la dent de lait
19 Mars 2009 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #littérature
J’ai perdu une dent ! C’est arrivé ce soir, en mangeant un morceau de pain. Je rentrais de l’école, et je m’apprêtais à dévorer un morceau de pain avec du chocolat, que maman m’avait laissé sur la table de la cuisine. Ma dent bougeait depuis plusieurs jours, et aujourd’hui je la poussais avec ma langue pour essayer d’être le roi de la dent perdue à l’école, devant les copains. Mais non, elle n’était pas tombée.
Et c’est arrivé à la maison, comme ça, à la deuxième bouchée. D’un coup, ça m’a fait bizarre. J’ai senti la mie du pain sur ma gencive, et le chocolat a donné un goût de sucre mélangé à un peu de sang. C’était un peu amer. J’ai tout recraché de peur d’avaler mon trophée, comme la première fois où c’était arrivé pendant la nuit. Je m’étais réveillé le matin, hop ! plus de dent ! J’étais déçu, je l’avais avalé en dormant. Maman avait dû me rassurer, je voyais déjà ma dent transpercer mon estomac, et on aurait dû appeler le docteur pour m’emmener à l’hôpital en urgence. Mais moi je ne voulais pas y aller aux urgences, des journalistes à la télé racontaient qu’on attendait des heures et même si on avait le bras arraché, on ne passait pas en priorité à cause du monde qu’il y avait. Pas comme à la cantine, quand nous allons voir Connaissance du monde et que le pion a reçu des ordres de la maîtresse pour que notre classe passe devant tout le monde. D’ailleurs ça fait des jaloux, des types et des filles qui crient que c’est injuste et tout. Et ils nous regardent de travers. Moi je suis pas d’accord, d’abord les injustices, je suis contre, et puis les autres ils y vont aussi au cinéma parfois, et alors ce sont eux qui nous passent devant. Et nous on leur crie dessus que c’est injuste.
Mais cette fois, j’ai attrapé ma dent. J’étais content ! Je l’ai nettoyée dans l’évier, en bouchant avec le caoutchouc qui tient avec une petite chaîne. Mais chez nous, elle est cassée, pas grave, le bouchon marche quand même.
J’ai mis la dent dans une petite boîte transparente que j’avais récupéré exprès, et j’ai attendu que maman rentre. C’est drôle, mais je ne savais plus quoi faire, depuis que ma dent était tombée. Je suis allé me voir dans la salle de bain, dans le grand miroir : j’ai écarté les lèvres et j’ai regardé l’effet que ça faisait. Horrible, on aurait dit un vrai pirate. Dessous la dent qui n’était plus là, je voyais du blanc de la future dent qui commençait à pousser. Je me demandais combien de temps elle allait prendre pour sortir complètement. Et si elle allait prendre la même place que l’ancienne. Dans ma classe, j’ai une copine qui s’appelle Candice, elle a une dent qui n’a pas repoussée exactement comme l’autre. Elle est toute de travers et des garçons méchants se moquaient d’elle en l’appelant « bouche de traviole ». Candice, elle n’était pas contente, elle n’osait plus trop sourire. C’est dommage, parce que moi, je la trouve jolie quand elle sourit. Elle a des nattes blondes de chaque côté de sa figure, et des taches de rousseurs mais pas trop. Et puis elle a de grands yeux bleus, « les yeux des amoureux » m’a dit maman un jour. J’ai rougis, parce que moi, je l’aime bien Candice. Je ne le dis pas trop, mais je crois qu’elle s’en est rendu compte, puisque j’étais le seul à ne pas me moquer de sa dent de travers. Même si, moi aussi, j’avais bien remarqué que sa dent avait poussé tout de guingois. Candice, elle, elle disait qu’elle aurait un appareil pour redresser ses dents, mais que le dentiste voulait attendre qu’elle en perde d’autres pour monter l’appareil. Moi, je ne disais rien, mais le coup de l’appareil, je ne trouvais pas ça terrible. Il y a plein de filles et de garçons au collège de ma soeur qui en ont, des grands qui sont en 6è et même plus. On dirait qu’ils ont une caisse à outils dans la bouche, ou une chaîne de vélo sans graisse. Ma sœur Salomée, elle est en 4è, elle n’a pas d’appareil, mais elle voudrait un « piercing ». Papa a dit « certainement pas, moi vivant tu n’auras pas de piercing ». J’ai vu son regard qui foudroyait papa. Ca été la crise encore. Avec ma sœur cette année c’est souvent la crise. Je ne sais pas ce qu’elle a, elle fatigue tout le monde, elle change sans arrêt de fringues, ses cheveux on ne les reconnaît jamais, elle crie tout le temps, le monde est contre elle, et personne ne m’aime dans cette baraque, et les portes claquent, et les claques volent. Mais elle a déjà eu une victoire, comme elle dit : elle est sur « Facebook », alors que moi je n’y ai pas encore droit. Quand je rentrerai en 6è, peut-être.
J’étais assis sur mon lit, et je me demandais si maman et papa me feraient le coup de la souris. C’est vrai, j’étais grand maintenant, et le coup de la souris, je connaissais. On met la dent sous son oreiller le soir, et le matin, hop ! Une pièce de deux euros à la place de la dent ! C’est la souris ! Je me demandais quand même ce qu’elle pouvait bien faire de toutes ces dents de lait, les souris, surtout qu’elles préfèrent le fromage normalement. Et puis un autre truc aussi : comment faisaient-elles pour transporter toutes ces pièces de deux euros ? Où les achetaient-elles ? A la boulangerie ? A un moment, je me disait qu’elles avaient signé un pacte avec le dentiste : il récupérait les dents usagées des enfants, pour faire des colliers ou des appareils dentaires. Ou alors des sculptures en dent de lait. La Tour Effeil en dents de lait : il en fallait sûrement beaucoup !
Je m’étais couché sur mon lit, comme ça, tout habillé, avec ma dent dans la boîte sur mon pull-over. Je n’ai pas entendu maman rentrer. La souris non plus. Je crois bien que je m’étais endormi.
(à suivre... là )
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