cinématographe
99 Francs
de Jan Kounen. France, 2006. 1h40. Pathé Distribution. 400 copies. Avec : Jean Dujardin ; Jocelyn Quivrin ; Patrick Mille ; Vahina Giocante… D’après le roman de Frédéric Beigbeder (2000).
Après une nouvelle nuit d’orgie dans son luxueux appartement, Octave se réveille et rejoint les bureaux de la « Ross », une grand agence de pub. Octave est concepteur – réalisateur, valet gâté et consternant d’un système immonde. Avec son binôme Charlie, il passe des journées vides et quasi désoeuvrées. Un matin, il soumet un projet de spot à la grande marque de yaourt Madone. Idée rejetée, car trop intelligente, selon son commanditaire. Octave songe à tout quitter, mais se dégonfle et tourne la niaiserie qu’on attend de lui. Il entame au même moment un relation forte avec Sophie, sublime stagiaire, qui, tombant enceinte, le fait fuir à nouveau devant ses responsabilités.
Adapté du roman éponyme de Frédéric Beigbeder, 99 F est une belle addition de Jan Kounen, qui, après le succès en demi teinte de Blueberry en 2004, reprend les ficelles scénaristiques et filmiques de ce dernier opus. Errances transcendentalo – psychédéliques liées à ses expériences chamaniques et surtout à l’absorption de substances illicites telles que la cocaïne ou les extasies, 99 F entraîne le spectateur dans les labyrinthes obscures des publicitaires gavés et dépressifs tendances suicidaires. Performance d’acteur pour Jean Dujardin, performance de mise en scène pour Jan Kounen, performance d’adaptation pour Beigbeder. Une addition qui se révèle salée, et encore une fois, c’est le consommateur, c’est-à-dire vous et moi, qui mettons la main à la poche. 99 F est finalement le stricte équivalent du livre : un pseudo objet de contre-culture façonné à son image par et pour la société de consommation.
La Face cachée
De Bernard Campan. France, 2006. 1h33. Wild Bunch Distribution. Avec : Bernard Kampan ; Karin Viard ; Jean-Hugues Anglade…
Après des années de vie commune, François et Isa se sont enfoncés dans une routine qui semble peser sur lui. Mais il se pourrait que la personne qui souffre ne soit pas la plus démonstrative. Après des années de vie commune, ils vont enfin se rencontrer...
Bernard Campan n’est plus un inconnu, et il a bien fait de passer à son tour à la réalisation. Après quelques apparitions remarquables dans Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman, avec Isabelle Carré (thème de la maladie d’Alzeimer), Le Cœur des hommes, de Marc Esposito, et Combien tu m’aimes avec Depardieu et Monica Belluci, Campan campe désormais dans la cour des grands.
Avec une mise en scène au cordeau, il parvient à ouvrir des doubles fonds et des chausse-trappe qui ne trouvent leur éclaircissement qu’à la fin du film, qu’on ne vous racontera pas car ce serait gâcher le plaisir de se laisser surprendre par cette scène finale qui, à elle seule, justifierait de revoir tout le film.
On retrouve, parmi les performances d’acteurs, l’impeccable Jean-Hugues Anglade, acteur rare ces temps-ci. Mais le plus fort reste le duo Campan – Karin Viard, magnifiques dans leur rôle de couple au bord de la crise, sans jamais la franchir, et avec une pudeur dans le dénouement (faut-il le rappeler ?!) qui donne au spectateur beaucoup de plaisir.
La Face cachée, comme tout un chacun, explore ce qui fait la profondeur des sentiments et de la vie des hommes sur cette planète : on aura beau se voiler la face toute sa vie, « tout ce qui est caché sera un jour révélé ». Précepte biblique à la limite de la corde usée par trop de niaiserie dans l’interprétation. Bernard Campan, en exégète du couple, se pose non seulement comme un réalisateur et scénariste majeur, mais aussi comme thérapeute conjugal efficace. La Face cachée, on en redemande.
si les symptômes persistent, consultez votre médecin
La méthode Coué
La méthode Coué vise à soigner des troubles par autosuggestion. Elle a été inventée par Emile Coué, pharmacien né au milieu du XIXè siècle.
Il semblerait que cette méthode soit aujourd’hui brusquement revenue sur le devant de la scène. En tous lieux, en tous genres, avec toutes sortes de personnalités, même les plus hautes de l’Etat. Il suffirait de désirer très fort ce qu’on souhaite atteindre pour y parvenir. On voit déjà le côté pratique de l'exercice. Croissance, régimes spéciaux, retraites, immigration, justice, éducation, diplomatie… Toute décision, ou presque, s’accompagne d’un volontarisme qui fait plaisir à voir sur la forme, mais laisse perplexe quant à l’application réelle, en dépit des signaux d’alarme de spécialistes dont c’est le métier, voire de nos partenaires européens inquiets devant notre régime de vie largement au dessus de nos moyens.
La méthode Coué sert également à faire avaler les couleuvres, aussi longues soient-elles, aux incrédules que nous sommes, manipulés par les médias, cela va sans dire. Qui parle d’une guerre en Iran ? Mais non, bien sûr que non ! Qui parle d’une entente difficile entre le Président et le Premier ministre François « pion » ? Mais enfin voyons, tout baigne ! Mais où allez-vous donc chercher tout ça ? Tout le monde est re-ma-rqua-ble ! La méthode Coué sert aussi à cela : à forcer le passage. Par autosuggestion, ou automédication… Heureusement pour eux, les adeptes de Coué ne sont pas en bois, comme ce petit pantin de monsieur Gepetto qui voyait son nez s’allonger lorsqu’il maniait le mensonge.
Loin de moi l’idée de décevoir les lecteurs de ce blog (environ 53%) qui auraient voté pour le fils d'immigré hongrois (dont il faudrait au passage soumettre la famille à un test ADN, pour voir si, par hasard, il ne gagnerait pas un aller simple pour Budapest en charter low-coast). La démocratie est une sorte de jeu dont il faut accepter toutes les issues. Et puis, cinq ans, ça passe si vite…
Non, je crois que nous avons tout à gagner du retour en force de la méthode de cet honorable apothicaire, Monsieur Coué. Regardez comme la vie peut être belle en s’en inspirant tous les jours : il suffirait de penser très fort à des choses que l’on aime, désire, veut à tout prix, décide, puis d’y ajouter les soliloques verbales de rigueur (« je l’ai promis, je le ferai ») et le tour est joué !
C’est la raison pour laquelle le XV de France de Rugby doit passer ce jour sans transition de la lettre du condamné Guy Môquet aux prescriptions d’Emile Coué. Si, si, vous verrez : pensez-y toute la journée, au besoin, tapez du poing sur la table ou pointez votre doigt vers votre interlocuteur, et ce soir, zou, la victoire.
En chantant, après la Marseillaise de rigueur, Tout va très bien, Madame la Marquise.
Tra-déri-déra et tra-la-la !
nécrologie
Je vais mourir (sic)
C’est ainsi que commence la lettre de Guy Môquet à ses parents, avant qu’il ne meure pour de vrai.
C’est avec ces mots à l’esprit que le XV de France est entré sur la pelouse vendredi dernier, avant de vivre (et faire subir au public) un match aussi triste qu’un jour de Carême, une sorte de vendredi saint en plein temps ordinaire.
On ne saurait critiquer l’entraîneur, il est aisé de tirer sur l’ambulance, ou sur les joueurs : le rugby reste un sport, même si la tendance financière tendrait à prouver le contraire. Beaucoup de journalistes spécialisés s’y sont mis, dès samedi matin, et depuis, avalanche d’hypothèses, de critiques, de désabusement, analyses etc. Aussi vrai que ce fichu ballon rebondit où il veut, changeant le cours d’un match, de l’histoire ou d’une vie qui devient légende. Le sport national, en France, reste quand même de brûler ce qu’on a adoré, et adorer ce qu’on a brûlé. Rien de nouveau sous le soleil. La suite de la compétition nous le prouvera, pour peu qu'on arrive à percer.
Ce qui est beaucoup plus inquiétant, hélas, c’est le manque cruel de culture historique, de recul face au document lui-même. Hors contexte, c’est déjà une ineptie. Plaqué dans un autre contexte, c’est encore pire ! Le petit Bonaparte avait déjà fait le coup le lendemain de son érection présidentielle, les larmes aux yeux : « il faudra lire cette lettre le jour de la rentrée des classes à tous les élèves de France ». Le projet semblait heureusement tombé dans les oubliettes des promesses sans lendemain. On voyait là que l’avocat n’avait jamais enseigné. On se demandait même s’il avait été élève.
Elle a resurgit dans la bouche de Clément Poitrenaud vendredi soir dernier (lequel était d’ailleurs puni au banc de touche), dans une sorte de sarko-clin d’œil digne des meilleurs fayots du premier rang de la classe.
« Je vais mourir », dit le jeune Guy Môquet, à peine vingt ans, à ses parents.
Vendredi, et les autres jours, c’est le sens de l’Histoire qui est une nouvelle fois mort au champ d’honneur. Ou comment une citation qu’on croyait pertinente devient une catastrophe. Une armée entière en déconfiture. Une légion étrangère réduite à l'état d'enfants de choeur.
Alors que faut-il faire ? L’Histoire s’en remettra, c'est sûr, car « l’Histoire continue » (citation de feu Georges Duby, qui devait d’ailleurs faire du grabuge dans sa tombe du Mâconnais).
Et il faut attendre la chute de l’Empire. Encore quatre ans, et deux cent quarante cinq jours environ.
Pas de quoi en mourir de rire…