La dent
Pain beurre confiture (de framboises). Tout se déroulait normalement, la radio égrenait sa matinale, j’écoutais d’une oreille distraite Olivier Besancenot sortir sa soupe habituelle, connue par cœur, une soupe servie mille fois. Je voyais bien que tu avais l’air de mâcher des guêpes. Ça ne pouvait pas venir du pain, ni du beurre, ni de la confiture : tu les adores. Alors quoi ? Tu m’as regardé et posé ton index à l’entrée de ta bouche, en disant : « papa, j’ai une dent qui bouge… »
J’ai voulu vérifier, et ça n’est pas si facile de le faire quand ça n’est pas une dent à soi. On a l’impression que c’est le bout de son propre doigt qui bouge, en réalité on ne s’en rend pas très bien compte. J’ai examiné attentivement la dent en question. En effet, elle bouge. Pas beaucoup, mais un peu quand même. Cette oscillation ne peut aller que crescendo…
S’en est suivi une discussion sur « la petite souris ». Tu as dit : « on met la dent sous l’oreiller quand elle est tombée et pendant qu’on s’habille ou qu’on prend le petit déjeuner la petite souris apporte un cadeau ». J’ai tout de suite apporté les précisions nécessaires au bon déroulé de l’opération : « oui, enfin… si tu es sage ». Evidemment. Les petites souris, ça n’aime pas le désordre, malgré leurs capacités évidentes à s’en accommoder.
Après le petit déjeuner, tu as regardé l’intérieur de la machine à laver, comme si la « petite souris » s’y planquait déjà, guettant la chute dentaire. Je t’ai dit que non, elle ne pouvait pas arriver par ici, mais toi tu as remarqué un interstice au niveau de la fermeture et tu as dit que « peut-être elle passerait par là ». J’ai souri – c’est le cas de dire – en imaginant le tableau. C’était l’heure de partir à l’école, alors on est parti.
En revenant de t’y conduire, dans le petit matin frisquet d’une fin de mois d’avril, j’ai repensé à tout cela. Tu vas perdre une dent – un non évènement peut-être mais pour toi un grand – signe qu’irrémédiablement, le temps file, file, file, que tu grandis et avance dans la vie. Je suis le témoin privilégié de cette avancée, de cette marche en avant qui me réjouis en même temps qu’elle m’effraie. Il faut profiter de chaque seconde de cette vie-là, avant qu’elle ne disparaisse dans l’abîme du temps passé, du temps perdu, du temps qui ne se rattrape plus.
Au bord du fleuve je regarde le ciel sans nuage et le soleil me frappe la face à plein rayons. Je respire en grand pour faire entrer l’espoir du jour neuf dans mes poumons. Et je prie le ciel de me laisser longtemps de la mémoire pour me souvenir de matins comme celui-ci.
F.S
Une journée sans arbre est une journée de perdue
Celle-ci ne le sera donc pas, dans le parc du château de Cheverny, avant que la pluie n'arrive... A leurs pieds, on se sent tout petit, mais vivants. Comme aspiré par eux vers la canopée. Touchons du bois, avant d'être couché dedans.
Quelle sera ta rime ?
Ça se passe toujours pendant le dîner… Entre la poire et le fromage jaillissent les fulgurances et le récit d’une journée d’école où, une fois n’est pas coutume, il ne faut pas désespérer de tout et particulièrement de ce qu’on peut y enseigner. Même aux minus. « Alice, c’est comme un écrevisse ; Richard, c’est comme un guépard ; Prunelle, c’est la mirabelle ; Camille c’est la chenille… » Etc., avec tous les prénoms des élèves de sa classe. Pas peu fière de son effet, l’enfant-qui-aime-l’école.
Que les ronchons aux arguments de grammairiens frustrés se taisent (j’en ai connu, et des retords, qui sont toujours en poste !) eux qui siffleraient entre leurs gencives que ce sont des « rimes pauvres ». Elles le sont. On s’en fiche comme d’une guigne, l’important nous semble l’initiation aux fondements même de la poésie. Oh ! bien sûr, ce n’est pas encore de la prose ni des alexandrins façon Jean Racine, ni d’Edmond Rostand, ni du Musset ou encore moins du Lamartine ; ce n’est pas du Hugo ni du René Char ou du Rimbaud. Pas plus que du Claudel ou du Péguy, ni du Eluard ni du Heredia. C’est juste la simplicité d’une rime, la beauté d’une rime, l’apprentissage des richesses et sonorités d’une langue en cours de maîtrise, loin de l’être, mais tout de même en chemin.
Moi : « c’est à l’école que tu as appris ça ? (question idiote j’en conviens, où donc ailleurs aurait-elle appris ça ? En lisant La poésie pour les nuls ?)
Elle : « Oui ».
Moi : « La maîtresse vous apprend à faire des rimes ?! »
Elle, étonnée de mon insistance : « ben oui… »
Moi, interdit : « Et tu en as appris d’autres ? »
Elle : « Oui, tout les copains et copines de la classe trouvent une rime avec leur prénom, et on a aussi essayé avec d’autres mots ».
Moi : « … » (j’ai encore mangé froid).
Le lendemain matin, j’avise la maîtresse en question pour lui dire ce que j’en pense. Du bien, naturellement. Elle me répond qu’en effet, il s’agit pour les enfants de repérer les sons des mots qui se ressemblent, et que la séquence n’est pas terminée, qu’il y aura d’autres rimes.
D’un coup je me suis dit que dans ce monde qui va à vau-l’eau, dans le chao interminable du grand bordel ambiant, apprendre aux gosses – même les petits - à faire des rimes ne pouvait pas être une mauvaise chose, bien au contraire. Moi qui, depuis longtemps, avais récité quelques extraits de Cyrano de Bergerac à la tête blonde qui me tient la main au bout de mon bras, j’ai décidé de passer à la vitesse supérieure, du coup. Et en avant pour Rimbaud puisqu’il est ressorti de la bibliothèque suite au film Quand on a 17 ans qui s’ouvre par la lecture de Sensation, tiré du livret Poésies.
« Pars les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, picoté par les blés, fouler l’herbe menue : rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue »… Elle n’a pas tout compris, mais qui a dit qu’une infusion de poésie devait produire du fruit immédiatement ?
Je repense aussi et même surtout à Aragon dans Ce que dit Elsa que je me suis si souvent récité, comme un mantra, aux heures bleues d’une vie d’étudiant en histoire, une grande écharpe autour du cou et la pipe au bec (pour faire style) : « Que ton poème soit dans les lieux sans amour où l’on trime où l’on saigne où l’on crève de froid. Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds. Un café noir au point du jour. Un ami rencontré sur le chemin de croix ».
Et je lui dis à mon tour : quel sera ton poème ? Quelle sera ta rime ? Impossible de ne pas espérer quelque chose de la part de quelqu’un qui, déjà, apprend à en faire.
En route pour la joie !
FS
Art contemporain à Chaumont-sur-Loire : c'est la saison
Petite déambulation au Domaine de Chaumont-sur-Loire, pour la 8e saison des expositions d'art contemporain.
Photos (c) F.S.