L’Argent de poche, de François Truffaut : le cinéma est un jeu d’enfant qui dure longtemps
24 Juin 2025 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma
En 1976 sortait L’Argent de poche de François Truffaut, qui rencontra un de ses meilleurs succès public (1,8 million d’entrées). Ce film, qui passe un peu trop sous les radars et c’est bien dommage, a pour héros principaux des enfants, dont il disait : « J’ai tourné L’Argent de poche sans vedette, car la véritable vedette d’un film sur les enfants, c’est l’enfance elle-même. Faire jouer les enfants, c’est une grande épreuve pendant le tournage, c’est une grande joie après ». Tourné pendant les grandes vacances 1975 à Thiers, dans le Puy-de-Dôme, le film sort en mars 1976. La génération de nos parents – pour ceux nés dans les années 70 – va voir les films de Truffaut, comme ils apprécient aussi les films de Claude Sautet, Bertrand Tavernier, Claude Lelouch, Gérard Oury, Henri Verneuil, José Giovanni, Georges Lautner... L’Argent de poche n’échappe pas à cet engouement, d’autant plus qu’il y a des enfants acteurs non professionnels, dont certains pourraient être les leurs.
En 1980 ou 1981, j’avais 7-8 ans, mes parents m’autorisèrent un soir à regarder, sur le téléviseur familial en noir et blanc, ce film de François Truffaut. Ce devait être un mardi soir, je n’avais pas école le lendemain, sans quoi je n’aurais probablement pas pu veiller au-delà de huit heures et demi du soir. J’ai un souvenir très précis de ce film, qui m’a profondément marqué, pour plusieurs raisons. La première est qu’il montrait des enfants, notamment dans leur école, qui ressemblait beaucoup à la mienne : instituteurs, institutrices et surveillant en blouses, directeur en cravate, pupitres en bois avec un plateau qui se relevait grâce à un système de charnières et les bancs attachés à l’ensemble, cartes géographiques au mur, préau, jeux comme j’en avais avec mes camarades de l’école primaire de Marmande, où nous habitions à l’époque. Les vêtements m’avaient marqué aussi car je portais les mêmes : jeans ajustés mais encore pattes d’éléphant, chemises à carreaux, polos très colorés, et les cartables en cuir qui nous bouffaient le dos, dont les lanières – en cuir elles aussi – nous sciaient littéralement les épaules. Rien n’était plus classe que de jeter ce cartable sous un marronnier ou tilleul de la cour en arrivant, pour foncer jouer avec les copains.
La deuxième chose qui m’avait marqué, c’était le personnage de Julien Leclou, joué par Philippe Goldmann. Son personnage est très intriguant : il arrive en cours d’année à l’école, semble sauvage, porte des pantalons sales troués aux genoux, et un polo à manches longues style rugby rayé bleu et blanc, pas très propre non plus. Il a des cheveux longs, raides et noirs de geai. Moi qui était plutôt rouquin et presque frisé, j’enviais ses cheveux, j’aurais voulu les mêmes… Julien semble être livré à lui-même après la classe, entre dans une maison qui tient davantage de la cabane ou de l’atelier que de l’habitation confortable. Il y accède par une échelle, qu’il va chercher sous un appentis. On ne voit jamais ses parents, tout juste entend-on parfois une voix de femme rouspéter après lui ; une autre fois on le voit sortir d’une épicerie avec deux filets remplis de bouteilles de vin. On comprend assez vite que ce garçon n’est pas comme les autres, un « cas social » comme dira le directeur à Mlle Chantal Petit, l’institutrice qui va l’accepter dans sa classe, ou il passe beaucoup de temps à dormir sur ses bras croisés. Souvent mis dehors parce qu’il n’a pas son livre ou n’a pas appris sa leçon, il fait les poches des blousons de ses petits camarades dans le couloir.
La troisième chose qui m’impressionna à l’époque, c’était le rôle des adultes dans le film, lesquels n’ont pourtant pas le rôle principal. Dans un monologue précédent le départ en grandes vacances, M. Richet (Jean-François Stévenin, inconnu à l’époque et qui a débuté comme assistant réalisateur de Truffaut) dit à ses élèves, très attentifs : « la vie est belle, la preuve c’est qu’on y tient beaucoup » et « Si les enfants avaient le droit de vote, on les écouterait davantage ». Un autre personnage m’avait beaucoup impressionné, c’était la femme du coiffeur, Mme Riffe, dont est amoureux en secret le jeune Patrick (Georges Desmouceaux). Lorsqu’il ose lui offrir un bouquet de roses rouges, Mme Riffe, très touchée, lui dit « tu remercieras bien ton papa hein ?! », croyant que c’était pour la remercier d’avoir gardé Patrick à dîner avec son propre fils.
Enfin, il y a cette scène incroyable avec le « petit Grégory » (c’est ainsi que Truffaut l’appelle dans le film, nous ne sommes pas encore dans les Vosges en octobre 1984…), qui, après avoir défenestré son chat du huitième étage d'un HLM, tombe lui aussi par la fenêtre en passant par-dessus le garde-corps, et s’en sort miraculeusement indemne, sa chute amortie par des buissons en bas. Il dira, hilare, face aux adultes terrorisés et sa mère qui s’évanouit sur le champ : « Gregory, il a fait boum ! ».
Je n’avais revu qu’une fois L’Argent de poche, il y a environ vingt ou vingt-cinq ans, je ne me souviens plus très bien. J’avais pourtant des souvenirs très précis du lieu de tournage, la petite ville de Thiers au milieu des années 70, ses ruelles tortueuses et pentues, ses petits commerces de centre-ville, ses automobiles garées partout et ses rues désertes le dimanche. « Les enfants s’ennuient le dimanche, le dimanche les enfants s’ennuient », chante Charles Trenet dans le film de Truffaut, qui signa avec L’Argent de poche un manifeste pour l’enfance, cet âge de la vie où les enfants sont des comédiens extraordinaires. Il disait d’eux que « ce qu’il y a de formidable à faire jouer les enfants dans un film, c’est qu’on a l’impression qu’ils font les choses pour la première fois ».
Sans doute faut-il voir ou revoir L’Argent de poche, pour se sortir un peu de la morosité ambiante…
F.S. 24 juin 2025.
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