Quatre saisons, douze photos (n°7)
Plus de soixante jours sans venir à cet endroit photogénique, (février ) pour un peu on ne reconnaîtrait rien de ce qui fut cet hiver. Une explosion de soleil, de feuilles vert pomme, végétation juvénile définitivement ancrée dans le printemps. Qui a dit que cette saison ne vallait rien ? Il flotte un petit quelque chose dans l'air, comme une invitation soudaine à manger dehors, boire dehors, et puisqu'il y a visiblement affinités, plus dehors.
Il n'y aura donc pas douze photos mais un peu moins, mais qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
Printemps
A peine cinq mois séparent ces deux photos (là). L’hiver en somme. Aux premiers saupoudrages de neige, cette légère couverture argentée, succède l’insolent vert des prés qui renaissent. Entre les deux, la rigueur d’une morte saison, que pourtant l’autochtone semble avoir traversé avec le même élan placide. Bien vivante finalement. La douceur de l’air est sensible, comme l’était l’humide fraîcheur annonciatrice des frimas hivernaux. Cette fois-ci, les fenêtres sont ouvertes. Le soleil, pourtant timide, rentre à plein poumons. Par delà les nuages, les cimes sont encore prises dans les glaces, mais plus pour longtemps. De loin en loin, on entend craquer les avalanches et par plaques dégringolent la moraine. Mieux vaut ne pas s’éterniser.
Par delà les nuages aussi, apparaît le village, en bas, si bas qu’il semble lové dans un mouchoir de poche. Tout semble minuscule vu d’ici, et ce n’est pas cette vache qui ne ri plus qui va nous contredire.
L’abondance du gave est toujours présente, mais il appelle désormais à y plonger, dès que sa température le permettra. Encore un peu de temps…
Nous étions parti avec le souvenir de ce sein montagnard bombé de neige et nous le retrouvons intact, frais, arrogant de verdure et de soleil tout entier. Et c’est désormais l’été qui pointe son désir vers nous, attirant irrémédiablement à lui les intrépides aux marches ardentes.
L'équarissage pour tous... (Boris Vian)
Il a plu
(suite de Crise d'ado )
C’était un dimanche, les parents étaient encore ensemble. Papa avait bondi de la table en disant : « il ne pleut plus ! On va se promener ! ». J’ai cru qu’il déraillait, ça faisait deux jours qu’on ne pouvait pas sortir tellement il pleuvait. Une pluie droite, sans vent, qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. On en avait assez de rester enfermés dans la maison, et j’avais passé en revue tous les jeux possibles en cas de pluie. L’accalmie était donc la bienvenue.
Les bottes étaient rangées sur une étagère à chaussures dans le garage, elles avaient encore des traces de boue de le dernière sortie. C’était après la neige, lorsqu’elle avait fondue et laissé derrière elle une gadoue dans le jardin. J’avais inspecté ma cabane, et maman m’avait dit de mettre mes bottes. Je les aime bien mes bottes : elles sont kakis, comme celle de papa quand il va à la pêche. D’ailleurs j’aime bien aller avec lui à la pêche, il faut s’approcher du bord de l’eau avec des ruses de sioux, sur la pointe des pieds sans faire de bruit, parce que sinon, il dit que « ça fait fuir le poisson ». Moi je crois que le poisson il ne peut pas tout entendre, en tout cas il y a en a certains qui doivent être sourds, parce que papa, il est drôlement fort à la pêche à la ligne ! Moi pendant ce temps-là, je pêche un peu avec lui, puis je vais plus loin dans les buissons tailler des bouts de bois, en faire des cannes, des mitraillettes ou des pistolets, ça dépend des morceaux que je trouve. Avec mon canif, je taille la pointe et j’imagine que je suis un chasseur de l’Amazonie et vlan ! j’attrape du poisson avec ma lance pointue. Papa me dit que la pêche exige beaucoup d’attention et de concentration, et que si je continue à faire l’indien dans la pampa, je vais rater les ablettes…
Nous avons donc mis les bottes dans le coffre de la voiture, et nous sommes partis. Il a fallu convaincre ma sœur de prendre aussi ses bottes : elle voulait y aller en Converses, évidemment, elle ne porte que ça. Papa a essayé de lui expliquer que les Converses, ça n’était pas pour la pluie et la boue, ce sont des chaussures en toiles et c’est juste bon pour traîner en ville le samedi après-midi quand il ne pleut pas. Là, elle a eu l’air étonnée, elle a dit : « quoi ? On va aller dans la boue ! Mais je vais me salir ! ». Oui parce que ma sœur en ce moment, elle met des trucs blancs et il ne faut quasiment pas bouger pour ne pas les salir. C’est nul. Moi je dis qu’un bon vieux jean les jambes remontées, comme pour aller à la pêche, c’est aussi bien. Elle a râlé un peu, puis a mis un jean en grommelant, n’a pas oublié les écouteurs de son i-pod, malgré les remontrances de maman, et on a fini par partir.
Nous avons roulé vers le fleuve, avant qu’il n’entre en ville, dans cette campagne verte que les parents aimaient bien. Souvent, ils disaient qu’ils aimeraient acheter telle ou telle maison, maman se demandait si la zone n’était pas inondable, si près de l’eau, papa disait qu’avec le barrage les crues étaient presque domptées. Moi je me souvenais qu’un hiver, il avait débordé, et on avait vu des reportages photos dans le journal, des gens qui habitaient les villages proches du fleuve et ils étaient secourus par des pompiers dans des barques. On en voyait d’autres sur le toit de leur maison, qui ne voulaient pas partir. Le barrage ne fonctionnait sans doute pas aussi bien que papa voulait bien le dire.
Nous nous sommes arrêtés au bord d’un chemin, et nous avons marchés, entre les vignes, les champs de blés qui étaient verts, les cerisiers en fleurs. On apercevait les cabanes de pêcheurs dont certaines étaient faites de vieilles caravanes auxquelles les gens avaient enlevé les roues et fixé le châssis dans du béton. Elles doivent prendre l’eau l’hiver, malgré le barrage dont j’ai déjà parlé. Au loin, on entend le coucou qui « coucoute », content sans doute d’avoir investi un nid qui n’est pas à lui. Quelques bruits de tondeuses, et des bêlements de moutons. Pas un souffle d’air ne vient perturber le silence de cette atmosphère printanières après la pluie. Il faisait doux, nous n’avions ni trop chaud ni trop froid.
Sur le bord du chemin, les herbes ployaient sous les gouttes d’eau, lourdes, faisant comme des loupes sur les nervures végétales. J’aurais aimé les boire. Si je n’avais pas eu de bottes, elles auraient mouillé mes chaussures, comme elles auraient trempé les Converses de Salomé. Elle aurait sûrement râlé. Au lieu de ça, elle n’entend ni le coucou ni les moutons : son i-pod murmure dans ses oreilles, le regard inquiet de savoir quand les parents vont lui dire de l’enlever pour profiter des bruits de la campagne. Je crois qu’elle aime ses après-midi de campagne, mais elle est trop fière pour l’avouer.
Moi, j’aime bien les gouttelettes d’eau sur les herbes, et sentir mes bottes crisser quand je passe dedans. J’ai l’impression de marcher sur la pluie. Le beau temps n’était plus très loin. Avant que n’éclate l’orage, bien plus tard, et les promenades au bord du fleuve ne seraient plus jamais comme avant.
(à suivre...)
Songe d'une nuit de printemps
Voici le mur. Le mur du son. Le mur du silence. Car le rêve ne fait pas de bruit, du moins de l’extérieur. A l’intérieur, c’est souvent autre chose. Des cris, des dialogues, des appels au secours cauchemardesques, des borborygmes, des onomatopées. Des soupirs aussi, parfois… Des hurlements animaliers. Le souffle du vent. La vie qui s’étire en lâchant les armes entre deux draps. Et au réveil, comme pour prolonger le songe, les paupières encore lourdes du sommeil agité, trouver du papier, et écrire. Oui mais voilà : le rêveur (la rêveuse ?) n’a point trouvé la moindre feuille pour coucher son rêve, lui désormais debout. Peut-être était-ce d’ailleurs un « sans papiers ». Ou « sans domicile ». Ou « sans travail ». Sans amour, peut-être ? Qui sait ? Pauvre d’écritoire, il (elle ?) ne trouva qu’un mur pour étendre le fruit de son imagination fertile. Il était riche. Riche de rêves. « I have a dream »…
A peine vingt mètres plus bas, sur le même mur, le cri de l’enfant qui sort du rêve pour entrer dans la réalité…
N’y touchez pas, elle est brisée !
Lave ton linge sale en famille
Et montre à tout le monde combien le rouge te monte aux joues.
Ah ! les beaux jours où le linge pend aux fenêtres, signe que ça sèche mieux dehors. Pendant ce temps-là, on peut s’en jeter un derrière la cravate. En attendant le déluge. Jamais sûr, mais toujours à craindre…
Toit mon toi
Difficile d’imaginer la scène, mais il me plaît de croire qu’un géant s’encorna le coin du toit dans cette rue de Villeurbanne. Mécontent, le triple mètre redressa son chapeau, et fit l’état des lieux. A l’évidence, il était soit trop grand, soit trop près du toit. Il roula sa bosse jusqu’au service municipaux de la voierie, afin d’obtenir gain de cause. La plaidoirie fonctionna, et le panneau pris place à l’angle mortel pour ceux qui toisent trop haut.
On dira ce qu’on veut du service public, mais celui-ci a été conciliant avec le blessé.
Voilà ce qui peut arriver à force de marcher le nez en l’air…
Aux Champs Elysées, pada dada dam
La phrase du jour, nous la devons à ce jeune pré adolescent entendu hier soir sur la parvis de la gare Part Dieu de Lyon, entre sa petite sœur et un homme qui pourrait être son jeune grand-père venu les chercher à la sortie du train : « alors, tu as vu les Champs Elysées ? » demande le jeune senior. « Oui ! J’y ai vu la concession Peugeot, et aussi Mercedes et Citroën ! » répond fièrement le gone. « Ah ben alors ! » ajoute, songeur, l’adulte qui peut-être bossait dans l’automobile avant de s’en faire virer.
Quelle époque épique, aurait ajoutée une journaliste de radio il y a quelques années, à moins que Jacques Martin, se tournant vers le public du théâtre de l’Empire dans « L’Ecole des Fan » entonne son « les enfants sont formidables ! ». Ceci dit, nous ne pouvons raisonnablement en vouloir à cet enfant d’être passé à côté de l’essentiel, la plus belle avenue du monde étant transformée en gigantesque foire à l’accessoire…
Il faut avoir le triomphe modeste, les Arcs ne font plus rêver, pas plus que les obélisques égyptiens. Le soldat inconnu se retourne dans sa tombe, mais ce n’est ni la première ni la dernière fois.
« N’importe qui et ce fut toi, et je t’ai dit n’importe quoi, il suffisait de te parler pour t’apprivoiser… »
Jonquilles
Toute petite, Doina avait rêvée être marchande de fleurs. Elle imaginait les clients qui entraient et choisissaient les plus belles. Les amoureux, hésitant entre le rouge, ou le blanc des lys pour la pureté. Les veuves, chérissant les pierres tombales de leurs maris défunts, venaient chercher des plantations, quelque chose qui tiendrait au vent, à la pluie, aux rigueurs de l’hiver et à la brûlure des étés chauds. Doina distillait les conseils, dans le grand magasin de fleurs qui aurait pignon sur rue, à Bucarest ou à Craiova. Aujourd’hui encore, lorsque le sommeil finissait par l’emporter, dans la cabane en tôles et en bois plantée sous la ligne RER de la banlieue parisienne, dans l’odeur de feu de bois humide, entre les ronflements du père et les gémissements du petit frère, Doina rêvait encore à cette vie de marchande de fleurs. Sédentaire ce n’était pas possible, sa vie était migrante comme celle de la tribu. Il avait fallu quitter le pays, après le changement de régime, fuir le nouveau avant qu’il ne tourne trop à l’avantage des anciens apparatchiks qui transformaient leur misère en fortune comme par miracle.
Elle habitait là, dans ce taudis miséreux. Au bout d’un chemin boueux et glissant, entre les ronces et les herbes folles. Difficile d’imaginer un village en arrivant par la station du train. Il fallait marcher un bon moment, sortir de la ville, traverser les cités des populations moyennes, passer les parkings de la zone commerciale, puis la friche industrielle, pour enfin arriver là. S’enfoncer dans un sorte de no man’s land. En réalité, ce vague terrain était un « man’s land » : ici vivent des hommes et des femmes. Le système D est la langue officielle, et inutile de préciser qu’il n’y a ni eau ni électricité. La régularité des situations administratives est opaque. Pour autant, ce microcosme respire la vie, à défaut du bonheur.
Doina, avec son sourire malicieux, vivait là, et ajournait ses rêves de fleuriste en composant des bouquets de simples jonquilles. La fleur du printemps sur l’hiver de l’humanité. L’étincelle jaune d’un morceau de soleil dans la boue grise et informe du bidonville. Pouvait-on se douter de l’origine de ce bouquet lorsque, sur le marché aux provisions des riches citadins, Doina et ses sœurs, et les autres membres de la tribu tentaient de vendre trois euros le bouquet aux passants pressés de rejoindre leur maigre possession : un pavillon de banlieue, un appartement aux dimensions minuscules. Sa casemate était petite, mais sa liberté occupait tout le reste de ce qu’elle ne possédait pas. Logé avec du vent, les bagages sont vite faits, et finalement ne reste que l’essentiel. Le don de sa joie et la malice de son regard finissait d’achever tout désir d’humanitaire mal orienté. Cela semblait si simple, et pourtant le commerce de ces fleurs se faisait dans la difficulté. Fuir les contrôles, rapporter de l’argent coûte que coûte. Essuyer les regards complaisants, pire que pas de regards du tout.
Doina rêvait-elle toujours d’une autre vie ? Etait-elle comme les occidentaux pressés d’en finir avec une vie pourtant à peine commencée, déjà ailleurs à peine arrivés ? Ce serait mal connaître les Roms, qui vivent de cette instabilité et ont fait de leur précarité géographique un art de vivre. Même si le désir d’installation se fait plus fort dès l’instant que ces quatre planches et un toit sont sommairement montés. L’hiver est si rude pour les migrants, par chez nous.
Si vous cherchez la fleuriste, c’est très simple : elle se trouve au bout du chemin. Prenez garde à ne pas glisser…
merci à Marc P. pour ces photos... Tu m'as dit "qu'elles leur feraient honneur".
Je le crois.