La cage aux folles médiatique
L’épisode hautement médiatisé – trop selon certains commentateurs et observateurs – des grilles anti-marginaux alcoolisés sur neuf bancs publics du Champs-de-Mars d’Angoulême aura au moins le mérite de faire réfléchir sur plusieurs maux que notre société dite moderne et débridée génère régulièrement.
Le premier – et non des moindres – concerne une nouvelle fois l’extraordinaire réactivité de la courroie de transmission des réseaux sociaux. Si le phénomène a pris une telle ampleur, c’est qu’il a été très largement amplifié par Facebook et Twitter, en un temps minimum. Certes, l’information de base provenait d’un quotidien local (dont les fenêtres donnent sur les bancs incriminés), mais la caisse de résonnance est venue des réseaux, pour le meilleur comme pour le pire. Un creux dans l’actualité – un éditorialiste de la Charente-Libre parle très justement de « marée basse » - a fait le reste. A 48 heures près, en amont comme en aval, l’information serait tombée en plein dans un autre fait divers : les conducteurs fous fonçant sur les foules à Joué-les-Tours, Dijon et Nantes. En aval, l’information c'était sous les kilomètres de bouchons enneigés des « naufragés de la route » (sic) sur la route des cols vers les stations de ski en Savoie. Les bancs grillagés auraient sûrement fait le buzz localement. Probablement pas nationalement.
La force de frappe des réseaux sociaux a de quoi interpeller les journalistes que nous sommes. Récemment, Le Monde en a fait douloureusement l’expérience, suite à la publication le 9 décembre dernier d’un article sur Saint-Etienne, « centre-ville miné par la pauvreté ». Déluge de tweets et de messages Facebook acides, d’invectives, de mails au chef du service France, etc. Le médiateur du quotidien a même dû intervenir (édition du 20 décembre). De mémoire du Monde - qui fêtait en décembre ses 70 ans - « on n’avait jamais vu ça. » Jusqu’au déploiement d’une banderole dans les tribunes du stade Geoffroy-Guichard : « Descend dans le taudis, on va t’apprendre à refaire Le Monde. » Diantre ! Et le journaliste envoyé spécial sur place pour éteindre l’incendie de s’interroger à la fois sur la manœuvre politique autant que technologique du nouveau maire de Saint-Etienne Gaël Perdriau (UMP). Fin utilisateur très réactif des réseaux sociaux, il a appelé les Stéphanois à poster sur Twitter les plus belles photos de la ville. Et ça a marché !
Cependant, la fronde, la bronca, la levée de boucliers n’a pas atteint celle à l’encontre de la municipalité angoumoisine et de son jeune maire, UMP lui aussi, Xavier Bonnefont. Pour les raisons déjà évoqué d’actualité molle, mais aussi parce que l’objet même du délit avait de quoi heurter : quiconque a vu les grilles posées – en catimini – sur les bancs ne peut que déplorer le style chenil qu’il représente. Le savoureux mélange avait donc tout pour mettre le feu aux poudres : les réseaux sociaux, la proximité de Noël (les grilles ont été posées le 24 décembre, et démontées le lendemain…), l’absence du maire lui-même laissant à son adjoint à la sécurité le soin d’affronter, pas toujours très adroitement, les médias nationaux accourus par l’odeur du bon sujet de société au milieu du chocolat, à la barbe du père Noël.
L’autre leçon est une leçon de communication. Ça n’est pas la première fois que le mobilier urbain choisi par une municipalité cherche à évincer un peu plus loin le problème des marginaux, punks à chiens et autres clochards des centres-villes. La RATP s’est même illustrée il y a quelques années en changeant les bancs pour des sièges individuels ou des barres pour éviter aux personnes de s’allonger. Que le maire d’Angoulême ait des problèmes de fréquentations et de relations entre un quartier commerçants et des marginaux, personne ne le conteste. Le sujet est ancien, il existe ailleurs, et personne ne semble pouvoir proposer une solution aussi efficace que satisfaisante pour tout le monde.
Mais que personne, dans son entourage, à commencer par lui-même, n’ait eu la présence d’esprit de le prendre par le bras et de lui glisser à l’oreille que « c’est peut-être une bonne idée ton truc coco, mais là, tu vois, la veille de Noël, c’est probablement pas le bon moment pour lancer cette opération », ça confine à l’étrangeté. On sait que les maires – même de villes moyennes – sont accaparés par de multiples tâches et qu’ils ne peuvent pas tout voir ni gérer. Du moins c’est ce qu’ils disent pour se défendre. Mais on sait aussi qu’ils savent très bien s’entourer de spécialistes de la communication dans des services idoines, et de chefs de cabinets dont on pourrait espérer qu’ils aient, eux, la tête suffisamment froide pour stopper un projet dont on pouvait aisément pressentir qu’il allait choquer et déclencher un buzz de tous les diables. Surtout sous les fenêtres du quotidien local ! (« si tu ne vas pas à l’information, c’est l’information qui viendra à toi »). Il y a là un dysfonctionnement dont l’équipe du maire d’Angoulême saura, c’est à espérer, tirer toutes les conséquences.
Cette cage aux folles servira-t-elle enfin de réflexion aux dirigeants de presse et de groupes médiatiques, très occupés on le sait à pencher leurs têtes et leurs « stratégies » au dessus de tableurs excels pour sortir du marasme dans lequel leurs journaux son plongés ? Aujourd’hui, n’en déplaise, les réseaux sociaux vont plus vite que le plus rapide des quotidiens. Ne parlons pas des hebdos : sans équipe web, ils sont à la ramasse. Après qui faut-il donc courir ? Mais il y a pire : la sous-estimation du web, des applications tablettes et smartphones, la méfiance vis-à-vis des réseaux sociaux s’apparentent à une faute professionnelle. Ils devront en rendre compte à l’heure des fermetures. Cette cage aux folles pose aussi la question non seulement de la déontologie, de la hiérarchie de l’information, de sa qualité. Mais plus encore de ce que disait le regretté Jacques Chancel, décédé la veille de tout ce barnum médiatique : « Faut-il donner au public ce qu’il a envie de voir, ou ce qu’il pourrait aimer ? »
C’est exigeant, c’est vrai. Peut-être pas très vendeur à court terme. Mais si nous, journalistes, ne voulons pas perdre notre âme, c’est là qu’il faut aller.
Sinon : dans la cage, les folles ! (et à poil, tant qu’à faire).
Bourlinguer
"Alors chus r'parti sur Québec-Air
Transworld Northeast Eastern Western
Pis Pan-American
Mais j'sais pu ou chus rendu"
(Robert Charlebois)
- Dans la brume électrique -
D'autres boulangeries-pâtisseries sont possibles...
(Parfois on me demande "Pourquoi es-tu journaliste ?" Pour ce genre de rencontre/portrait/reportage-là...)
Grégory Guyon, pâtissier-boulanger, est installé depuis mai 2012 rue des Trois Marchands (Blois) à la place de Feuillette. Pas toujours facile de succéder à un mastodonte de la boulangerie.
Sauvé par le sucre ! Grégory Guyon, formé chez les meilleurs pâtissiers orléanais, l'avoue lui-même : "Sans ce concours, c’était le redressement. On fermait" Lauréat en 2013 du concours Talents gourmands organisé par le magazine Le Bottin gourmand, Grégory Guyon, 29 ans, a vu sa notoriété exploser, et son chiffre d’affaires se redresser. Premier prix du concours, presse et radio locale, et, cerise sur ses gâteaux, TF1 le journal de Jean-Pierre Pernaut. " Le jour où ils sont venus, un samedi, on a fait cinq heures de tournage, pour deux minutes et demie de diffusion. J’ai augmenté mes ventes dès le passage au JT. Les gens venaient en disant : on vous a vu sur TF1 ! " Après ce bond lié à la diffusion du reportage chez Pernaut, la cadence est revenue plus régulière. Si son chiffre d’affaires en boulangerie n’était pas folichon, celui de la pâtisserie a doublé. " Une libération ", répète-t-il.
Pain chaud
Mais avant d’en arriver là, Grégory et Héloïse Guyon ont passé de mauvaises nuits dans le pétrin. C’est en mai 2012 qu’ils reprennent cette boulangerie appartenant à l’origine au couple Pain (ça ne s’invente pas) puis au fameux Jean-François Feuillette, qui ouvrit sa première boulangerie en 2005 rue des Trois Marchands, Le Théâtre du pain. La succession va s’avérer difficile, malgré la présence de Mickaël, l'ex boulanger de Feuillette, qui préféra alors rester sur place que de suivre son patron à Vendôme, où il ouvrait un nouveau magasin. À Blois comme ailleurs, quand un commerce change de propriétaire tout en gardant le même produit, c’est plus fort que tout : le consommateur compare. Mais pire encore : il devient de plus en plus exigeant. " Ce que les gens veulent, explique Grégory Guyon, c’est du pain chaud l’après-midi, et même toute la journée. " Difficile, pour ce jeune couple originaire d’Orléans, dont c'est la première affaire, de faire face. Un four à gaz est coûteux. Pas de pains chauds l’après-midi. La clientèle s'en va, vers d’autres boulangeries – dont Feuillette pourtant installé en périphérie de la ville. Sans imaginer que certains boulangers, pour avoir les fameux pains chauds jusqu'en soirée, réchauffent dans un four spécial les pains fabriqués… le matin.
Gâteau en apesanteur
Mais le talent fini toujours par payer. Au bord du gouffre, Grégory Guyon tente le tout pour le tout. Habitué des podiums de concours de pâtisserie – il travailla chez les meilleurs pâtissiers d’Orléans, et au restaurant de la Ferté-Saint-Aubin la Ferme de La Lande – il n’a cependant jamais atteint la première place. Il connaît, pourtant, le concours organisé chaque année par Le Bottin gourmand : Les Talents gourmands. Mais la constitution du dossier le freine. " Je n’avais pas le temps. Ce sont eux qui m’ont appelés. Ils m’ont dit : vous avez trente minutes ? Et ils ont rempli le dossier eux-mêmes en me posant les questions. " Voilà Grégory Guyon à Chartres au Grand Monarque, en présence du parrain Alain Souchon, et de quatre autres candidats. Il doit passer en dernier. Tout est prêt depuis la veille, mais il choisit de garder les deux heures dont il dispose pour fabriquer ce qui va devenir sa botte secrète : des pièces en sucre, sur lesquelles il posera son Cœur des bois, recette originale à base de produits locaux : croustillant de noisette et céréales ; marmelade de fraises des bois déglacées au vinaigre d’Orléans ; crémeux au miel ; mousse à la noisette. Miracle : le gâteau semble tenir en apesanteur à quinze centimètres de l’assiette. Souchon est séduit. Le jury est emballé. Il gagne le premier prix. La suite, vous la connaissez.
Un métier difficile
" J’ai mis mon expérience dans ce gâteau ", explique, modestement, le pâtissier d’à peine 30 ans, dont la vocation remonte à l’enfance. " Ma mère était aide familiale. Elle confectionnait beaucoup de pâtisseries avec les enfants, pour leur apprendre à manipuler des choses fines. J’ai aimé ça. " La pâtisserie vous semble complexe ? " C’est de la chimie ! Tout est pesé, la qualité de la farine est moins importante que pour le pain. En boulangerie, la fabrication du pain est beaucoup plus complexe : tout va dépendre de l’hydrométrie, de la température journalière, combien de temps et avec quelle force vous avez pétri etc. Il faut vivre le produit. " Manière de dire qu’un boulanger, quoi qu’on en dise, ne fait jamais deux jours de suite les mêmes baguettes, quand le consommateur – de plus en plus exigeant donc – souhaite lui un produit uniforme et constant, jour après jour.
Pour autant, le métier reste difficile : le régime des indépendants est intraitable, les lourdeurs administratives pesantes, difficile de se dégager un salaire mensuel, horaires très élastiques (il commence à 5 heures du matin, jusqu’à 18 heures et souvent plus), le quartier un peu excentré et peu fourni en places de stationnement. La litanie est celle entendue par ailleurs chez les artisans et commerçants. " Qu’on nous laisse bosser normalement avant de nous assommer avec des normes et des tracas administratifs ", souffle-t-il. Refrain connu. Demeurent la foi chevillée au corps, et l’envie d’en découdre, quitte un jour à s’expatrier – il y songe, parfois.
Ce serait dommage : face aux boulangers-pâtissiers de moins en moins artisans et de plus en plus industriels, Grégory Guyon fait figure d’orfèvre. Et ça, ça vaut de l’or.
F.S
article paru dans La Renaissance du Loir-et-Cher le 19/12/2014
Je te crèche à la face
150.000. C’est le nombre – selon l’Insee - de personnes qui vivent aujourd’hui dans la rue en France, pour 100.000 places d’accueil, au chaud, avec un lit et des draps propres. Face à la saturation nationale du 115, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) demande à l’Etat d’ouvrir sans attendre toutes les places d’accueil disponibles. Les listes d’attente s’allongent. Dans certaines villes, les gens appellent le 115 sans qu’on puisse leur proposer de solutions. « 40 % de plus qu’il y a 10 ans », selon Florent Gueguen, directeur général de la Fnars. 1,3 milliards d’euros sont pourtant engagés chaque année pour l’hébergement d’urgence… (Alors que le droit à l’hébergement est un droit reconnu par le Conseil d’État).
Et pourtant… Ces jours-ci, la polémique tournait autour des crèches dans les lieux publics : mairie, Conseil généraux, etc. Cachez ce sein (pourtant chaste) de la Vierge que je ne saurais voir ! Dehors le Jésus faisant pipi et caca dans ses langes, sous le regard attendri des bergers, et plus tard, de ces immigrés qui se font passer pour des rois mages ! Nom de Zeus bazardez-moi tout ce folklore à la con au nom du dieu laïc, merde !
Tiens mais au fait, la crèche… C’est quoi encore cette histoire ? Qu’est-ce que c’est que ce truc de gueux exposé à la face des riches et des puissants ? Et ce mioche ne pouvait-il pas naître ailleurs ? Dans une maternité chauffée avec la télé et 19 chaînes en chambre individuelle comment tout le monde non ? C’est bien la peine d’avoir un père adoptif artisan-commerçant, une mère femme au foyer et un géniteur qui se fait passer pour Dieu le père si c’est pour finir sur la paille ! Non mais c’est vrai quoi, merde.
Hein ? Comment ? Il n’avait pas de place dans la salle commune ? Ses parents s’étaient fait virer de partout et c’est pour ça qu’il est allé respirer l’air frais du dehors, en poussant son premier cri dehors justement ? Dans une mangeoire ou un creux de roche ? C’est pas vrai… Putain si c’est pas malheureux quand même…
Alors cachez-moi cette crèche que je ne veux pas voir. Elles rappellent trop aux psycho-rigides de la laïcité qu’ils sont eux-mêmes les premiers figurants du folklore : un âne et un bœuf. Elles rappellent surtout aux riches gavés de tout et surtout d’eux-mêmes ce qu’ils ne veulent pas voir : que cette crèche symbolise les 150.000 sans abris d’aujourd’hui. Pour lesquels « il n’y a pas de solution » autre que de les faire crécher dehors.
En leur créchant à la face.
http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/accueil-des-sans-abris-la-situation-est-catastrophique-en-france-614239
Ma cabane (mais pas au Canada) # 2
- Ma cabane -
Une cabane au Canada ? Non, ma cabane d’Ossalois, dans le petit matin de novembre froid. Encore un pas puis deux puis trois, voici l’éclatante chaleur visuelle et olfactive de l’automne. Ô tonne chéri ! Comme tu me caresses dans le sens du poil de tes senteurs, de tes couleurs ! Ils entrent par tous les pores de ma peau, et je vibre à te sentir m’envelopper, alors qu’un pas puis deux puis trois, j’arrive près de celle du Long d’Ayous, où je dormis tant de fois, enveloppé d’un drap d’étoiles et de rêves d’ascensions, contemplant avant que le marchand de sable ne passe la cime de « Jean-Pierre ».
Alors que je n’aperçois pas encore la faîtière du refuge d’Ayous, la neige crisse déjà sous nos pas, premiers flocons tombés la veille alors qu’en bas une pluie grise et froide enveloppait toute chose. Arrivés au bord du Lac Gentau, il y avait juste assez de brise pour empêcher le reflet de « Jean-Pierre » dans le lac, souvenir d’une belle photo ici même à l’automne dernier.
- Etat de siège -
Qu’à cela ne tienne, et c’est vers Berseau que nous allons, où la bordée de nuages – inoffensifs – donnent à penser… Au bord du lac Castéreau la vue était à la hauteur de la journée. Le cul sur une pierre froide, le pâté à l’ail ne nous a pas empêché de contempler ce qu’il y avait à voir, risquant juste une fracture de l’œil (ça fait pas mal).
- Just have a lunch -
En descendant près d’autres cabanes – toujours pas au Canada – deux cadavres de vaches dévorées récemment par les vautours qui ont dû s’en donner à cœur joie… Chers vautours, désormais repus… Qu’ils se régalent les braves, des blondes d’Aquitaine aux bourbonnaises en passant par celles du Perche, qu’ils se repaissent de ces restes royaux, avant que l’hiver n’arrive et ne les mette à la diète forcée ! Les encorneuses cornues finiront cocues, avec de belles cornes… Je « contemple » ce qui reste de ces bovins, et songe à d’autres, en criant : « mort aux vaches ! »
- Death valley -
- Death valley # 2 -
Mais déjà le jour baisse et la fraîcheur se fait sentir : nous ne sommes plus en été malgré la douceur de vivre de cette journée extraordinaire. Il faut, encore une fois, se résoudre à redescendre et retrouver la vallée, non sans avoir fumé la cigarette de la liberté au cul de la bagnole en contemplant une dernière fois, cabanes, arbres en feu automnal, et sommet mythique sur lequel nous étions il y a à peine deux mois. Montagnes Pyrénées, décidément, vous êtes mes amours.
- Après l'effort -
F.S. 8-11 novembre 2014. Vallée d'Ossau, Béarn, France.
suite de Ma cabane, mais pas au Canada (teasing de ouf !)