chronique cinema
The French dispatch : voyage au bout d’Ennui (sur-Blasé)
Le dernier et très très attendu film de Wes Anderson explore la mythologie littéraire d’un âge d’or du journalisme, à travers une galerie de portraits de correspondants américains dans une France sépia qui sent bon l’intérieur des armoires normandes de nos aïeules. Un capharnaüm de comédiens internationaux qui évoluent dans des décors superbes, mais l’ensemble peine à cacher les faiblesses du scénario. Un élément qui ne s’achète pas à coup de millions de dollars...
- Ennui-sur-Blasé (Angoulême, dans la vraie vie) -
Lorqu’Arthur Howitzer Jr (Bill Murray), rédacteur-en-chef du news magazine The French Dispatch, supplément week-end du Kansas Evening Sun, casse sa pipe dès le début du film, quatre de ses plus prestigieux reporters prennent leur plus brillante plume, pour se souvenir de leurs meilleurs reportages, boucler un dernier numéro hommage et écrire sa nécrologie. Le résultat est un film à sketchs, où le réalisateur américain explore les mythologies Outre-Atlantique et d’une France éternelle, en envoyant ses comédiens-reporters arpenter « Ennui-sur-Blasé », en vrai Angoulême transformée et même magnifiée par des décors superbes (qui ont donné du boulot à plein de gens par ici et c’est même pour ça que les salles sont pleines cette semaine).
Il y a d’abord l’histoire des bas-fonds et des titis des faubourgs, où l’on croise un peintre psychopathe (Benicio Del Toro), dont la muse n’est autre que sa gardienne de prison (Léa Seydoux). Puis vient la romance post-adolescente sur fond de manifeste de Mai-68, entre l’étudiant Zeffirelli (Thimothée Chalamet) et la jeune Juliette (Lyna Khoudri), dans un conflit potache abracadabrantesque. Enfin, l’histoire d’une rocambolesque amitié née dans une salle à manger entre un commissaire de police (Mathieu Amalric) et un cuisinier fin limier des fourneaux, Nescaffier (Steve Park), qui sauve son fils d’une bande mafieuse, au prix d’une course poursuite dans les rues escarpées d’Ennui-sur-Blasé – séquence tournée en animation, de loin le meilleur moment du film.
De ce capharnaüm foutraque et débridé, on ressort franchement dubitatif. Certes, The French Dispatch n’est pas un film raté en soi, c’est plutôt un film trop bien cadré, trop bien léché, trop bien manufacturé. Reprenant les codes habituels des cadrages au cordeau, de l’alternance heureuse (parfois) entre la couleur et le noir et blanc, des effets de symétrie et de l’obsession du détail, Wes Anderson apparaît, dans ce dernier opus, meilleur chef décorateur que scénariste. Car il faut l’avouer : on ne peut réprimer de sévères et fréquents bâillements – n’en déplaise aux Angoumoisins, nombreux dans la salle à être venu tenter de reconnaître qui un copain figurant, qui un décor vu pendant le tournage qui dura dix mois l’automne et l’hiver 2018-2019, et qui se sont montrés très enthousiastes pendant la projection. Débourser plus de 27 millions de dollars (le plus gros budget de tournage d’un film américain sur le territoire français) dans la réalisation de The French Disptach n’en fait pas pour autant, comme on peut le lire sur les affiches des abris-bus de la bonne vieille ville d’Angoulême, « le meilleur film de Wes Anderson ». Sauf à se contenter du feuilletage d’un catalogue d’images chics et des tournures de phrases ficelées comme des slogans publicitaires.
Si l’intention est louable – plonger dans la légende dorée d’un journalisme plus ou moins fantasmé où la qualité du récit et l’inventivité romanesque prenait le pas sur l’enchaînement réel des faits – le tout dans une ville française rêvée plutôt que reconstituée, n’en demeure pas moins l’impression tenace d’un ennui à Ennui. Vous allez nous trouver bien blasés, et c’est pas faux, mais à Angoulême on a tellement parlé du « film de l’américain, tu sais, Wes Anderson, et ben il tourne dans la ville avec un millier de figurants et tout ce que la région compte d’intermittents du spectacle », qu’on finit par se demander si, in fine, avec The French Disptach, le dandy Anderson ne ferait pas une sortie de route en se plantant dans le décor…
F.S.
On a aimé : les décors dans Angoulême transformée ; les références au cinéma de Jacques Tati ; les plans en plongée et en contre-plongée ; le deuxième sketch sur Mai-68 avec Thimothée Chalamet et Lyna Khoudri ; la poursuite en bagnole dans les ruelles de la ville en film d’animation ; la bande originale du film (avec l’excellente reprise d’Aline par Jarvis Cocker, et… Chantal Goya).
On a moins aimé : les longueurs dans le premier sketch du psychopathe peintre ; le scénario poussif ; la trop grande vitesse des plans les cinq premières minutes avec une voix off difficile à suivre en V.O. ; la minutie de chaque composition des plans qui finit par lasser comme si elle voulait cacher quelque chose ; bâiller aux corneilles en regardant l’heure…
The French Disptach, de Wes Anderson. 1h43. Avec Thimothée Chalamet, Lyna Khoudri, Léa Seydoux, Bille Murray, Benicio Del Toro, Matthieu Amalric, Adrien Brody, Frances Mcdormand…
Avec Bébel, nous étions tous Flic ou voyou, Guignolo, Pierrot le Fou ou À bout de souffle
D'aussi loin qu’il m’en souvienne, mon premier souvenir cinématographique remonte au début des années 80, en 1982 précisément, à la sortie de l’As des as, de Gérard Oury. Un mardi soir – je peux m’en souvenir car je n’avais pas école le lendemain et c’est pour cela que l’évènement a pu avoir lieu – mon père est rentré du boulot à tout berzingue en criant : « Vite, vite ! dépêchons-nous de dîner ! J’ai trois places pour l’As des as au Comédia ! ». Effervescence dans la cuisine familiale de la petite ville de Marmande, où nous habitions alors. Je ne me souviens plus du menu évidemment, mais ce dont je me souviens c’est qu’en effet on a dîné avec un lance-pierre. Moins d’une heure plus tard, nous faisions la queue devant le cinéma dont la façade était bouffée par l’affiche où l’on voit "Bébel" sur fond rouge, sourire aux lèvres, blouson de cuir et lunettes d’aviateur mimant un combat de boxe.
Le cinéma, à cette époque-là, c’était encore quelque chose : une salle aux fauteuils de velours rouges, du reste pas terriblement confortables, une scène avec un rideau tendu depuis le plafond sur lequel étaient collées des publicités pour les commerces locaux, salons de coiffure, boucheries-charcuteries, quincailleries, plombiers ou électriciens dépanneurs 7 jours sur 7, et brasseries de la gare aux menus « steak-frites ». Le cinéma, c’était une odeur mélangée de poussières en suspension, de parfums mêlés aux relents de transpiration et de pop-corn. La salle de cinéma, c’était avant tout une expérience sensorielle, olfactive, tout autant que visuelle. Bien avant que les chiennes de gardes féministes ne poussent leur premier cri, la salle de cinéma, c’était aussi l’ouvreuse, une femme donc et si elle était mignonne ça ne gâchait rien, laquelle, après avoir déchiré à moitié votre ticket jaune, bleu ou rouge à l’entrée, passait au bord des rangs, un panier en osier en bandoulière, proposant des cornets de glace, des pop-corn, des bubble-gums ou des caramels et sachets de bonbons Haribo.
On restait (trop) longtemps à regarder les pubs qu’on finissait par apprendre par cœur. Puis la lumière s’éteignait à moitié (peut-être pour qu’on ne se tache pas avec les cornets vanille-chocolat ?) et on regardait les bandes-annonces des films « prochainement dans cette salle »… Enfin, la lumière s’éteignait pour de bon et le film commençait.
Ce soir-là, ce premier soir-là, ce fut l’As des as, avec Jean-Paul Belmondo, Marie-France Pisier, et le petit Simon Rosenblum, joué par Rachid Ferrache, auquel, dès le lendemain, on pouvait s’identifier et dont on jalousait d’avoir tenu la réplique au héros : Bébel. Pourquoi me souvins-je avec autant de précision de ce film à cet endroit-là ? Parce qu'il m'a fait aimer les films, et les salles où l'on pouvait les voir. Une madeleine de Proust, en quelque sorte...
J’ai bien dû voir par la suite au moins la moitié des 80 films de Jean-Paul Belmondo. D’À bout de souffle à Itinéraire d’un enfant gâté, en passant par toute la glorieuse (à mes yeux) série des années 70 (Peur sur la ville ; Flic ou voyou ; le Magnifique ; Stavisky ; l’Alpagueur ; Le corps de mon ennemi ; L’incorrigible etc.) mais aussi Pierrot le fou ; Borsalino ; Gabriel Fouquet dans Un singe en hiver ; Léon Morin, prêtre ; Cent mille dollars au soleil ; Un week-end à Zuydcoote ; Les Tribulations d’un Chinois en Chine ; Le Doulos ; l’Aîné des Ferchaux…) jusqu’aux années 80 plus ou moins déclinantes, malgré Le Professionnel (le sommet de sa gloire) ; les Morfalous ; Joyeuses Pâques ; Hold-up ; le Solitaire…
« Des embardées, Jean-Paul Belmondo n’en aura finalement guère fait, dans une carrière paradoxalement brillante et sage, bien que commencée sous le signe de la rébellion » écrit dans sa nécrologie Jean-Michel Frodon dans Le Monde. « Grande gueule et séducteur, héros à l’apparence de M. Tout-le-monde capable de réconcilier comédie et film d’action, seul véritable héritier de Jean Gabin (…) il aura durant près de soixante ans offert au cinéma français de genre un corps, une trogne et une voix ».
C’est exactement ça : un corps, une trogne, une voix. Le corps d’un acteur ; une trogne de cinéma ; une voix de comédien, même si celui-ci, qui rêvait de la comédie française, aura davantage cédé au vedettariat qu’à ses ambitions. Cela avait mal commencé pour lui : peu apprécié du jury à la sortie du Conservatoire en 1957 (« Vous feriez hurler de rire une salle si vous preniez une femme dans vos bras », lui a dit son professeur d'art dramatique Pierre Dux ), il a pour partenaires Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean Rochefort, Bruno Cremer, Pierre Vernier, Michel Beaune, qui le portent en triomphe malgré son accessit, lui qui rêvait d'un premier prix… On connaît la suite : Godard le convainc de tourner pour lui À bout de souffle en 1960, et la nouvelle vague entraîne avec elle le jeune premier qui disait, à son retour d’Algérie : « j’arrête le cinéma, c’est trop con ».
C’eût été trop con en effet d’arrêter. Sans lui, en famille, entre collègues, entre copains, nous ne serions pas allés voir les films de Bébel, ni ne les aurions vus et revus ad libitum quand ils repassent « à la télé ». Grâce à lui, un soir, le dîner envoyé en quatrième vitesse, on est entré dans une salle de cinéma, et depuis, jamais ressorti.
Adieu, as des as.
F.S.
Drunk : boire le calice jusqu’à la lie
Le dernier film du Danois Thomas Vinterberg explore la vie dépressive de quatre copains qui décident de tenter une expérience : être toujours à 0,5g d’alcool dans le sang pour se désinhiber, retrouver une certaine joie de vivre et la créativité perdue. Mais lorsqu’ils dépassent la dose, ça déborde de toute part.
« Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ça ne serait pas le vin : mais l’ivresse ». Jean Gabin dans Un singe en hiver (dialogues de Michel Audiard, adapté du roman d’Antoine Blondin) résumait en une phrase tout le problème – et les avantages - de la consommation quotidienne de l’alcool. Dans Drunk du Danois Thomas Vinterberg (Festen, 1998 ; La Chasse, 2012, Kursk, 2018), il pousse le bouchon jusqu’à l’explosion, dans la vie plate et sans saveur de quatre quadragénaires, profs dans le même lycée, et à bout de souffle dans tous les aspects de leur vie. Un soir qu’ils sont rassemblés autour d’une bonne table d’un restaurant pour les quarante ans de l’un d’entre eux, ils décident de suivre les préconisations d’un chercheur norvégien (Finn Skarderud) qui explique très sérieusement que l’homme serait en déficit d’alcool depuis sa naissance : 0,5 g/litre de sang, précisément. Muni de ce bréviaire en même temps que viatique, les quatre copains débouchent les bouteilles et s’en jettent plusieurs derrière la cravate. Jusqu’à 20h, seulement, comme Hemingway.
« Dans ce pays, tout le monde boit et a un problème d’alcool » dit sobrement Trine (Maria Bonnevie), la femme de Martin (Mads Mikkelsen), Suédoise dans le film et observatrice extérieure d’une société danoise visiblement imbibée. Elle regarde son homme sombrer, puis renaître grâce aux 0,5g, et à nouveau, plonger quand ça déborde. Les trois autres comparses ne sont pas en reste : chacun à sa manière vit sa solitude, même bien entouré, comme Nikolaj (Magnus Millang), triple père de famille. Le postulat des 0,5 g ayant l’air de bien marcher, ils décident d’augmenter la dose, à volonté en fonction du degré de désinhibition souhaité, et des capacités verbales constatées lorsque la diction se fait plus imbibée à mesure que le niveau monte.
Le verre est-il à moitié plein, ou à moitié vide ? Plutôt plein, et tant va la cruche à l’eau (de vie) qu’à la fin elle se brise… Longtemps Thomas Vinterberg nous laisse croire – et ça marche – que personne ne se rend compte de leur naufrage. Sauf quand un employé de nettoyage du lycée trouve des cadavres (de bouteille) dans des endroits où seuls les profs ont la clé. Dans un colloque en salle des profs transformé en confessionnal, la directrice de l’établissement feint de ne pas savoir qui, exactement, se laisse aller à la picole dans son bahut. Mais tout le monde a compris ! À la maison, Martin envoie valser le saladier dans un geste rageur, et Trine, sa femme, en profite pour mettre les voiles avant que la situation ne devienne ingérable pour de bon. On touche le fond de la bouteille, au sens propre comme au sens figuré.
Qui a bu boira ? C’est à la fin de la foire qu’on compte les verres (vides), et à la fin de l’année qu’on compte les bacheliers. Alors que les lycéens font la fête, examen en poche et casquettes blanches et rouges sur la tête (signifiant par le couvre-chef qu’ils sont bacheliers), ces jeunes sont reconnaissants envers leurs profs de les avoir conduit, malgré tout, jusque-là. Naturellement, en bons vikings qu’ils sont, le vin et la bière coulent à flots pour fêter ça. Après quelques hésitations (pas longtemps cela dit), les profs trinquent et cela semble reparti, entre deux pas de danse de Mads Mikkelsen, très en forme. Vont-ils replonger ? La fin du film semble ouverte, on laissera au philosophe existentialiste danois Kierkegaard le dernier mot, qu’un élève timide et poissard doit expliquer le jour de l’oral : « Il faut s’accepter comme être faillible pour aimer les autres ». Comme il avait un peu bu, ça a marché. De là à dire que Thomas Vinterberg ferait l’apologie de l’ivresse, il n’y a qu’un pas (de danse) que personnellement, nous n’oserons pas franchir.
Un petit verre pour fêter ça ? Si vous trouvez un bistrot encore ouvert, pourquoi pas...
Drunk, de Thomas Vinterberg, 1h55. Sortie le 14 octobre 2020.
Toujours sur les écrans, Antoinette dans les Cévennes est à lire ici...
Antoinette dans les Cévennes : qui fait l’âne fait la bête
Film de Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte… Envie de randonner sur le chemin de Stevenson dans les Cévennes avec un âne ? Attendez un peu avant de vous lancer.
Vaudeville néo-rural : Antoinette Lapouge (Laure Calamy), institutrice amoureuse du père d’une de ses élèves (Vladimir, interprété avec retenue par Benjamin Lavernhe), fait chanter par ses élèves à la fête de fin d’année Amoureuse, de Véronique Sanson. Stupéfaction dans la cour… Mais douche froide lorsque son amoureux lui annonce que finalement, la petite semaine qu’ils devaient passer ensemble ne se fera pas, Éléonore, sa femme (Olivia Côte) ne part finalement pas à l’Île de Ré mais a choisi pour toute la famille une traversée des Cévennes avec un âne. Qu’à cela ne tienne, Antoinette réserve à la dernière minute le même séjour et débarque à Monastier-sur-Gazeille au bord du GR70 dans la Haute-Loire, avec ses talons compensés et sa valise rose à roulettes… Après un premier dîner inquisiteur où elle apprend qu’elle est la seule à faire la traversée avec un âne (elle va rapidement comprendre pourquoi), la voilà partie dès le lendemain avec Patrick, l’âne qui lui est réservé, pour une « psy qu’âne analyse » avec les pieds, où la tête et le cœur vont tourner à plein régime, en même temps que les gags clownesques.
Antoinette et Modestine-Patrick : même combat. En 1879, l’Écossais Robert-Louis Stevenson se lance lui aussi sur les chemins des Cévennes avec une ânesse, Modestine, suite à ce qu’on nommerait aujourd’hui un chagrin d’amour. Il en tira Voyage avec un âne dans les Cévennes, devenu une sorte d’objet culte du marcheur dans ce superbe coin de France. Et dissuasif de marcher avec un tel animal, au passage… Antoinette va découvrir que ce qu’elle poursuit n’est pas plus important que ce qu’elle cherche, au fond : son unification après des années d’errance.
Dans le vaudeville, la femme trompée est souvent la clé d’un tournant irréparable : c’est Éléonore, femme de Vladimir, qui dans un formidable plan-séquence donne le dénouement de cette histoire entre les deux amants. Problème (en est-ce un ?), on n’est à ce moment-là de l’histoire qu’au beau milieu du film… Une fois éloignée de son mari l’encombrante maîtresse qui croyait bien faire, comme Caroline Vignal va-t-elle éviter les bâillements de ses spectateurs ?
En s’intéressant à l’intérieure d’Antoinette plutôt qu’à ses aspects extérieurs, pourtant burlesque, bien aidée par les deux ânes qui participent au tournage (un agressif, l’autre plus doux pour les moments « câlins »). Sans aller jusqu’à dire qu’elle signe un chef-d’œuvre, Caroline Vignal rend le propos plaisant jusqu’au bout de l’heure et demi d’un film qui remplit son rôle en cette rentrée cinématographique si particulière après six mois de disette. Beaucoup de choses y sont soignées, jusqu’aux seconds rôles qui valent largement des premiers dans des films moins bien ficelés. Antoinette dans les Cévennes, ça marche, et c’est le cas de le dire.
Sur les écrans depuis le 16 septembre.
Ça se lit aussi ici.
Été 85 : j'irai danser sur ta tombe...
Les histoires d’amour finissent mal, en générale… François Ozon adapte un roman de l’écrivain anglais Aidan Chambers, La Danse du coucou (Dance on my Grave), paru en France en 1983, qu’il vaut mieux traduire par « danse sur ma tombe ». Un roman qui, dit-il, l’avait fortement marqué.
C’est l’été, en 1985. Alors que Taxi Girl cherche le garçon depuis un an, Alex (Félix Lefebvre) se cherche lui-même sans se trouver vraiment. Sa rencontre fortuite avec David (Benjamin Voisin) à la suite du chavirage d’un petit dériveur où il a trouvé refuge sans se méfier de l’orage qui monte, au large du Tréport, va tout emporter. Après l’avoir remorqué, David emmène Alex prendre un bon bain chaud et des vêtements secs chez sa mère (Valéria Bruni Tedeschi). Instantanément, il chavire pour le jeune Alex. Durant 6 semaines, jusqu’à l’issue fatale dévoilée dès l’ouverture du film par Alex lui-même, menotté au poignet d’un gendarme dans le couloir d’un tribunal, les deux garçons sont vivre une forte attraction, une histoire passionnelle, jusqu’au désastre.
François Ozon caresse avec douceur dans une lumière de bord de mer où rien des symboles des années 80 ne manque – mention spéciale pour la bande-son qui ravira les quadras-quinquas - les corps et tempéraments de ces deux jeunes adultes à peine sorti de l’adolescence. L’effet est saisissant dès les premiers plans, grâce à une image traitée façon pellicule, donnant du grain (à moudre) au spectateur dont certains peuvent voir dans Été 85 un teen-movie dont il emprunterait, paraît-il, les codes. Rien n’est moins sûr.
Père récemment décédé et mère juive un poil envahissante pour l’un (David) ; père certes présent mais complètement à côté de la plaque et mère inquiète du devenir de son petit qu’elle ne voit pas grandir pour l’autre (Alex), le film emprunte aussi les chemins de traverse de la post-adolescence où la fureur de vivre prend sa source dans un passé familial sur lequel les deux jeunes semblent surfer, mais qui les rattrape au détour de quelques scènes finement pensées. De là surgira la promesse : si l’un de nous deux venait à mourir le premier, le survivant promet d’aller… danser sur sa tombe.
Si l’on songea, avant d’aller voir le film, aux ambiguïtés filmées par André Téchniné avec Quand on a 17 ans, (2016, avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila), ou aux Roseaux sauvages en 1994 (avec Gaël Morel, Stéphane Rideau, Élodie Bouchez), une fois au cœur d’Été 85 rien de semblable finalement. La première partie est véritablement lumineuse, joyeuse, « et en même temps » tragique puisque le drame nous était annoncé dès le début. Ozon a néanmoins le bon goût de ménager le suspense jusqu’au bout, à l’issue d’une seconde partie qui perd un peu en intensité après l’absence de David (Benjamin Voisin), qu’on espère revoir bien vite !
Demeure longtemps après le générique de fin l’intense questionnement de cette jeunesse folle d’elle-même, amoureuse de vivre à en mourir, prête à tout pour essayer, si possible, de prendre son envol en donnant tout, jusqu’à la vie. Sans penser que la pesanteur, elle aussi, peut rejoindre la grâce et clouer au sol ces albatros d’une insolente jeunesse…
Été 85, de François Ozon. 1h40. Avec : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty. Sortie le 14 juillet 2020.
De Gaulle : l’homme seul, entre Yvonne et Charles
Concentré entre mai et juin 1940, De Gaulle, de Gabriel Le Bomin, évite le piège de la grande reconstitution-fresque historique pour se concentrer sur le moment où l’homme de 50 ans a rendez-vous avec l’Histoire, un destin, et sa famille. Étonnant.
Imagine-t-on le général De Gaulle embrasser sa femme – Yvonne – lui caresser la cuisse, ou poser une main affectueuse et virile sur la nuque de son fils Philippe ? On connait cette photo – une des rares intime – où Charles de Gaulle, endimanché et enfoncé dans un transat sur une plage comme s’il allait au bureau, tient dans ses bras sa fille Anne, trisomique, décédée à 20 ans et qui compta tant pour lui. Une autre le montrant avec Yvonne sur une plage d’Irlande après avoir quitté le pouvoir, dans une ambiance de fin de règne. Pour le reste : rien, ou si peu. L’icône absolue de l’Histoire de France du XXe siècle se prête-t-elle à la fiction ? Jean-Pierre Meleville le représentait de dos dans L’Armée des ombres en 1969. Bernard Stora en 2005 avait offert la possibilité à Bernard Farcy d’incarner le Grand Charles, moitié documentaire, moitié feuilleton. Imagine-t-on davantage le général De Gaulle en proie aux doutes et aux atermoiements familiaux liés au conflit entre le destin de la France, le sien propre et celui de sa femme et ses enfants ? C’est en tout cas le pari fait par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur de Nos patriotes en 2017, qui s’est lancé avec ce De Gaulle dans une aventure un peu hors norme il faut le reconnaître mais sans pour autant sombrer dans l’obsession de la fresque historico-politique de 30 ans de vie publique du général. Le film tient tout entier dans les deux mois qui précèdent l’appel du 18 juin, dans cette France abattue jetée début juin 40 sur les routes de France avec valises et matelas sur le dos, charrettes et autos croulant sous les bijoux de famille que beaucoup tentaient de sauver, au péril de leur vie. Face à un gouvernement dirigé par Paul Reynaud qui change d’avis comme de chemise (excellent Olivier Gourmet), De Gaulle, qui n’en fait qu’à sa tête nouvellement coiffée d’un képi de général de brigade, s’envole pour Londres où un autre têtu va lui ouvrir les portes de la BBC, un certain Winston Churchill (campé par Tim Hudson).
Ce dernier a été moult fois incarné à l’écran, entre cigares et whisky, mais très peu De Gaulle. Lambert Wilson s’attaque au mythe, et réussi la prouesse de quasiment y parvenir, la voix en moins, et c’est parfois ce qui manque. L’avouera-t-on ? "On a été déçu, mais en bien", comme disent nos cousins suisses. Peut-être parce que Lambert Wilson ne se prend pas pour Dieu le père – en l’occurrence le général. Cette retenue - trop, parfois, comme s’il hésitait se rendant compte du vertige provoqué par la tâche ? - en rencontre une autre. Celle d’Isabelle Carré, campant Yvonne De Gaulle avec juste ce qu’il faut de sensualité et de gravité dans les rides d’un front discrètement plissé, pour nous faire oublier la vraie Yvonne, celle qu’on voyait sur une photo servir une louche de soupe à son général de mari, le soir après le boulot.
Le trait d’union, c’est Anne. Les différentes jeunes actrices qui la campent – vraies trisomiques – sauront-elles un jour l’importance du rôle qu’elles ont joué ? Sans aucun doute elles le savaient déjà. Dans la vie du grand Charles et d’Yvonne, en tout cas, on sait combien cette petite fille fragile a compté. C’est en la promenant et lui tenant la main que, paraît-il, lui venaient les idées. Celles de Gabriel Le Bomin et de sa scénariste, Valérie Ranson Enguiale, en réalisant ce De Gaulle montrent qu’on peut désormais s’attaquer à la légende avec un scénario bien ficelé, en choisissant surtout un acteur qui demeure droit dans ses bottes, sans s’étourdir en se prenant pour Dieu…
F.S.
(en ) Marche avec les loups
Le réalisateur haut-alpin signe un troisième film, le second sur une passion dévorante, comme l'animal lui-même : le loup. Il essaie de coller au train d'un jeune subadulte afin de percer le mystère de ses pérégrinations géographiques aléatoires. En vain ?
Réalisateur de la Vallée des loups en 2016 (200.000 spectateurs et de nombreuses projections suivies d’un débat, preuve que le film avait trouvé son public), Jean-Michel Bertrand a remis ça avec Marche avec les loups, qui tente de suivre sur près de 300 km un jeune loup venant de quitter la meute pour créer son propre territoire, à la recherche d’une jeune femelle et fonder à son tour une meute. Plus de deux ans de tournage, d’affûts, de fausses pistes, d’attente les pieds dans la neige ou sous le cagnard du plein été pour le résumer en un mot : passionné par ses chères vallées des Hautes-Alpes (le Champsaur et Valgaudemar dans le massif des Écrins), et hypnotisé par le loup, personnage à part entière autour duquel tourne tout le film, à mi-chemin entre documentaire et traque romanesque. Mais cette fois-ci, le propos se fait nettement plus militant que dans la Vallée des loups. Jean-Michel Bertrand s’interroge sur la « cohabitation » entre hommes et loups, plus largement entre le sauvage et le domestique. « Avec la peur du loup, la peur du sauvage ressurgit », explique avec forces belles images l’inlassable lycanthrope, poussant sa curiosité sur les mœurs de l’animal jusqu’à franchir le Rubicon et traverser Grenoble pour s’en aller vers le nord, les grands massifs forestiers du Jura où il a l’intuition que le jeune loup qui vient de quitter la meute alpine s’y trouve.
Des intuitions, Jean-Michel Bertrand n’en manque pas. Cependant, il butte sur un os (de loup ?) : une fois franchit un des cols permettant de s’extraire de la vallée encaissée où il a posé ses caméras qui se déclenche à l’approche du moindre mouvement, il perd la trace du loup, se perd en hypothèses sur le chemin qu’il a éventuellement pris. Ce faisant, il perd un peu ses spectateurs aussi, ce qu’il n’avait pas fait dans le précédent film. La faute probablement aux subterfuges que J-M Bertrand utilise pour nous faire croire à une unité de narration, mais qui ne sont en fait que des astuces du montage pour nous emmener vers le nord. La faute aussi à un militantisme un peu trop appuyé, s’obligeant à expliquer les réactions que suscite la présence du loup chez les éleveurs, les difficultés – réelles cela dit – de la cohabitation entre l’homme et les milieux sauvages. Dommage, ces quelques incartades masquent presque les points forts de cette Marche avec les loups, notamment les mystères de la progression géographique de l’espèce, sur lesquels buttent les meilleurs spécialistes.
N’en demeure pas moins un florilège de belles images, où l’on voit aussi le réalisateur se tromper, échouer à la manière d’un pied-Nickelé mais c’est ça aussi qui le rend sympathique et permet l’identification. Il brosse des prise de vues à couper le souffle venues du sol ou avec un drone ; une voix off chantante et rocailleuse qui accompagne, malgré tout, les spectateurs. Jusque dans une cabane typique du Jura où Jean-Michel Bertrand passe l’hiver, et enfin au dénouement en forme de happy end qui pourrait faire oublier que s’il a vraiment perdu la trace du loup, il a comme lot de consolation trouvé celle des lynx, se demandant s’ils peuvent cohabiter. Ou comment masquer la perte de ce qui était à nos yeux plutôt une bonne nouvelle – le retour du loup en France – par une autre : il y a aussi des lynx. De quoi agrémenter les longues soirées d’hiver en rêvant – ou pas – au moment où l’on pourra dire, tout « conte » fait : loup, y es-tu ?
F.S.
Marche avec les loups, de Jean-Michel Bertrand. Sortie le 15 janvier 2020.
Marche avec les loups (c) Gebeka Films
Papicha lève le voile sur la liberté chèrement disputée
Le premier long métrage de Mounia Meddour met en scène, sur fond d’Algérie au début de sa plongée dans la décennie noire, l’histoire d’une jeune étudiante de français qui se rêve styliste. Pendant que les murs s’élèvent autour de la liberté de ces Algériennes, elle invente avec insolence, énergie farouche et une bonne dose d’inconscience, une vie où les étoffes habilleraient les « papichas », les jolies jeunes filles algéroises.
« Couvre-toi avant qu’un linceul ne le fasse ! » intime l’ordre des milices islamistes sur des affiches collées sur les murs d’Alger. Nedjma, étudiante habitant la cité universitaire, rêve de devenir styliste, autant dire que ça n’est guère dans le vent du climat ambiant plus enclin à élever des murs et voiler les femmes. À la nuit tombée, Nedjma et son amie Wassila se faufilent à travers le grillage de la cité et rejoignent leurs meilleures copines dans les boîtes de nuit où elle vend ses créations aux autres papichas. La situation politique et sociale de ce début des années 90 ne cesse de se dégrader, la guerre civile va ravager le pays pendant près de dix ans. Avec une énergie frénétique, Nedjma refuse cette fatalité allant même jusqu’à imaginer un défilé de mode dans l’enceinte de la cité-U, au mépris du danger.
Pas un plan sans l’actrice autour de duquel tourne Papicha, Lyna Khoudri, héroïne enragée qui voit ses rêves brisés par les apôtres de la haine qui cherchent à couvrir de voiles les femmes qui ne souhaitent que vivre libres et vêtues d’étoffes à leur goût. Avec une mise en scène au parti pris audacieux autant que systématique de plans très courts et très serrés – au risque de donner le tournis au spectateur et l’étouffer un brin – Mounia Meddour atteint son objectif : montrer la perte progressive de liberté de ces Algéroises pourtant si vivantes. Autour d’elles, les murs de leurs chambres de la cité-U autant que ceux que les nouveaux propagateurs d’un ordre moral et religieux fanatique montent et se rapprochent progressivement. Mais sans parvenir à étouffer totalement l’acharnement, la rage et le panache de Nedjma et ses copines, qui, grâce à ce défilé de mode qui aura bien lieu, ouvre une brèche salutaire dans l’enfermement dans lequel on veut les confiner.
L'ironie affleure aussi parfois, malgré la densité et la gravité du film, notamment grâce au détournement du haïk – pièce d’étoffe de cinq mètres de long, vêtement traditionnel des femmes algériennes – en objet de mode grâce à d’ingénieuses retouches et pliures. Tout le contraire du hidjab que veulent leur imposer les émiratis de la péninsule arabique…
Papicha, récompensé au Festival du Film Francophone d’Angoulême pour son scénario, son actrice et par le prix du public, qui ne s’y est pas trompé, trouve sa cible et claque dans la figure comme un film manifeste. Cela n’est probablement pas du goût des autorités algériennes qui l’ont interdit de projection lors d’un avant-première qui devait avoir lieu le 21 septembre dernier – sans explication – mais ne l’empêche pas malgré tout d’être sélectionné pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Difficile pourtant d’ignorer le contenu du film, tourné à Alger avec toutes les autorisations du ministère de la Culture.
Quoiqu’il en soit Papicha demeure probablement un des meilleurs films sur les écrans en cet automne 2019, dans lequel Mounia Meddour, qui a fuit l’Algérie au début des années 90, oppose aux violences misogynes la résistance par la couture et magnifie par les étoffes les corps de femmes que les islamistes s’efforcent d’anéantir.
F.S.
Papicha, de Mounia Meddour. Avec : Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda. 1h45. Sortie le 9 octobre. |
Alice et le maire, ou l’évanescence de la pensée en politique
Le second film de Nicolas Pariser (1) met en scène Paul Théraneau, maire de Lyon, aux prises avec l’évanouissement progressif de ce qui a fait de lui un conquérant du pouvoir, un édile innovateur et bourré d’idées. Rincé par trente ans de vie politique à serrer des mains, signer des parapheurs et prononcer des discours aux inaugurations de chrysanthèmes, il est à court d’idées. Il engage une jeune normalienne philosophe et finement lettrée pour tenter de lui redonner l’envie de penser, ce qu’il n’a plus le temps de faire, dévoré par le tourbillon de l’action permanente et la vacuité de la novlangue de ses conseillers. Las, la désillusion, de part et d’autre de ces deux touchants personnages, auront raison de l’action, au profit – c’est heureux et si rare – de la pensée qui normalement la précède.
Le film s’ouvre sur une scène étonnante où la collaboratrice de cabinet Mélinda (Nora Hamzawi) explique à Alice Heimann qui vient d’être engagée (Anaïs Demoustier) son travail auprès du maire de Lyon (Fabrice Luchini) : « Ton boulot, c’est de prendre du recul ». « Ce n’est pas un travail, ça » répond surprise Alice qui n’y connait rien à la politique et se demande pourquoi on l’a fait venir dans cette « lyonnaiserie ». Mais sa force c’est de savoir cerner et penser les enjeux contemporains. Elle fait ce que la quasi-totalité des politiques ne savent plus faire : penser avant d’agir, quitte à être un brin théorique, et c’est un risque à prendre.
D’abord peu à l’aise au sein d’un cabinet bien campé par des seconds rôles efficaces – une directrice de cabinet aussi raide que dévouée à la cause du gourou (Léonie Simaga), des chargés de com’ sanglés dans leurs costards bleu marine code couleur de gauche comme de droite – Alice se fond peu à peu dans le rôle qu’on attend d’elle : penser, et faire penser le maire. Sa première note rédigée, ironiquement a pour thème la modestie (un régal). Elle épouse l’agenda de dingue de Paul Théraneau/Fabrice Luchini, commence une conversation entre deux portes, la poursuit dans les déplacements en voiture et la clôt le soir tard dans son bureau.
Tout oppose ces deux personnages, si ce n’est la solitude et l’impression d’être à un tournant de leur vie. Paul Théraneau en vieux lion lessivé qui aimerait bien quand même tenter un dernier coup (devenir premier secrétaire du PS et briguer la présidence de la République) ; Alice Heimann en jeune femme d’une génération tiraillée par l’inquiétude, sans véritable envie ni projet, qui a prolongé au maximum ses études autant par scepticisme envers le monde adulte autant que pour ne pas avoir à penser la suite de sa vie justement.
Et ça n’est pas le moindre intérêt d’Alice et le maire de Nicolas Pariser : grâce à la rencontre platonique de ces deux roseaux pensants perdus dans leurs univers respectifs, le film donne à penser sur l’articulation entre réflexion et action, entre théorie et pratique du réel, et crise actuelle de la démocratie.
Une hauteur de vue, un recul et une réflexion au quotidien qui manquent cruellement aux hommes et femmes politiques de nos jours, justement, dont la vacuité des discours et l’inefficacité de leur action se noient dans l’évanescence et le scepticisme ambiant.
« Je préfère recourir à la tradition philosophique plutôt qu’à un coach » dira Paul Théraneau/Fabrice Luchini avec ce qui lui reste de lucidité lors de leur premier rendez-vous. Avec une certaine légèreté, la précision des dialogues finement ciselés et de la fluidité dans le récit, Alice et le maire offre aux spectateurs une réflexion charmante et pas du tout ennuyeuse de la vie politique contemporaine, aux antipodes de celle-ci dans le réel, justement.
F.S.
(1) Le Grand jeu en 2015, sur l’affaire de Tarnac.
D'autres chroniques cinéma à lire ici : Au nom de la terre (Édouard Bergeron) / Ceux qui travaillent (Antoine Russbach) / Deux moi (Cédric Klapisch) / Once upon a time in Hollywood (Quentin Tarantino) / Une fille facile (Rebecca Zlotowski). |
Une Fille facile : un conte cruel de fin d’été, sur la plage abandonnée…
De Rebecca Zlotowski. Avec : Mina Farid, Zahia Dehar, Benoît Magimel… 1h32.
Pour son quatrième long-métrage, Rebecca Zlotowski signe avec Une Fille facile un film sensuel, suave dans lequel deux jeunes femmes de 16 et 22 ans croquent la pomme du désir, de la séduction et de la convoitise à Cannes le temps d’un été. Avec l’ex escort-girl Zahia au physique proche de ce que fut Brigitte Bardot en son temps, et la candeur tout autant que le sérieux de la jeune première Mina Farid. Troublant, et envoûtant.
Dès le début d’Une Fille facile, Rebecca Zlotowski (1) plonge le spectateur dans l’univers d’un conte cruel où l’on sent que l’illusion va servir de trame à une lutte interne toute autant qu’une lutte extérieure pour posséder ce qui est beau, et les signes extérieurs de richesse accompagnent cette beauté illusoire. L’emballage est on ne peut plus séduisant : la côte cannoise et sa lumière crue ; le physique de l’actrice principale Zahia Dehar…
Le film commence fin juin, à la fin des cours. La jeune Naïma (Mina Farid) fête ses 16 ans avec ses potes du lycée, dont le (ou la ?) très énigmatique « Dodo » (Lakdhar Dridi). Sa cousine Sofia (Zahia Dehar) débarque chez elle quasiment sans prévenir, gonflée du désir de vivre, de sexualité libérée et du regard des hommes. Elle va promener sa chute de reins vertigineuse avec sa jeune cousine sur la Croisette dans des tenues époustouflantes, de plages en plages et de boîtes de nuit en boîtes de nuit. À force d’écumer le bord de mer en tortillant des fesses, elles rencontrent Andres (Nuno Lopes) et Philippe (Benoît Magimel), un collectionneur d’art et son entremetteur qui ne tardent pas à les faire monter sur leur yacht. Sofia détourne peu à peu l’adolescente de sa réalité quotidienne, lui ouvrant un monde où le luxe, l’opulence, la haute couture et les objets de luxe se monnaient contre du sexe. Cette monnaie d’échange attire Naïma autant qu’elle la redoute, pas encore suffisamment prête à emboîter le pas de sa cousine, dont les courbes insolentes et le verbe indolent font irrémédiablement penser à Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme de Roger Vadim et davantage encore Le Mépris de J-L. Godard ("et mes cuisses, tu les aimes mes cuisses ?").
Il semble loin, le temps où Zahia Dehar était la risée de la presse people pour ses frasques d’escort-girl dans le milieu du foot ! En lui offrant le rôle principal d’Une Fille facile, Rebecca Zlotowski prend un audacieux pari : faire de ce mannequin une actrice au jeu, à la fantaisie et la sensualité proche de ce que fut Bardot à ses débuts. Mais en modernisant le personnage : elle possède les codes et tous les attributs contemporains tout en conservant ce qui fit le succès déroutant de « Brigitte » dans les années 50. La sophistication et le naturel mêlé, qui faisaient tourner le regard des hommes en jouant de leur désir, pour mieux les posséder, eux qui croient en leur capacité de possession. Conte cruel d’une adolescence qui ne passe pas et d’un début d’âge adulte où la liberté s’acquiert chèrement, Une Fille facile est un film à étages, comme les plans imaginés par sa réalisatrice, que l’on monte ou descend selon qu’on est riche ou pauvre, parvenue ou éblouie par le luxe et la vie facile, un monde fait exclusivement d’apparences. « Ça te plairait pas d’être une chatte ? » demande Sofia à sa cousine en train de cuire du riz le plus naturellement du monde. Drôle de question en vérité, mais Sofia fait néanmoins preuve d’une certaine « sagesse » quand elle déclare à sa jeune cousine que « Moi l’amour ne m’intéresse pas – Tout le monde s’intéresse à l’amour ! (Neïma). Pas moi. Moi ce que j’aime, c’est les sensations, l’aventure. Pour moi les sentiments ça ne compte pas du tout, Tu veux que je te donne un conseil ? On doit jamais rien attendre, on doit tout provoquer par nous mêmes, tu comprends ? ».
« Est beau ce qu’on n’a pas envie de posséder, mais d’admirer », dira Benoît Magimel qui joue Philippe, un homme mélancolique tout à la solde du richissime Andres, collectionneur d’œuvres d’art autant que de femmes. C’est sur ce fil tendu entre le désir des hommes et ce que les femmes peuvent leur offrir que jouent Zahia Dehar et Mina Farid. Jusqu’à la rupture. « Elle était partie comme elle était arrivée, sans s’annoncer. Comme une fin de saison. On sait que ça va arriver mais on ne s’en rend compte que le jour d’après » (Mina Farid, alias Neïma). Sofia – la sirène ? - disparaît et le conte se referme, la réalité reprend le pas sur l’illusion. Si celle-ci fait passer au spectateur un bien agréable moment grâce à une belle mise en scène et une lumière méditerranéenne à crever les yeux, elle n’a rien de comique. Elle accentue la cruauté d’un monde qui n’a rien d’imaginaire : beaucoup de jeunes femmes contemporaines des actrices du film en rêvent, et sont prêtes à tout pour y parvenir…
F. S.
(1) Belle épine en 2011 sélectionné pour la Semaine de la Critique à Cannes et César du Meilleur espoir féminin pour Léa Seydoux. Grand Central en 2013 sélectionné pour Un Certain regard à Cannes également. Planétarium en 2015.