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Le jour. D'après fred sabourin

Dernier amour, ou Casanova désincarné

22 Mars 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma

Film de Benoît Jacquot. Avec Vincent Lindon (Giacomo Casanova), Stacy Martin (Marianne de Charpillon), Valeria Golino, Julia Roy, Nancy Tate.

- Vincent Lindon, Stacy Martin -

- Vincent Lindon, Stacy Martin -

Giacomo Casanova est au crépuscule de sa vie. En 1785, solitaire et en retrait au château de Dux en Bohême, il écrit ses mémoires, Histoire de ma vie. Une jeune femme rend visite à cet homme à la voix fatiguée. Commence un long flash-back où Casanova raconte comment, trente ans auparavant, il a buté sur la seule femme qu’il n’a pu définitivement conquérir, Marianne de Charpillon, rencontrée lors d’un exil à Londres. Lui qui fut, comme il le dit, « l’ami de toutes », n’aura pu être celui de cette jeune courtisane « infréquentable » comme elle l’avoue elle-même. Elle voulait qu’il l’aime « comme un fiancé ; autant qu’il la désire ». Un amour douloureux qui marqua le début de sa décadence. « J’ai toujours été l’ami de toutes. Sauf une. » Benoît Jacquot met en scène cet épisode de la vie du séducteur italien dans Dernier amour. Et il nous endort un peu, Jacquot…

Dernier amour, ou Casanova désincarné

Car si peu de chair, si peu de désir, si peu d’émotion transpirent de ce Dernier amour de Benoît Jacquot... Quel dommage d’être passé à côté de son sujet, avec pourtant tous les ingrédients pour y parvenir. Un personnage historiquement fascinant (Giacomo Casanova) ; une courtisane de 17 ans ingénue et finement calculatrice, connaissant ses charmes et la faiblesse des hommes qui la font vivre ; les sentiments troubles qui font naître le désir ensuite ; une union impossible ou toujours empêché ; deux acteurs superbes pour les incarner. Las. Bien après le mot "fin", le spectateur attend toujours une émotion, en vain.
 

Malgré cela, Benoît Jacquot apporte à ce Dernier amour des ingrédients qui le sauvent : une photo soignée, la mise en scène de Londres au XVIIIe siècle précise, de subtils éclairages et des cadrages rigoureux. Le personnage de Marianne de Charpillon interprété par Stacy Martin (vue dans Amanda  de Mikhaël Hers l’automne dernier avec Vincent Lacoste) a, malgré sa candeur, beaucoup plus d’intérêt dans l’ingéniosité que le héros en déclin, autrefois flamboyant mais déjà sur la fin. Dommage que Vincent Lindon, d’ordinaire donnant tant d’épaisseur à ses personnages, en manque cruellement, faisant de Dernier amour un film certes attendu et désiré comme une fiancée, mais finalement dénué de chair et de sentiments. La débandade. 

F.S.

- Vincent Lindon -

- Vincent Lindon -

- Stacy Martin -

- Stacy Martin -

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Notre enfance est toujours un secret...

17 Mars 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature

Notre enfance est toujours un secret...

"Mes parents ont tâché de me donner une bonne éducation, mais il n'y ont pas réussi. La maison avait trop d'issues de plain-pied sur deux ou trois rues et, par la porte de la cuisine ou celle du jardin, j'étais bientôt dehors. En réalité, les parents n'élèvent pas leurs enfants, même quand ils les gardent à vue. Notre enfance est toujours un secret".

(...)

"En hiver, après le dîner, le domestique posait la lampe de porcelaine bleue sur la table du salon et jetait dans la cheminée un fagot de sarments dont les flammes tout de suite montaient ; mon père s'enfonçait sans un fauteuil, lançant très loin par bouffées la fumée de sa cigarette ; ma mère prenait son ouvrage ou un roman qu'elle commençait par la fin et ne quittait plus. J'apprenais mes leçons sous la lampe. Mon père me posait des questions instructives, ou bien, sans s'apercevoir de ma présence, poursuivait avec ma mère une discussion aigre et interminable où le même sujet avec ses pointes était ressassé sans fatigue. Parfois, dans la même nuit, ce colloque reprenait d'un lit à colonne à l'autre, aux deux bouts de la grande chambre. Les soirs paisibles, mon père se mettait au piano, fredonnant avec des éclats de voix subits, et ma mère se levait et lui caressait la tête".

Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. Stock 1938.

Notre enfance est toujours un secret...
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Grâce à Dieu (les faits sont prescrits…)

7 Mars 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma

Grâce à Dieu (les faits sont prescrits…)

Le film de François Ozon retrace l’éclatement de l’affaire Preynat, prêtre du diocèse de Lyon qui a abusé d'environ 70  enfants scouts durant deux décennies, et du silence coupable de sa hiérarchie, dont Mgr Barbarin l’actuel archevêque de Lyon, qui l'a laissé dans ses fonctions jusqu'en septembre 2015. Un film tendu, aux limites du documentaire, mené comme un thriller, où l’on voit la quête des plaignants, rassemblés en association La Parole libérée, afin de faire éclater la vérité de faits certes prescrits pour la plupart, mais bien réels pour les victimes qu’ils sont toujours. Grâce à Dieu, dont les avocats du cardinal-archevêque Philippe Barbarin voulaient interdire la sortie le 20 février dernier parce que le jugement n’avait pas encore été rendu, a obtenu l’Ours d’argent au festival du film de Berlin.

Grâce à Dieu (les faits sont prescrits…)

François Ozon voulait filmer « des hommes qui pleurent » (sic). C’est réussi. Pourquoi ça marche ? Parce que les hommes en questions ont tous, dans Grâce à Dieu, quelque chose de l’enfance brisée net sur l’autel de l’impensable. Abusés sexuellement par celui en qui ils avaient toute confiance – le père Bernard Preynat, charismatique aumônier du groupe scout Saint-Luc, fer de lance de la pastorale lyonnaise dans les années 70-80 – Alexandre (Melvil Poupaud), François (Denis Ménochet) et Emmanuel (Swann Arlaud) portent encore en eux la marque de l’agression. Indélébile. Innommable. Incompréhensible. Il en résulte un film abouti, sec, sans cruauté inutile, sans pathos superflu, où les victimes cherchent à se reconstruire à travers « la parole libérée ».


Trois itinéraires, trois personnalités, trois manières de voir la reconstruction après la déconstruction. Il y a d’abord Alexandre (Melvil Poupaud), l’homme par qui tout arrive (François Devaux dans la vraie vie). Père de famille de cinq enfants, à la situation sociale confortable, fervent catholique et habitant un appartement bourgeois de la presqu’île en bord de Saône, se heurte dans un premier temps à l’inertie de l’Église. Il contact et rencontre plusieurs fois la psychologue du diocèse – Régine Maire, son vrai nom – mais le cardinal Barbarin (François Marthouret) ne semble pas prendre toute la mesure de ce qu’il faudrait pourtant faire  sans trop se poser de questions : suspendre le père Preynat de toutes fonctions cléricales, et porter l’affaire devant la justice, même si « les faits sont prescrits », comme il le dira lui-même maladroitement dans une conférence de presse en mars 2016.
 

Il y a François (Denis Ménochet), lui aussi père de famille de 3 filles, ayant lui aussi plutôt bien réussi socialement, après avoir tout refoulé jusqu’au jour où les démarches d’Alexandre viennent le sortir de sa torpeur et le secouer sans ménagement. D’un tempérament plutôt impulsif, furieux, il peine à se situer dans la procédure, oscillant entre envie de coups de communication et nécessité d’avancer pas à pas pour apparaître le plus crédible possible.

- Swann Arlaud, Josiane Balasko - (c) Mars Films

- Swann Arlaud, Josiane Balasko - (c) Mars Films

Il y a enfin Emmanuel (Swann Arlaud), jeune homme qui lui n’a rien construit ou pas grand-chose, « pas de boulot, pas de famille, une relation toxique avec ma copine », des relations avec son père au point mort. De très loin la figure la plus impressionnante des comédiens de Grâce à Dieu, même si Ménochet, Poupaud et Éric Caravaca (Gilles, médecin qui va lui aussi jouer un rôle actif dans La Parole libérée) ne sont pas à la remorque. Emmanuel attend beaucoup de cette lutte du collectif pour se reconstruire, enfin. Mention spéciale au personnage de sa mère, joué par Josiane Balasko, discrètement bouleversante).
 

Seuls les clercs passent à travers les mailles du filet – image insaisissable qu’ils cherchent à donner d’eux-mêmes ? – dans des rôles finalement bien fades, comme perdus une fois que l’échafaudage de la hiérarchie semble s’écrouler. Bernard Verley, qui interprète le père Preynat, donne pourtant le maximum pour entrer dans le personnage qui reste lointain ; que dire du cardinal Barbarin (François Marthouret) qui semble désincarné ? Parti pris d’un film construit sur le seul point de vue des victimes ? Rien n’est de trop pourtant dans Grâce à Dieu de François Ozon, même la réplique lancée par Éric Caravaca (Gilles) : « On ne fait pas ça contre l’église mais pour l’église ». En sortant, on repense aux mots du cardinal Yves-Marie Congar (théologien dominicain expert au concile Vatican II, exposé aux soupçons et sanctions de l’autorité ecclésiales), qui disait : « souffrir pour l’Église n’est rien comparé à souffrir par l’Église ». On ne saurait mieux résumer…

Grâce à Dieu (les faits sont prescrits…)
Jeudi 7 mars, le jugement a été rendu dans le cadre du procès Barbarin, devant le tribunal correctionnel de Lyon. Mgr Philippe Barbarin, cardinal-archevêque a été condamné à 6 mois de prison avec sursis par le tribunal. En janvier dernier, le procureur de la République avait requis la relaxe. Mgr Barbarin a annoncé qu’il remettrait sa démission au Pape François « dans les jours qui viennent ».

 

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