finit par se demander si, in fine, avec The French Disptach, le dandy Anderson ne ferait pas une sortie de route en se plantant dans le décor…
F.S.
On a aimé : les décors dans Angoulême transformée ; les références au cinéma de Jacques Tati ; les plans en plongée et en contre-plongée ; le deuxième sketch sur Mai-68 avec Thimothée Chalamet et Lyna Khoudri ; la poursuite en bagnole dans les ruelles de la ville en film d’animation ; la bande originale du film (avec l’excellente reprise d’Aline par Jarvis Cocker, et… Chantal Goya).
On a moins aimé : les longueurs dans le premier sketch du psychopathe peintre ; le scénario poussif ; la trop grande vitesse des plans les cinq premières minutes avec une voix off difficile à suivre en V.O. ; la minutie de chaque composition des plans qui finit par lasser comme si elle voulait cacher quelque chose ; bâiller aux corneilles en regardant l’heure…
The French Disptach, de Wes Anderson. 1h43. Avec Thimothée Chalamet, Lyna Khoudri, Léa Seydoux, Bille Murray, Benicio Del Toro, Matthieu Amalric, Adrien Brody, Frances Mcdormand…
La cathédrale d'Angoulême se visite aussi pour son Trésor
En décembre 2016, nous avions fait paraître dans le média Magcentre.fr un article intitulé de la sorte ; nous l'avions également publié ici.
À cette époque-là, les possibilités de visites étaient frileuses (deux horaires, trois jours par semaine et seulement douze personnes à la fois). Fort heureusement, la DRAC, l'Office de Tourisme d'Angoulême et Charentes tourisme (là) ont (un peu) progressé dans les possibilités - sur réservations - de découvrir ou redécouvrir cette splendeur scénographiée par Jean-Michel Othoniel, installé à l'Académie des Beaux-Arts le 6 octobre dernier. De nouvelles photos de ce trésor magnifié par un soleil automnal frappant en plein les vitraux d'Othoniel et des ateliers Loire de Chartres permettent de donner envie, nous l'espérons, d'aller visiter cette splendeur alliant patrimoine et modernité.
Réservations au 05 45 95 16 84 et www.angouleme-tourisme.com . Tarif adultes : 5 €.
Photos (c) F. Sabourin