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Le jour. D'après fred sabourin

L’enfance s’en va, et déjà le temps des secrets succède à la gloire de mon père

23 Septembre 2022 , Rédigé par F.S Publié dans #Lettres à ...

Depuis quelques jours tu as franchis le portail d’un collège, signant ton entrée en 6e. C’est peu dire que tu attendais ce moment avec impatience, mais aussi – quoi de plus normal – avec une certaine appréhension. Symboliquement, je sentais bien depuis quelques temps qu’avec ce passage, s’éloignerait à pas feutrés le temps de l’enfance, avant peut-être les grands fracas de l’adolescence. Ces pas feutrés trainent quand même un peu les gros sabots de la fin d’un monde, celui de la fraîche insouciance, celui de l’enfance qui s’en va.

- Tu marcheras sur l'eau -

- Tu marcheras sur l'eau -

Je ne pourrais dire à quel moment précis je m’en suis réellement rendu compte. Il y a ces silences qui s’installent parfois entre nous, subrepticement, sans y songer, quand nous sommes en voiture par exemple, ou en promenades, ou pendant le déjeuner. Je te sens songeuse – est-ce cela ? - je me demande bien à quoi tu penses. Néanmoins quelque chose me retient, parfois, de te le demander comme si j’avais peur de percer certains mystères, dois-je d’ailleurs les nommer ainsi ? Je respecte tes silences, comme j’apprécie que tu respectes parfois les miens.

Tu n’as pourtant que onze ans (« que cela passe vite onze ans », disait Aragon dans l’un des poèmes du Roman inachevé), et je suis ton père : s’il est encore un peu tôt – c’est ma conviction, sans doute suis-je un peu fané – pour le « temps des secrets », je sens bien que ce n’est déjà plus vraiment « la gloire de mon père ». Ta façon de soutenir parfois l’insoutenable en me regardant bien droit dans les yeux, l’envie d’avoir toujours raison en affirmant ton petit caractère, l’esprit de contradiction - comme t’en ferais-je grief, moi qui l’aie depuis des décennies érigé en style de vie ? - bref, tu changes.   

Demeurent cependant les derniers feux de l’enfance, enveloppés dans le papier cadeau inattendu des belles surprises, et c’est heureux. Récemment dans la période estivale, tu m’as redemandé de te lire des histoires, le soir, avant l’extinction des feux. J’avoue mon étonnement la première fois, je croyais cette routine remisée pour de bon dans le registre des joyeux souvenirs d’enfance. « Parce que tu les lis bien, et que tu y mets le ton », as-tu dis comme pour justifier ta demande, et, je te l’avoue, j’en fus comblé. La théâtralisation de ces lectures du soir a toujours été mon moment favori, et nous avons lues et relues certaines jusqu’à l’usure : Le doudou du camion poubelle ; Et pourquoi ? ; La grande peur de Mariette et Soupir ; La tempête ; Le loup tombé du livre ; Ernest et Célestine ; Le mystère de la lune

Comme quand tu étais petite, je me suis donc assis à côté de toi sur le lit, appuyé à l’oreiller, à la lueur de la lampe de chevet et du globe terrestre lumineux offert pour tes cinq ans, chaussant désormais mes lunettes, sans lesquelles… point d’histoire, et c’est parti ! Nous sommes désormais un peu serrés sur le petit lit de  90 cm... « Ne le dis pas aux copines que tu me lis des histoires, elles se moqueraient de moi ». Je ne pense pourtant pas que cette « régression » passagère soit de nature à avoir honte, bien au contraire. Comme quand tu étais petite, tu as insisté pour que, la première histoire terminée, j’en lise une seconde. De très bonne grâce, je me suis exécuté, goûtant ce miel des derniers feux de l’enfance, de cette relation si particulière entre un père et sa fille, que je garde avec prudence comme dans un vase d’argile. Un trésor inestimable.

C’est à tout cela que je repensais ce matin en me levant, le jour de tes onze ans. Bon anniversaire, ma fille.

F.S. 23/09/2022

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