C’est quoi, le problème avec les « migrants » ?
16 Septembre 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #édito
Entre le 28 janvier, et le 13 février 1939, près de 500.000 réfugiés Républicains espagnols vinrent chercher asile en France, fuyant les troupes de Franco, suite à la chute de Barcelone le 26 janvier. Ce vaste mouvement d’exil forcé porte le nom de Retirada. Il faut aujourd’hui produire un effort d’imagination conséquent pour comprendre la situation, inédite, et dantesque pour l’époque : la population des Pyrénées-Orientales avoisine 230.000 habitants à la fin des années 30. En quinze jours, un afflux d’hommes en arme, mais aussi de femmes, d’enfants, de vieillards et de blessés arrivent aux principales voies frontalières, dont la plus célèbre – car la moins élevée – est le col du Perthus. Deux fois la population du département, en deux semaines ! C’est considérable.
Marc Rucart, ministre de la Santé publique, et Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur du gouvernement de l’époque, sont venus sur les lieux le 31 janvier 1939. Voici ce que déclarait au reporter du journal L’Indépendant le ministre de l’Intérieur : « Les réfugiés, arrivant par milliers, mourant de faim, rentraient d’autorité dans les maisons pour s’y ravitailler de force. Certains, sous la menace même du revolver, tentèrent de dévaliser un poulailler ; d’autres eurent à l’égard de nos femmes et nos jeunes filles des attitudes inadmissibles. On a vu aussi des réfugiés refuser catégoriquement de se séparer de leurs hardes pouilleuses, ne pas consentir à leur désinfection ou bien, menaçants, ne pas vouloir laisser soigner leurs plaies purulentes (…). Il fallait maintenir l’ordre et assurer la sauvegarde sanitaire du pays ; c’est fait. Les femmes et les enfants, on les recevra ; les blessés et les malades, on les soignera ; les hommes valides, on les refoulera sans exception, sans considération de leur situation personnelle ou de leur état de fortune. Voilà qui est net. (…) » On voit que le phénomène migratoire et les tracas qu’il véhicule n’est pas neuf, et qu’il suscitait déjà – même de la part d’un gouvernement de gauche ! – de sacrées réticences. Celles-ci se confirmeront très vite par la suite, avec la lente marche des réfugiés vers les camps d’internement : Saint-Cyprien, Argelès-sur-Mer, Barcarès, Collioure, le Vernet-d’Ariège, Bram… Certaines familles seront envoyées dans la Marne, en Normandie, dans les Pays de la Loire, en Charente, etc.
Mes vénérables professeurs de faculté d’histoire et géographie de l’Hôtel Fumé à Poitiers puis de la Sorbonne, nous expliquaient à chaque rentrée universitaire que non, vraiment non, « l’histoire ne se répète jamais ». Avant d’ajouter : « que parfois, il semble tout de même qu’elle bégaie ». C’est ce qui est en train de se passer actuellement avec le phénomène de Calais. Les propos tenus par Mme Véronique Péan, jeudi 14 septembre, en conférence de presse du groupe Front national du Conseil régional Centre-Val de Loire, évoquant les « étrangers indésirables (…) ou comment réduire une tumeur en disséminant les métastases », sont nauséabonds, choquants, immoraux. « Pour quel crime les habitants de la région Centre-Val de Loire sont-ils condamnés à assumer la charge des centaines de personnes qui leur sont parfaitement étrangères ? », poursuit-elle. Des propos inacceptables, mais finalement pas si éloignés que cela de la façon dont la France – j’ai bien écrit ce mot, la France – a accueilli il y a 77 ans les réfugiés espagnols, Républicains de l’armée populaire et leurs familles chassés par l’armée franquiste. « C’était ça ou la mort ! » me dit un jour Herminia Muñoz (qui passa le Perthus en janvier 39 avec sa mère et son petit frère de 5 ans) rencontrée en Ariège à la faveur de l’écriture de Franchir les Pyrénées sur les chemins de la liberté.
« C’était ça ou la mort ! », c’est ce que disent aussi les migrants de Calais, de Paris, de Dieppe ou d’ailleurs, qu’ils soient réfugiés de guerre ou migrants économiques, qui attendent dans un premier temps de l’aide élémentaire (logement, habillement, alimentation, éducation des enfants, prise en compte des mineurs isolés et des femmes seules avec enfants). Une aide élémentaire, c'est-à-dire un refuge, pas du diagnostic de bazar d’une cancérologue de bistrot encartée dans un parti d’extrême-droite. L’autre droite ne fait guère mieux. La gauche se tait. Le centre est dans le gouffre. Personne n’a d’autre idée que celle de se refiler la patate chaude.
« Ci-gît la France », comme l’écrivit Laurent Gaudé dans l’hebdomadaire Le 1 en février dernier. « Ci-gît » l’identité française, le fameux « roman national », la construction historique d’une France archi-composite et métissée qui débuta avec une tribu de chevelus barbus, casqués et vêtus de laine de mouton qu’on appelait les Francs. « Ci-gît » la France des cathédrales, des moines défricheurs, des compositeurs de sonnets et de motets, de tragédies en vers. « Ci-gît » la France des Valois et de la Renaissance, la France de Vauban et de Colbert, de Mazarin et Richelieu, de La Fontaine et La Rochefoucauld, la France des Lumières et de Voltaire, des Droits de l’Homme et du Citoyen, et même de l’Empire... « Ci-gît » la France coloniale, la France qui « accuse », la France d’Hugo, la France de la Marseillaise, la France qui se bat et se relève de la boue du Chemin des Dames et de Verdun, la France de Péguy et de Jeanne. « Ci-gît » la France qui résiste, avec les métèques, les rouges, les blancs, les enfants de la patrie et les femmes au courage infini. « Ci-gît » la France des Polonais, Portugais, Italiens, Algériens, Africains et de la Légion Étrangère, qui vinrent vider nos poubelles, construire nos maisons, descendre à la mine, fabriquer nos voitures et nos mobylettes, verser leur sang pour notre liberté. « Ci-gît » la France de De Gaulle, de Mauriac et de Malraux. « Ci-gît » la France des partis et de la déraison, de l’inculture et de l’illettrisme, du confort individuel et de la bien-pensance. « Ci-gît » la France qui ferme sa porte et son cœur sec, couard, paresseux, vide, méconnaissable. « Ci-gît » la France qui ferme sa gueule...
F.S
Matthieu Ricard, jusqu'au bouddhiste de la photo
6 Septembre 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Presse book
Exposées durant les Promenades photographiques de Vendôme jusqu'au 18 septembre, les photos du moine bouddhiste Matthieu Ricard étaient vendues aux enchères le 6 septembre par maître Rouillac père et fils, au profit de son association "Karuna Shechem". Rencontre privilégiée avec un homme touché par la grâce.
"Pourquoi je fais des photos ? Pour faire ressortir la beauté de la nature, et la beauté intérieure de l'être humain. Je fais de la photo parce que c'est ma façon favorite de perdre mon temps". On l'écouterait des heures, Matthieu Ricard, moine bouddhiste tibétain depuis plus de 40 ans, et photographe depuis l'âge de 13 ans. "Au début, je photographiais tout et rien, des flaques d'eau... Ma famille disait : ne demandez pas des photos à Matthieu, ça ne sert à rien. Pendant longtemps, pour illustrer mes livres, je mettais mes propres photos. Les gens disaient : qui est-ce qui a pris les photos ? A partir du moment où j'ai fais du noir et blanc, on a commencé à s'intéresser à elles..."
Il ne se sépare quasiment jamais de cette jovialité attentive, celle des hommes calmes - osera-t-on dire zen ? - des hommes qui écoutent beaucoup avant de parler. Des hommes qui savent faire silence, pas seulement dans leur environnement, mais aussi à l'intérieur d'eux-mêmes. Des hommes de paix et de don. Don de soi et don de temps pour des causes humaines très concrètes. En 2015, son association "Karuna Shechem" (littéralement "compassion" et du nom d'un monastère bouddhiste) a aidé 400.000 personnes, en matière de santé, d'éducation, de services sociaux. 620 villages népalais ont ainsi été aidés par Karuna Shechem depuis le terrible tremblement de terre d'avril 2015. Mardi 6 septembre, cet homme aux semelles de vent faisait halte à Vendôme, pour vendre une partie de ses photos par ailleurs exposées depuis juin et jusqu'au 18 septembre dans le cadre des Promenades photographiques. Elles sont tirées du livre Visage de paix, Terre de sérénité édité chez La Martinière.
Depuis près de cinquante ans qu'il sillonne cette région du monde, de l'Himalaya au Népal en passant par le Bhoutan et l'Inde, Matthieu Ricard a connu des débuts difficiles. "J'ai vécu 25 ans en Inde auprès de grands maîtres spirituels. J'avais l'équivalent de 40-50 € par mois. C'est largement suffisant pour s'en sortir là-bas, mais pour aider les autres, ça devient compliqué", explique-t-il. C'est en 1997 que tout bascule, ou tout commence, devrait-on dire. La sortie du Moine et du Philosophe, écrit avec son père Jean-François Revel (qui était aussi journaliste et essayiste) fait un carton en librairie. Il décide alors de reverser l'ensemble de ses droits d'auteur à la Fondation de France, puis à l'association qu'il créé au début de la décennie 2000. On pourrait croire ce moine bouddhiste, interprète français du Dalaï Lama, en lévitation permanente, perdu dans la méditation qu'il pratique assidument lors de longues plages de solitude dans son ermitage népalais, à 2.500 mètres d'altitude. Ce serait mal le connaître : il a les deux sandales bien ancrées sur terre. "Sans le mécénat, on y arriverait pas. L'association, c'est le mécanisme qui permet d'agir. Ça procède d'une vision plus globale de l’altruisme. La meilleure façon de s'épanouir dans la vie, c'est d'être en harmonie avec la réalité. Nous sommes tous interdépendants les uns des autres", dit-il devant un public sage comme des images, dans le manège Rochambeau de Vendôme juste avant que les coups de marteau de maître Rouillac adjugent les photos.
Quand il n'en fait pas - ce qui est rare si on regarde bien - Matthieu Ricard parcourt l'Europe et une bonne partie du monde. Du 9 au 11 septembre, il sera à Bruxelles pour assister à une conférence mondiale sur le "Power and care", en présence du Dalaï Lama justement. "Je photographie souvent des visages, ils sont en eux-mêmes un enseignement. C'est ma façon de partager la beauté de la nature et la beauté de l'humain".
Un jour, il y a longtemps, Henri Cartier-Bresson avait signé un de ses livres de photos qu'il lui présentait (après avoir dédaigné le premier qu'il lui avait montré). "Des images fugitives et éternelles", avait-il écrit. Une leçon de vie, qu'il partage à longueur de temps...
F.S
Le résultat de la vente est de 13.010 € pour les 24 photos mises aux enchères sous le marteau d'Aymeric et Philippe Rouillac. Le produit de cette vente sera, comme annoncé, intégralement reversé à l'association Karuna Shechen.
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