Encore une "minute," Monsieur le bourreau !
Le journal Minute fait sa pub (il doit en avoir bien besoin), le pays est à feu et à sang, les commentateurs commentent, les éditorialistes éditorialisent, les députés s’insurgent à droite comme à gauche, et même au centre – qui sait ? Le racisme est de retour, la parole s’est libérée, au secours ! Les tabous ont sautés, les complexes sont décomplexés. Et voilà que les préfets envoient des notes confidentielles au ministère de l’Intérieur, notes tellement confidentielles en effet qu’elles se retrouvent dans le Figaro grâce à des fuites savamment orchestrées. Les mêmes notes traduisaient - mais qui s’en souvient désormais ? – une « situation insurrectionnelle » lors du précédent quinquennat de qui vous savez, notamment au moment très énervé de la réforme de la carte judiciaire, où les magistrats étaient vent debout mais têtes nues (je veux dire sans bonnet d’une quelconque couleur) et la France, déjà au bord du gouffre. « Ça va mal finir, » pronostiquait même François Léotard dans un petit livre paru chez Grasset et tombé dans l’oubli, lui aussi.
Tout aussi abjectes soient les sorties minables à l’encontre de Mme Christiane Taubira, les professionnels de la politique – entendez par là ceux que vous et moi élisons, peut-être – ont beau jeu de pousser des cris d’orfraies de vierges effarouchées qui se demandent comment tout cela va rentrer. Et Jean-Marc Ayrault de s’émouvoir : « c’est une attaque au cœur de la République. » Les députés lui emboîtent le pas, tous autant qu’ils sont. C’est oublier un peu vite que ces derniers n’ont pas les cuisses propres pour venir donner des leçons de morale et de bon goût à la presse, qui, dans le cas de Minute, n’en n’a probablement pas. Un petit florilège des dernières paroles de bon goût des derniers mois :
Le 9 octobre, c’est le caquetage de poule du député Philippe Le Ray (Morbihan) lors de l’intervention à l’Assemblée de Véronique Massonneau (député écologiste de la Vienne). Condamnation unanime, honte à lui, hystérie collective, sexisme etc. Il en a pris pour son grade pour cette sortie pas drôle et en dessous de la ceinture, au niveau des fesses dont il porte si bien le nom.
En juillet, c’était le marmonnage de Gilles Boudouleix, député maire de Cholet, qui avait dit tout bas face à des gens du voyage qui lui faisaient le salut nazi (ce qui est déjà d’un goût douteux, n’est-ce pas ?) « qu’Hitler n’en avait peut-être pas tué assez pendant la guerre. » Tollé général, condamnation unanime, députés et ministres vent debout, hystérie collective et médiatique. Les vacances d’été et le soleil d'août sont venu effacer tout cela, on est passé à autre chose, comme d'habitude.
Loin de nous l’idée de relativiser la gravité de tous ces propos, nuls, archi nuls et entraînant encore un peu plus le pays dans une spirale mortifère dont on ne voit toujours pas l’issue. Mais il suffit pourtant d’assister à une seule séance du Palais Bourbon pour s’apercevoir du niveau très bas des coups et mots échangés par ceux qui nous représentent. Certes, « c’était encore pire avant, » et citons une nouvelle fois les échanges nauséabonds d’insultes en tous genres de la fameuse IIIe République, allant même jusqu’aux duels ! Nous n’oublierons pas quant à nous, une séance à laquelle nous avons assisté en décembre 2010, où, quand Roselyne Bachelot prit la parole, un député (mais lequel, vu le bordel ambiant digne d’une classe de 4e c’était impossible de la savoir ?) avait gueulé : « ah ! voilà Lady Gaga ! » Nous ne sommes certes pas au niveau des bananes et des guenons, mais les femmes – elles ne sont que 52 pour 497 députés hommes ! – peuvent témoigner de leur calvaire quotidien. On se souvient des sifflets lorsque Cécile Duflot était apparu en robe à fleur, c’était au début du quinquennat « irréprochable » de Monsieur Hollande, « Moi, Président de la République. » D’ailleurs ces députés et ministres qui fustigent le « retour du racisme en France » peuvent-ils regarder la « couleur » de cette Assemblée dite nationale ? Où sont les blacks ? Ou sont les beurs ? Les « minorités visibles, » comme ils disent, sont… invisibles justement. Manuel Valls lui-même n’avait-il pas dit lors d’une visite d’Evry (la ville dont il était le maire) : «Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos.» Nous étions en juin 2009 il est vrai. Une éternité. Il y a donc bien longtemps que les complexes ont sautés chez ces hommes blancs aux costumes sombres et cheveux gris : les députés.
Allez, plus que 48 heures et le cirque médiatico-hystérique sera passé à autre chose. Ça tombe bien, vendredi soir, il y a du foot. L’équipe de France joue sa qualification pour le Brésil contre l’Ukraine. L’équipe de France dites-vous ? Non mais vous avez vu la couleur de ces bleus ? Diantre ! C’est un coup à glisser sur une peau de banane en enfilant son bonnet rouge… Et pourtant ce sont à peu près les mêmes qui ont mis toute une France (ou presque) dans les rues un certain soir de juillet 1998. Comment disait-on alors ? Ah oui, c’est ça : « Black, blanc, beur. »
La route est encore longue…
PS : Et sinon, pour les Unes dégueulasses, insultantes et dégradantes de Charlie Hebdo, on fait quoi ?
FS
Journaliste, c’est un métier
L’enlèvement et l’exécution quelques dizaines de minutes plus tard de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, reporter de RFI, à Kidal dans le nord Mali, a semé le trouble parmi la profession. Ces deux reporters chevronnés, passionnés par l’Afrique, n’ont certes pas été spécialement encouragés par les militaires de l’opération Serval de se rendre à cet endroit-là, et j’en entends déjà qui ricannent dans la barbe de leur médiocrité « qu’ils n’avaient donc pas à y aller. » Mais leur métier est d’informer, sans relâche, avec professionnalisme et la liberté nécessaire à la propagation de ces informations, fut-ce-t-elles pêchées dans des zones de non droit, justement.
La dureté et la lâcheté avec laquelle ils ont été abattus de sang froid, sauvagement, comme des bêtes, est ignoble et interroge tous les journalistes. J’ai bien dit tous les journalistes, y compris ceux qui, au quotidien – et j’en suis – ne prennent pas les mêmes risques pour rapporter des informations aux auditeurs, lecteurs, téléspectateurs, internautes etc. Je vois mal, personnellement, un président de Conseil général, ou un maire d’une commune quelconque de Loir-et-Cher, pas plus qu’un responsable associatif ou un chargé de communication lambda, énervé par une question posée, me prendre à part et me conduire dans une arrière salle où je prendrai deux ou trois balles dans la peau. Les risques que nous prenons, si on peut parler ainsi, sont essentiellement… routiers : il y a par ici beaucoup de gibier qui traverse les routes départementales...
Puisqu’il m’arrive dans ce blog de dire « je, » alors permettez-moi de dire que si sur la forme, je ne fais pas le même métier que les reporters de RFI (ou d’autres médias du même tonneau) qui vont mettre les pieds et le reste du corps là où j’hésiterai à y glisser une phalange, sur le fond, nous faisons le même boulot : informer, poser des questions, rendre compte. Et cela librement, parce qu’informer, oui monsieur, c’est une liberté, n’en déplaise aux pisses vinaigres, pour rester poli.
Journaliste, vous l’aurez compris, c’est un métier. Que ce soit à Kidal au nord du Mali, à Alep en Syrie, dans un bled paumé d’Argentine ou un trou de Loir-et-Cher (et Dieu sait qu’il peut y en avoir !), « c’est un sale boulot qu’on peut faire proprement, » comme disait dans son bouquin sur l’affaire de Tarnac David Dufresne*. C’est un boulot tout court. Un truc qui prend du temps. Parfois beaucoup. Qui rémunère peu et souvent au lance pierre. Que pas mal d'entre nous accomplissent avec des contrats merdiques et sans trop se plaindre svp parce que sinon, « il y en a d’autres qui poussent derrière. » C’est un métier que beaucoup – j’en fais partie – accomplissent avec un réel plaisir évident même si les perspectives d’avenir sont floues.
Alors quand on vient nous bassiner avec le journalisme dit « participatif, » les citoyens-journalistes qui sortent leur smartphone pour faire des images, se prendre pour Tintin reporter, téléphoner aux grandes radios pour passer en direct dans les « talk » ou poster n’importe quoi sur des blogs à la con en se prétendant journalistes, excusez-moi, mais ça me fait rire. Jaune. Et c’est souvent bête, à pleurer.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, lorsque dimanche matin dans la douceur de mon lit le journal de 8 heures de France Culture m’a appris votre mort, je le dis, je le clame haut et fort : ça m’a secoué, sincèrement. Et j’ai eu du mal à convaincre ceux que j’ai croisé ce jour-là que c’était quelque chose de terriblement important, ce qui venait de se passer.
Le corporatisme et la solidarité de notre métier n’est pas toujours compris à sa juste valeur, je crois. Comme dans tous les corps de métiers, il y a aussi parmi nous pas mal de couillons qui déshonorent la profession. Souvent, les gens nous disent d’un ton badin, « ah, vous, les journalistes… ! » avec cette pointe d’ironie et de dégoût, comme s’ils vomissaient leur cassoulet de la veille.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sans faire de vous des saints ou des martyrs que vous n’étiez pas et que vous ne vouliez sûrement pas être, j’ai mal à mon stylo de vous savoir exécutés de la sorte, en faisant votre boulot, tout simplement.
Faire son boulot…
Juste ça.
* Tarnac, magasin général, chez Clamann-Levy.
F.S
Avant l’hiver
- Entre Cujalat et Laiterine -
Pourquoi diable l’automne est-elle la saison préférée de beaucoup de promeneurs, nez en l’air, nez au vent, quand viennent à nous les premiers frimas matinaux et les jours courts ? J’en ai une vague idée : si nous aimons l’automne, c’est paradoxalement pour la chaleur qu’elle dégage. Chaleur presque humaine d’une nature en plein endormissement, en lente mais sûre préparation de son hibernation. Tout y concourt : couleurs chatoyantes de tout ce qui porte branches et feuilles. Lumières changeantes qui, lorsqu’elles se font rasantes à partir du milieu de l’après midi, habillent de rêves et de nostalgie toute forme terrestre. Promesse d’une boisson chaude au coin d’un bon feu de cheminée, le retour venu. L’odeur des marrons grillés, des soupes à la citrouille ou au potimarron. L’odeur de champignons et de moisissures des sous-bois aussi. Le silence revenu dans une montagne vide – ou presque – désormais. Quelle ne fut pas notre surprise de constater que quelques bovins ruminaient encore à 1300 mètres près de la cabane de la Cujalat, en Ossau, sise au dessus des gorges du Bitet. Et encore au dessus, près de la cabane de la Laiterine (1640 m), des chevaux (qui n’ont rien de sauvage…) se chauffant le cuir au soleil d’une journée automnale peu banale. A quelques mètres de leurs sabots, la neige tombée la veille saupoudrait encore de son fin manteau les roches environnantes, comme une poussière d’ange jetée là négligemment, et scintillant sous le beau blond. Le col d’Iseye (1840 mètres), entre Aspe et Ossau, avait invité un petit vent frais qui se chargea de nous rappeler la saison, et la date : 31 octobre. Un temps pas trop de « Toussaint » donc, bien moins qu’au printemps en tout cas, avant que le surlendemain, « le jour des morts » recouvre le plateau d’Anouilhas d’un gris perle triste mais dégageant une atmosphère particulière à ce grand plateau désert. Esprit, étais-tu là ?
J’aime ce moment où la montagne semble s’endormir mais laisse encore la possibilité à ceux qui la fréquentent d’arpenter ses flancs avant que le morne blanc ne recouvre tout pour environ six mois. Rien d’un « adieu » dans ces flâneries d’automne. Plutôt un « au revoir. » Mieux, une promesse : à bientôt.
- Près de la Laiterine -
- Déjeuner sur l'herbe au col d'Iseye -
- "Arrivat a una cujalat" -
- Jean-Pierre montre ses dents -
- Plateau d'Anouilhas : Esprit, es-tu là ? -
- Adichas ! -
(c) Fred Sabourin, 31 octobre - 2 novembre 2013. Vallée d'Ossau, France (64).