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Le jour. D'après fred sabourin

L’arbre du vendredi

10 Octobre 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ..., #rural road trip

- Avril -

- Avril -

C’est un arbre unique, parce que seul. Seul au bord du chemin, seul au bord du champ, seul en plein vent. Son horizon : le ciel, un bois dans la ligne de mire. À l’opposé, un ruban de bitume : la route départementale. Au loin, des éoliennes. C’est un noyer. Battu par les vents, tantôt d’Est, tantôt d’Ouest, écrasé de soleil en plein été, embrumé de brouillard en hiver, c’est un arbre vivant. La tête dans le ciel, et les racines bien en terre. Cet arbre possède une histoire ; elle a croisé la mienne.

- Mai -

- Mai -

Un vendredi sur deux, je croise cet arbre, sur mon chemin. Je ne l’ai pas tout de suite remarqué, il faisait simplement partie du paysage, là, au début du trajet, de la route. Celle qui m’amène auprès de ma fille, à 80 kilomètres de là, aux confins de la Charente et du Limousin, pour le rendez-vous bimensuel qui nous permettra, elle et moi, de passer le week-end ensemble. Les premiers mois où je réalisais ce trajet depuis mon lieu de travail, je ne l’ai pas remarqué tout de suite. Puis je l’ai vu, d’abord distraitement comme on en voit d’autres, jusqu’au jour où – j’ignore pourquoi, la lumière peut-être, et le vent dans ses branches comme s’il agitait des grands bras - jusqu’au jour où cet arbre m’a parlé. Plus précisément, il m’a invité à m’arrêter pour le regarder, le contempler, lui sourire et lui parler. Je me suis donc garé sur le bord de l’étroite route qui le borde, l’observant de longues minutes sans rien dire, les bras croisés, les fesses calées sur le capot de la voiture. Puis, un jour, j’ai commencé à le photographier, en cadrant toujours de la même façon, pour voir défiler les saisons sous ses branches, le vent qui le caresse tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il n’a rien d’exceptionnel, c’est juste un noyer enraciné là, sur son chemin, sur mon chemin, comme il s’en trouve d’autres le long de la route départementale 739. Cet arbre est un lien, surtout, entre une semaine de boulot dans l’épicerie solidaire rurale itinérante dont j’ai la charge, et ce moment de filiation, oxygénation vitale dans une relation père-fille. En voyant cet arbre, je la vois déjà, elle.

- Juin -
- Juin -

- Juin -

La rencontre, le croisement avec cet arbre est donc devenu un rendez-vous familier. La veille déjà, il m’appelle, je pense à lui – et donc à elle - je sais que je vais le croiser, le voir, le photographier, lui parler, poser ma main sur son tronc. Je songe alors à la phrase de l’écrivain Christian Bobin : « J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe, non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne ».

Cette rencontre sera fugace, ne durera que quelques minutes, mais je sais qu’elle sera féconde, qu’elle m’apaisera après une semaine de travail et de tensions diverses avant de poursuivre la route qui me mène à ma fille. Cette route est belle, pas uniquement parce que nous allons nous retrouver, mais parce qu’elle est intrinsèquement belle. Son chemin sinueux traverse les bourgs de Valence, Cellefrouin, Saint-Claud, Confolens, Champeaux, Mézières-sur-Issoire, et Bellac, enfin. C’est sous de grands platanes – encore des arbres - de ce gros bourg limousin que je la retrouve, face à la mairie en forme de gentilhommière du XVIe siècle et nous tombons alors dans les bras l’un l’autre. Je ne lui ai jamais parlé de cet arbre, mais aujourd’hui j’ai envie de lui présenter.

- Juillet, septembre -
- Juillet, septembre -
- Juillet, septembre -

- Juillet, septembre -

Parce que nous nous verrons moins – aussi irrationnel paraisse la décision, pas de mon fait – cet arbre prendra alors la forme d’un rendez-vous qui aura lieu malgré tout. Je passerai le voir, même si je ne continue la route jusqu’au bout que toutes les trois semaines au lieu de deux, et je lui parlerai. Ce sera l’arbre des palabres, l’arbre du souvenir, l’arbre du désir, l’arbre des larmes, l’arbre de l’espoir : l’arbre de vie. Un jour je mènerai ma fille sous cet arbre, et je lui raconterai tout ce que nous avons vécu lui et moi, tout ce qu’un père peut et pourra faire pour sa fille. Ce seront ses racines, quand mes branches commenceront à craquer par l’usure du temps. Et elles lui donneront des ailes… 

- Octobre -
- Octobre -

- Octobre -

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