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Le jour. D'après fred sabourin

Prof de lettres, prof de l’être

21 Avril 2021 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature, #édito

Certains profs sont davantage que des profs. Les anciens du collège et lycée Saint-Paul d'Angoulême qui ont la chance de s’en souvenir ont connu de véritables éducateurs, des pères et des mères d'amis proches, des confidents parfois, des personnes respectées parce que respectables que nous écoutions avec passion, qui nous ont transmis les choses essentielles de la vie sur lesquelles nous pouvons encore compter aujourd'hui. Daniel Chaduteau était de ceux-là.

Il y a ceux qui l'ont eu comme prof de français ou de latin (ou les deux !), avec des souvenirs contrastés... Il était dur, exigeant, pas toujours tendre avec ses élèves malgré un humour piquant et caustique qui pouvait parfois se révéler un peu maladroit et pas toujours bien compris dans les classes. Il était craint, diront certains(nes) mais n'est-ce pas ce que l'on doit un peu attendre aussi d'un enseignant ? Sa culture classique était pantagruélique. Passionné de Grèce hellénistique et d’histoire romaine, d’Italie et de versions latines, elle semblait ne jamais avoir été totalement rassasiée. D’où tenait-il cette passion dévorante, lui, fils d’un modeste boucher d’une rue commerçante d’Angoulême, qui avait fait ses premiers pas à l’école publique avant de franchir au collège les grilles de la fameuse « école Saint-Paul » des pères diocésains, au bon sens de paysans charentais instruits  ? Probablement d’une rencontre avec un enseignant qui aura, pour lui aussi, marqué sa vie. Une sorte de Cercle des poètes disparus avant l’heure…

Il y a ceux – j’en étais - qui l'ont surtout côtoyé au fameux Ciné-club du collège et lycée, « entre midi et deux » comme on disait, au milieu des années 80, dans une petite salle sombre donnant rue de Beaulieu dont les fenêtres étaient calfeutrées de rideaux occultant, pour faire « salle de cinéma ». Ce Ciné-club a malheureusement été tué par les changements d’horaires et la décision de reprendre les cours à 13h30 au lieu de 14h. Pendant des années, il aura eu le temps de nous passer les grands films de l'histoire du cinéma, dont certains n’étaient pas toujours adaptés à nos envies et goûts de l’époque – je songe à West side story, deux heures trente de comédie musicale envoyées à l’âge de 12 ans il fallait se les farcir ! Il y eut aussi Barry Lyndon, Le Guépard, Mort sur le Nil, Elephant man, Cinéma Paradiso, les 400 coups, la Dolce Vita, Rome ville ouverte, l'As des as, Il était une fois dans l'ouest, mais aussi Les Dents de la mer, la trilogie de La Guerre des étoiles, et tant d'autres. Probablement aussi de Nanni Moretti qu’il aimait beaucoup et que j’ai dû oublier. Cette exigence-là aussi n’a pas toujours été facile à faire entendre aux collégiens mal dégrossis que nous étions alors. Personnellement, je lui sais gré de nous avoir quelques fois demandé d’insister et de ne pas quitter les films avant la fin ; du cinéma parfois âpre, dur, mais qui ouvrait un champ culturel immense, un imaginaire débordant que seul le 7e art développe, pour les scénarios et le goût du jeu des comédiens. Cet apprentissage-là n’était pas seulement pour nous faire passer le temps en attendant de retourner en cours, c’était aussi du temps vécu.

En 2017 au Festival du film francophone d’Angoulême, nous nous sommes retrouvés ensemble avec une autre ancienne prof de lettres de Saint-Paul et critique de cinéma elle aussi, à la projection, en compétition officielle, de Petit paysan d’Hubert Charuel. En sortant, il m’a dit, impressionné par ce film : « tu vois, je crois qu’on vient de voir le futur Valois de diamant du festival », récompense que le film a ensuite obtenu ; il ne s’était pas trompé ! On avait discuté du rôle tenu par Swann Arlaud autour d’une bière. Nous étions devenus égaux, même si je me sentais encore un peu l'élève.

Il y a ceux et celles qui l'ont connu comme père - Frédéric, Sophie et Stéphanie - qui se coltinaient des versions latines pendant les vacances... Ceux qui l’ont connu organisant  les boums de ses enfants dans le garage de la rue des Blanchettes les samedis après-midis ; les retours de week-ends scouts aux odeurs âcres de sueur adolescente et de feu de bois dans la Renault 21…

Ces profs-là, dont il était, nous ont tout transmis ; l'amour des lettres et de l'être, du savoir et de l'auxiliaire avoir, des alexandrins et la « césure à l'hémistiche », du théâtre et des films, le goût de l'effort, la rigueur dans le travail et une certaine forme de rhétorique. Le jour où ils meurent, on entend au loin dans la forêt le bruit des chênes qu'on abat. J’ai lu ça un jour en exergue du livre de Malraux : « Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule / Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule ! ». Il a désormais probablement rejoint son Cinema Paradiso... RIP Daniel Chaduteau.

F.S. 21 avril 2021

PS : je demande à mes professeurs de français et d'histoire, qui se reconnaîtront peut-être (Jean-Louis P., Hubert B., Sylvie S., Michèle B., Jacques B.), d’accepter mes humbles excuses pour les immanquables fautes de grammaire, conjugaison, accords de participe passé, de style « trop oral » ou d’une concordance des temps mal maîtrisée, qui émailleront probablement cette « rédaction ». Même avec toute la « rigueur » de l'enseignement, tout n’est pas passé…

- Charente Libre du 20 avril 2021, faisant état des réactions sur les réseaux sociaux à l'annonce de sa disparition -

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