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Le jour. D'après fred sabourin

litterature

Chambre froide (chapitre 2)

29 Novembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #montagne

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"L'élégance est de mourir. Je prends appui sur l'autorité de la neige : une reine descendue du ciel avec de longs gants blancs et voici que ses doigts s'écartent, que le cadeau de la plus belle pensée nous est donné. Quelques jours, puis elle meurt. Son apparition était dès l'origine son effacement. Construire une abbatiale qui traverse les siècles peut sembler orgueilleux en regard de ce vœu éphémère de la neige. Mais c'est la même magie : les pierres de l'abbatiale ont commencé à fondre dès que je leur ai tourné le dos".

Christian Bobin (24 avril 1951 - 23novembre 2022). La Nuit du cœur, Gallimard, 2018).

Photos : F.S., novembre 2022. Ariège, Siguer. Cabanes de Brouquenat-d'en-Haut et Peyregrand.

Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)
Chambre froide (chapitre 2)

"La noblesse de la neige : arriver silencieusement, partir très vite" (Sylvain Tesson, Une très légère oscillation, journal 2014-2017).

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Prof de lettres, prof de l’être

21 Avril 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #édito

Certains profs sont davantage que des profs. Les anciens du collège et lycée Saint-Paul d'Angoulême qui ont la chance de s’en souvenir ont connu de véritables éducateurs, des pères et des mères d'amis proches, des confidents parfois, des personnes respectées parce que respectables que nous écoutions avec passion, qui nous ont transmis les choses essentielles de la vie sur lesquelles nous pouvons encore compter aujourd'hui. Daniel Chaduteau était de ceux-là.

Il y a ceux qui l'ont eu comme prof de français ou de latin (ou les deux !), avec des souvenirs contrastés... Il était dur, exigeant, pas toujours tendre avec ses élèves malgré un humour piquant et caustique qui pouvait parfois se révéler un peu maladroit et pas toujours bien compris dans les classes. Il était craint, diront certains(nes) mais n'est-ce pas ce que l'on doit un peu attendre aussi d'un enseignant ? Sa culture classique était pantagruélique. Passionné de Grèce hellénistique et d’histoire romaine, d’Italie et de versions latines, elle semblait ne jamais avoir été totalement rassasiée. D’où tenait-il cette passion dévorante, lui, fils d’un modeste boucher d’une rue commerçante d’Angoulême, qui avait fait ses premiers pas à l’école publique avant de franchir au collège les grilles de la fameuse « école Saint-Paul » des pères diocésains, au bon sens de paysans charentais instruits  ? Probablement d’une rencontre avec un enseignant qui aura, pour lui aussi, marqué sa vie. Une sorte de Cercle des poètes disparus avant l’heure…

Il y a ceux – j’en étais - qui l'ont surtout côtoyé au fameux Ciné-club du collège et lycée, « entre midi et deux » comme on disait, au milieu des années 80, dans une petite salle sombre donnant rue de Beaulieu dont les fenêtres étaient calfeutrées de rideaux occultant, pour faire « salle de cinéma ». Ce Ciné-club a malheureusement été tué par les changements d’horaires et la décision de reprendre les cours à 13h30 au lieu de 14h. Pendant des années, il aura eu le temps de nous passer les grands films de l'histoire du cinéma, dont certains n’étaient pas toujours adaptés à nos envies et goûts de l’époque – je songe à West side story, deux heures trente de comédie musicale envoyées à l’âge de 12 ans il fallait se les farcir ! Il y eut aussi Barry Lyndon, Le Guépard, Mort sur le Nil, Elephant man, Cinéma Paradiso, les 400 coups, la Dolce Vita, Rome ville ouverte, l'As des as, Il était une fois dans l'ouest, mais aussi Les Dents de la mer, la trilogie de La Guerre des étoiles, et tant d'autres. Probablement aussi de Nanni Moretti qu’il aimait beaucoup et que j’ai dû oublier. Cette exigence-là aussi n’a pas toujours été facile à faire entendre aux collégiens mal dégrossis que nous étions alors. Personnellement, je lui sais gré de nous avoir quelques fois demandé d’insister et de ne pas quitter les films avant la fin ; du cinéma parfois âpre, dur, mais qui ouvrait un champ culturel immense, un imaginaire débordant que seul le 7e art développe, pour les scénarios et le goût du jeu des comédiens. Cet apprentissage-là n’était pas seulement pour nous faire passer le temps en attendant de retourner en cours, c’était aussi du temps vécu.

En 2017 au Festival du film francophone d’Angoulême, nous nous sommes retrouvés ensemble avec une autre ancienne prof de lettres de Saint-Paul et critique de cinéma elle aussi, à la projection, en compétition officielle, de Petit paysan d’Hubert Charuel. En sortant, il m’a dit, impressionné par ce film : « tu vois, je crois qu’on vient de voir le futur Valois de diamant du festival », récompense que le film a ensuite obtenu ; il ne s’était pas trompé ! On avait discuté du rôle tenu par Swann Arlaud autour d’une bière. Nous étions devenus égaux, même si je me sentais encore un peu l'élève.

Il y a ceux et celles qui l'ont connu comme père - Frédéric, Sophie et Stéphanie - qui se coltinaient des versions latines pendant les vacances... Ceux qui l’ont connu organisant  les boums de ses enfants dans le garage de la rue des Blanchettes les samedis après-midis ; les retours de week-ends scouts aux odeurs âcres de sueur adolescente et de feu de bois dans la Renault 21…

Ces profs-là, dont il était, nous ont tout transmis ; l'amour des lettres et de l'être, du savoir et de l'auxiliaire avoir, des alexandrins et la « césure à l'hémistiche », du théâtre et des films, le goût de l'effort, la rigueur dans le travail et une certaine forme de rhétorique. Le jour où ils meurent, on entend au loin dans la forêt le bruit des chênes qu'on abat. J’ai lu ça un jour en exergue du livre de Malraux : « Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule / Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule ! ». Il a désormais probablement rejoint son Cinema Paradiso... RIP Daniel Chaduteau.

F.S. 21 avril 2021

PS : je demande à mes professeurs de français et d'histoire, qui se reconnaîtront peut-être (Jean-Louis P., Hubert B., Sylvie S., Michèle B., Jacques B.), d’accepter mes humbles excuses pour les immanquables fautes de grammaire, conjugaison, accords de participe passé, de style « trop oral » ou d’une concordance des temps mal maîtrisée, qui émailleront probablement cette « rédaction ». Même avec toute la « rigueur » de l'enseignement, tout n’est pas passé…

- Charente Libre du 20 avril 2021, faisant état des réactions sur les réseaux sociaux à l'annonce de sa disparition -

- Charente Libre du 20 avril 2021, faisant état des réactions sur les réseaux sociaux à l'annonce de sa disparition -

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O vous tous, mes amis, nous ferons mieux encore...

13 Novembre 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #l'évènement

- Charente, 11 novembre 2020 -

- Charente, 11 novembre 2020 -

« J’ai retraversé le groupe des soldats, qui continuaient à se pousser pour lire. J’ai regardé, en passant auprès d’eux, ceux qui se trouvaient sur ma route : ils avaient tous des visages terreux, aux joues creuses envahies de barbe ; leurs capotes gardaient les traces de la poussière des routes, de la boue des champs, de l’eau du ciel ; le cuir de leurs chaussures et de leurs guêtres avait pris à la longue une couleur sombre et terne ; des reprises grossières marquaient leurs vêtements aux genoux et aux coudes ; et de leurs manches râpées sortaient leurs mains durcies et sales. La plupart semblaient las infiniment, et misérables.

Pourtant, c’étaient eux qui venaient de se battre avec une énergie plus qu’humaine, eux qui s’étaient montrés plus forts que les balles et les baïonnettes allemandes ; c’étaient eux les vainqueurs ! Et j’aurais voulu dire à chacun l’élan de chaude affection qui me poussait vers tous, soldats qui méritaient maintenant l’admiration et le respect du monde, pour s’être sacrifiés sans crier leur sacrifice, sans comprendre même la grandeur de leur héroïsme.

Demain, peut-être, il faudra reprendre le sac, les lourdes cartouchières qui meurtrissent les épaules, marcher des heures malgré les pieds qui enflent et brûlent, coucher au travers des fossés pleins d’eau, manger au hasard des ravitaillements, avoir faim quelques fois, avoir soif, avoir froid. Ils partiront, et parmi eux ne s’en trouvera pas un pour se plaindre et maudire notre vie. Et quand viendra l’heure de se battre encore, ils auront le même geste vif pour épauler leur fusil, la même souplesse pour bondir entre deux rafales de mitraille, la même ténacité pour briser les assauts de l’ennemi. Car en eux vit une force d’âme qui ne faiblira point, que la certitude de la victoire va grandir au contraire, et qui toujours aura raison de la fatigue des corps. O vous tous, mes amis, nous ferons mieux encore, n’est-ce pas, que ce que nous avons fait ?

Mais des cris s’élèvent à la sortie du village. Des hommes grimpent à toutes jambes vers le sommet du plateau. Il y a là-haut une forte troupe massée, un demi-bataillon peut-être. Les capotes bleues et les pantalons rouges se détachent en teintes vives ; les plats de campement, les bouthéons, les gamelles brillent malgré la lumière pauvre. Tout cela est propre, astiqué, battant neuf. Ce sont les renforts qui viennent d’arriver ».

Maurice Genevoix, Ceux de 14. Sous Verdun.

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Maurice Genevoix et les Poilus : au Panthéon !

11 Novembre 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #littérature

Le vendredi 11 septembre 1914, M. Genevoix écrit dans son carnet, qui deviendra ensuite Ceux de 14. Sous Verdun (dédié à son camarade Loirétain Robert Porchon, chef de section à la 7e compagnie du 106e Régiment d'Infanterie comme lui) : "Debout ! Sac au dos !" On part. Une dizaine de fusants éclatent dans les champs, des flaques, des mares qui s'étalent, et de minuscules canaux parallèles au fond des sillons droits.

- Mardi 10 novembre, 16h45-17h, Angoulême-nord, Champniers -
- Mardi 10 novembre, 16h45-17h, Angoulême-nord, Champniers -
- Mardi 10 novembre, 16h45-17h, Angoulême-nord, Champniers -

- Mardi 10 novembre, 16h45-17h, Angoulême-nord, Champniers -

Encore des bois, un chemin perdu sous les feuilles denses, d'un vert avivé par la pluie. Des fossés comblés d'herbe drue, de ronces emmêlées qui poussent des rejets jusqu'au milieu du chemin. Des trilles, des roulades, des pépiements sortent des frondaisons. Parfois, un merle noir s'envole devant nous, filant si bas qu'il pourrait toucher terre de ses pattes, et soulevant les feuilles au vent de ses ailes. Au-dessus de nos têtes, une grande trouée bleue, limpide et profonde, attire le regard et le caresse. Douceur et paix.

Lorsque nous sortons des bois, tout est redevenu gris et navrant. Nous pataugeons dans un pré marécageux où des canons et des caissons s'alignent, encroûtés de boue jusqu'à la hauteur des moyeux et mouchetés d'éclaboussures. Des entrailles de moutons, des peaux visqueuses s'affaissent dans les flaques en petits tas ronds. Des ossements épars, qui gardent attachés des fragments de chair blanchâtre, délavée, donnent à cette plaine un aspect de charnier. Une route la traverse, luisante d'eau qui stagne, bordée d'arbres tristes, à perte de vue. Et sur cette platitude pèsent les nuages bas, aux formes lâches, de grandes traînées de pluie qui rampent l'une vers l'autre, s'accouplent se confondent, finissant par voiler tout le bleu qui brillait à travers les feuilles et nous faire prisonnier d'un ciel uniformément terne, humide et froid.

Nous sommes près de Rosnes derrière nous, un village au bord de la route. J'évoque les maisons qui ne furent peut-être pas bombardées, les granges où il y a du foin, du foin moelleux, odorant et tiède, dans lequel il ferait si bon s'enfouir".

Maurice Genevoix. Ceux de 14. Sous Verdun.

En 1927, tirant parti du Prix Goncourt pour Rabolliot (1925), il avait acheté une vieille maison dans le hameau des Vernelles, à Saint-Denis-de-l'Hôtel dans le Loiret, dont il disait : "une vieille maison rêveuse, pleine de mémoire et souriant à ses secrets"...

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La lumière de la Charente existe

20 Août 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #rural road trip, #émerveillement, #littérature

- Bayers -

- Bayers -

"La lumière de la Charente existe, sans pareille en France, même dans la Provence. Elle n'est pas traduisible en mots. Partout, on ne sait quoi d'ineffable baigne la nature ; l'homme aussi. (...) La lumière de la Charente est limitée à un petit espace. Un peu plus loin c'est un autre ciel et d'autres mœurs".

Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. (1938)

- Bayers -
- Bayers -
- Bayers -
- Bayers -

- Bayers -

- Verteuil-sur-Charente -
- Verteuil-sur-Charente -
- Verteuil-sur-Charente -
- Verteuil-sur-Charente -
- Verteuil-sur-Charente -

- Verteuil-sur-Charente -

Photos (c) Fred Sabourin.

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L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)

18 Août 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #étonnement, #quelle époque !, #littérature, #l'évènement

L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)

« Dis papa, pourquoi tu as aimé ça être militaire ? À cause de cette caserne ? ». Pas facile d’expliquer à une enfant de 9 ans pourquoi un tel lieu – une ancienne caserne landaise reconvertit en cité administrative – suscite autant d’attrait, 24 ans plus tard, allant jusqu’à provoquer un détour de 48 km sur la route du retour des vacances... C’est d’autant plus étrange que l’accueil se faisait à l’époque où elle tournait à plein régime par un bâtiment nommé « Solférino » : le « gnouf » de la dite caserne. Pour les férus d’histoire, Solférino est le nom d’une bataille de la campagne d’Italie, le 24 juin 1859, en Lombardie. C’est aussi le nom d’une petite commune des Landes, à quelques kilomètres de là. Dans la caserne Bosquet, « Solférino » était le nom des geôles où les punis de la semaine allaient essayer de dormir quelques heures, roulés dans une couverture en laine kaki, avant d’être réveillés bien avant l’aube pour effectuer les fameux « TIG », travaux d’intérêts généraux. Bienvenue à bord, jeunes bleues-bites ! Vous saviez où vous mèneraient vos égarements en cas d’écarts de conduite…

L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)

La commune où se trouvent un père et sa fille ce jour nuageux mais chaud d’août est préfecture du département des Landes : Mont-de-Marsan. Une préfecture un peu isolée au milieu des bois, une petite cité aux allures de sous-préfecture, à peine desservie par le chemin de fer sur une voie unique et non électrifiée. Deux autoroutes passent au large, suffisamment pour faire hésiter le touriste à faire le crochet, réduisant les tentations de venir s’y perdre. Aucun véritable attrait patrimonial ou architectural en particulier, à moins de considérer que des arènes de tauromachie en soient. Des routes nationales s’en échappent en étoile, en direction de Dax, Agen, Pau et Bordeaux, fendant l’air chaud et humide entre les grands pins et les champs de maïs, à perte de vue. Mais revenons en arrière.

Un matin d’octobre 1996, plusieurs centaines de conscrits – c’était leur nom – ont convergé de la gare vers la caserne Bosquet, distante de deux bons kilomètres, pour y effectuer ce qu’on appelait encore leurs obligations militaires. C’était juste avant que Jacques Chirac ne signa la fin de la conscription, jugée inégalitaire, un brin dépassée et que les plus nantis fils à papa esquivaient joyeusement. Certains appelés y allaient cependant parfois avec entrain (rares mais il s’en trouvait). L’essentiel des conscrits ce jour-là affichait la mine timorée de ceux qui s’y résignent faute de mieux : quand faut y aller, faut y aller, et vivement la fin, bordel.

L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)
L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)
L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)

Vingt-quatre heures après le début, la scène est bien réelle et aurait été digne d’une chanson de Brel. Qu’on imagine une longue file d’attente de futurs paras en slips (vive l’armée française !), survêtements pliés sous le bras, la boule à zéro, attendant leur tour pour se faire injecter des doses de vaccins dans un couloir d’infirmerie au carrelage blanc comme un asile, éclairés de néons étincelants et sentant l’eau de javel. Au bout du couloir, un médecin-chef, à lui seul remède à n’importe quelle maladie tropicale ou équatoriale que ces appelés du contingent pourraient attraper dans d'exotiques contrées où  les parachutistes coloniaux qu’ils allaient devenir étaient censés se rendre, un jour. Le capitaine médecin, flanqué de deux infirmiers, piquaient à tour de bras : fièvre jaune, typhoïde, tétanos et autres joyeusetés en guise de cocktail de bienvenue. Parmi les blancs becs, certains roulaient déjà des mécaniques, forts en gueule ; mais la plupart tentaient de regarder ailleurs en la bouclant. L’un d’entre eux tenait pourtant conversation civilisée avec un autre de ses semblables au sujet de livres. Oui, vous avez bien lu : de livres. Ça valait le coup de tendre l’oreille : il y avait donc ici un ou plusieurs extra-terrestres qui lisaient des livres ! Le contingent d’octobre, classiquement celui des étudiants, avait en effet mauvaise réputation : c’était celui des « intellos », propices à la contestation des ordres établis, propre à tenir tête, à dénoncer les ordres cons bref : des suspects qu'il  convenait de maintenir dans le rang. Il s’approcha du gars dont il ignorait encore le nom et qui parlait de livres. Il disait « en emporter  un partout quand il ne pouvait en emporter aucun autre », et qui, selon lui, pouvait être lu et relu sans lassitude. C’était L’Anthologie de la poésie française, par Georges Pompidou. Un trésor de la langue française en 450 pages serrées format livre de poche du normalien-banquier-Premier ministre-Président de la République. Prenant part à la conversation, il déclara avoir emporté pour sa part Céline, Voyage au bout de la nuit, dont il ne dépassa pas 50 pages, vu le programme annoncé. Dans cette infirmerie militaro-médicale, entre les pesées et prises de mesures, les piqûres les faisaient ressortir « bons pour le service » (mais de qui ?).

Le temps leur paru cependant trop court : 24 ans plus tard, ce conscrit anonyme ne le fut pas longtemps, il est devenu un ami, un camarade, un frère. Grâce à lui, sa vie fut probablement différente de ce qu’elle aurait pu être alors. Car à l’issue de ces quelques mois de campagne – qu’il serait trop long ici et maintenant de détailler – le lecteur de Pompidou lui fit découvrir sa montagne favorite à quelques kilomètres de « Bosquet » : la vallée d’Ossau en Pyrénées, dont il n’est jamais vraiment redescendu. Il est des lubies qui prennent parfois leur source dans les hasards de l’existence. Celle-ci en est l’enfant, devenu adulte (24 ans donc) qu’il était temps de présenter au prolongement de sa propre existence, questionnant de ses grands yeux bleus ces vieilles coutumes viriles si étranges.

Il en va ainsi de l’amitié : elle naît du hasard et des coïncidences, sans qu’on ne l’ait ni voulue ni calculée.

L’amitié, cette enfant du hasard (en slip)

Tranquillement assis à l’ombre des grands platanes qu’il avait connu et ramassé les feuilles, automne 96 ; le derrière dans l’herbe rase entourant la médiathèque montoise tout de verre et d’acier qui trône à présent dans l’ancienne cour de la caserne – dont subsistent la plupart des bâtiments et les fameux platanes bordant les anciennes allées qui résonnent encore de leurs chants de « l’ordre serré » ; ils ont parlé de ce temps lointain qui ne reviendra plus, mais demeure vivant par ce qu’il y fit et vécu. De ce qu’il en a conservé, aussi. Car demeurait la question du début : « pourquoi tu as tant aimé être ici ? », insistait-elle auprès de son père, en mastiquant un sandwich rôti de porc-mayonnaise-cornichons.  

« Parce que je m’y suis fait un Ami, ma petite, que tu connais d’ailleurs », répondit-il. « Et que cette amitié n’a pas de prix ». Voilà la leçon du jour, jeune padawan. Retiens-là, et fais de même, si tu peux.

 

"Il faut à l'amitié beaucoup de temps ; elle a besoin d'être incorporée et sans doute nouée dans l'enfance. Elle m'a détaché de l'humanité et de son avenir. Mais peu m'importent aussi les folies de l'humanité. Je pense qu'elle produira toujours de ces êtres rares auxquels on peut s'attacher, et cela suffit".

(Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. 1934).

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Indochine

12 Juin 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature

- (c) F.S. Pornic mars 2011 -

- (c) F.S. Pornic mars 2011 -

« Elle apportait du thé, il buvait de la chicorée au lait. Une chose horrible, disait-elle.

Il était sergent dans l’armée de terre, dans une aile discrète du Renseignement français.

Elle habitant Saïgon près du fleuve. On la tutoyait. Il la vouvoyait.

 

Un matin elle trouva un message enlacé autour de la tige d’un hibiscus rouge.

Ma chicorée est certainement horrible, mais votre thé est insipide. Apprenez-moi à l’aimer.

Ce qu’elle fit ».

Bernard Giraudeau, Les Hommes à terre.

 

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Sous Verdun. Ceux de 14. (Drôle de guerre)

29 Mars 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #littérature, #drôle de guerre

Vendredi, 4 septembre

Nouvelle étape au soleil. La chaleur a encore grandi Jubécourt, Ville-sur-Cousances. Il y a là des gendarmes, des forestiers ; on croise des autos à fanion, des autobus de ravitaillement : tout cela sent l'arrière en plein. Est-ce que vraiment ce serait une déroute ? Nous ne sommes pas talonnés. Je cherche à entrevoir au moins la raison de ces étapes bride abattue, de cette randonnée haletante vers Bar-de-Duc. (...) Julvécourt, Ippécourt. Nous faisons grand'halte en sortant de Fleury-sur-Aire. Des dizaines d'hommes arrivent avec d'immenses quartiers de fromage plat, coulant, qui ressemble au brie. D'autres sont cuirassés de bidons, qui arrondissent autour d'eux une ceinture énorme. Les musettes craquent.

L'herbe, dans le pré où nous sommes, est drue et vivace. J'en vois qui se déchaussent et marchent pieds nus dans cette fraîcheur verte. Presque tous, nous avons étendu au soleil nos capotes mouillées de sueur. Les chemises claires, les doublures des vêtements tirent à elles la lumière. Les couleurs papillotent, fatiguent les yeux.

On se lave jusqu'à la ceinture dans l'eau froide et transparente de l'Aire. Deux ou trois se sont mis nus et font une pleine eau. Parmi eux un nageur musclé, à peau brune, évolue avec souplesse en quelques secondes d'un bord à l'autre du large bassin où la rivière s'étale.

Au long de la rive, échelonnés, les hommes barbotent, s'ébrouent. Ils lavent des chaussettes, des mouchoirs, penchés vers l'eau ; le drap de leur pantalon se tend sur leurs fesses. Une pellicule bleuâtre, peu à peu accrue, flotte à la surface et s'irise au soleil.

Déjeuner gai, à l'ombre des saules qui trempent leurs basses branches dans le courant. Près de nous, un lieutenant, Sautelet, se tient debout au milieu d'un groupe, moustaches hérissées, bras nus, l'échancrure de sa chemise montrant une poitrine velue comme le poitrail d'un sanglier. Il étourdit les autres de sa faconde et de la violence de sa voix, éraillée mais formidable. J'entends ceci : "Il y a deux moyens de les avoir : enfoncer le centre, ou déborder sur les ailes !".

Nubécourt. L'étape ne m'a pas éreinté autant que celle d'hier ; j'évoque la nuit proche que ke passerai dans un lit, avec Boidin, le Saint-Maixentais, pour compagnon. Pauvre de moi ! L'animal fait appel à mon bon cœur, à ce qu'il veut bien appeler ma "connaissance de la vie" : il a le gîte, et il espère le reste.

Popote dans une cuisine qui ressemble à toutes celles que j'ai vues, demi-ténèbres et lueurs jaunes des bougies. Le cuisinier à grosses lèvres nous sert, ce soir-là, une ignoble piquette gâtée, qui laisse au palais un goût d'encre. J'échoue dans une grange, sur la paille.

Maurice Genevoix. Ceux de 14. Sous Verdun.

Sous Verdun. Ceux de 14. (Drôle de guerre)

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Le Consentement, de Vanessa Springora : le livre d’une vie

16 Janvier 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature

Vanessa Springora a mis plus de dix ans pour parvenir à écrire le récit de l’emprise qu’a exercé sur elle le sulfureux écrivain Gabriel Matzneff, quand elle n’avait que 14 ans. Elle voulait dit-elle « prendre le chasseur à son propre piège, et l’enfermer dans un livre », dit-elle. C’est réussi.

Le Consentement, de Vanessa Springora : le livre d’une vie

« Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies ». Après 34 pages introductives d’où l’on ressort fébrile et mélancolique - récit d’une enfance où, au lieu d’être un « rempart », son père n’est qu’un « courant d’air » - Vanessa Springora campe le décor de ses cinq ans, moment où ses parents se séparent à la suite d’une n-ième dispute. Moins de dix ans plus tard, traînée dans un dîné mondain par sa mère, attachée de presse dans le milieu de l’édition, elle croise le regard de son « ogre », comme elle le nommera plus tard. Il a 40 ans de plus qu’elle. Gabriel Matzneff, écrivain sulfureux qui ne cache pas, à longueur de pages, son goût pour les adolescentes et les petits garçons qu’il aime déflorer et « dévorer », bénéficie encore à cette époque (1986) de la complaisance du milieu germanopratain médiatique et éditorial. « C’était une autre époque » se défendent – mal – ceux qui aujourd’hui regardent le bout de leurs chaussures en espérant qu’on ne vienne pas leur chercher des noises pour complicité ou non assistance à adolescentes en danger.

Dans un style incisif où pointe une douleur non feinte tout autant que discrète, Vanessa Springora déroule le fil d’un récit glaçant en six chapitres : l’enfant ; la proie ; l’emprise ; la déprise ; l’empreinte ; écrire.

Écrire… c’est ce qu’il fait, lui, dès le lendemain de leur première rencontre. « Passionnément », frénétiquement – jusqu’à deux fois par jour – il tisse sa toile. Elle est rapidement fasciné par cet homme dont elle sent, pendant le dîner, son regard lui « caresser la joue (…) La présence de cet homme est cosmique ». Quelques jour après, ils ont rendez-vous et elle se retrouve sans vraiment comprendre chez lui, dans une minuscule garçonnière sous les toits près du Jardin du Luxembourg, qu’il hante à la recherche de jeunes filles en fleur, comme il hante aussi la piscine Deligny pour les même raisons. « Un seul endroit permet de se tenir à deux dans cette pièce, le lit ».

Ni les signaux de sa mère – qui l’alerte sur ses penchants pédophiles, connus de tous – ni de quelques proches, pas plus que son propre corps ne la ramèneront à la raison. Elle va vivre une « passion » dévorante avec « G » comme elle le nomme, jusqu’à ce qu’elle tombe par hasard sur un de ses petits carnets noirs en moleskine où elle lit la confirmation de ce qu’elle redoutait par ailleurs : elle n’est pas la seule « petite amoureuse ». Il y en a d’autres. Il y en a plein. A celles-ci s’ajoutent ses « petits garçons » de Manille, où il se rend une fois par an, en quête de « culs frais ».

« A quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter. De tout cela j’ai conscience, malgré mes quatorze ans, je ne suis pas complètement dénuée de sens commun. De cette anormalité, j’ai fait en quelque sorte ma nouvelle identité ».

Récit bouleversant, libérateur et cathartique, où l’auteur fait entendre ses émotions de l’adolescente qu’elle fut, de la femme et mère qu’elle est devenue, Le Consentement fait l’effet d’une bombe dans le (petit) milieu littéraire parisien qui n’avait pas encore connu son épisode #Metoo. À coup sûr il marquera son époque, autant qu’il marque son auteur et ses lecteurs.

F.S.

Le Consentement, de Vanessa Springora. Grasset. (206 p.).

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Notre enfance est toujours un secret...

17 Mars 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature

Notre enfance est toujours un secret...

"Mes parents ont tâché de me donner une bonne éducation, mais il n'y ont pas réussi. La maison avait trop d'issues de plain-pied sur deux ou trois rues et, par la porte de la cuisine ou celle du jardin, j'étais bientôt dehors. En réalité, les parents n'élèvent pas leurs enfants, même quand ils les gardent à vue. Notre enfance est toujours un secret".

(...)

"En hiver, après le dîner, le domestique posait la lampe de porcelaine bleue sur la table du salon et jetait dans la cheminée un fagot de sarments dont les flammes tout de suite montaient ; mon père s'enfonçait sans un fauteuil, lançant très loin par bouffées la fumée de sa cigarette ; ma mère prenait son ouvrage ou un roman qu'elle commençait par la fin et ne quittait plus. J'apprenais mes leçons sous la lampe. Mon père me posait des questions instructives, ou bien, sans s'apercevoir de ma présence, poursuivait avec ma mère une discussion aigre et interminable où le même sujet avec ses pointes était ressassé sans fatigue. Parfois, dans la même nuit, ce colloque reprenait d'un lit à colonne à l'autre, aux deux bouts de la grande chambre. Les soirs paisibles, mon père se mettait au piano, fredonnant avec des éclats de voix subits, et ma mère se levait et lui caressait la tête".

Jacques Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux. Stock 1938.

Notre enfance est toujours un secret...
Notre enfance est toujours un secret...
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