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Le jour. D'après fred sabourin

Autour du monde, en solitaire, sans escale, sans assistance

22 Novembre 2012 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #cadrage débordement

 

 

Ancre




Pendant que Fillé et Copon à tribord rejouent un remake de Pour une poignée de dollars et Règlements de compte à Ok Corral. Pendant que le président normal d’un France qui ne l’est pas moins effectue des virements de bord lof pour lof à babord.  Pendant que des activistes anarcho-syndicalistes tentent de faire barrage de leurs corps pour empêcher les avions de décoller du futur aéroport du premier ministre.
 

 

Pendant ce temps-là, madame, on en oublierait presque l’essentiel, le merveilleux, le fabuleux, l’inhumain pourtant conduit par des humains. À l’heure où nous écrivons ces lignes, quinze marins sont seuls à bord d’un bateau, face à la mer, pour encore presque trois mois. « Un truc de barjot, » comme dit l’un d’entre eux, Jean Le Cam, que les grains et empannages depuis des années ont buriné comment un vieux loup de mer philosophe. Un truc de fou mais nom de Dieu un truc merveilleux ! Le Vendée Globe – c’est son nom – outre qu’il transforme des voiliers de dix huit mètres de long en prospectus publicitaires autour du monde, est quand même une formidable aventure humaine dont beaucoup, je dis bien beaucoup de têtes pensantes qui nous gouvernent, ou tentent de le faire, devraient s’inspirer. Et puisqu’il est facile de donner des leçons de morale sans se les appliquer à soi-même, je me mets dedans tant qu’on y est.
 

 

Marins solitaires, sans escale, sans assistance (ou presque…), marins autour du monde : je vous admire, du plus profond de mes tripes. Chaque matin – ou c’est tout comme – je vais écouter sur le site Internet la vacation de la veille. Vos voix pas encore tout à fait du bout du monde mais déjà plus de chez nous*, sont merveilleuses à entendre. Pas pour la prouesse technique que représente désormais le simple fait de pouvoir dialoguer avec un mec tout seul sur son bateau au milieu de l’Océan (la qualité technique des dites vacations est d’ailleurs souvent assez aléatoire). Non, ce qui m’impressionne, c’est votre chaleur, votre enthousiasme, votre passion, même quand vous n’avez dormi que quelques dizaines de minutes ou quelques heures d’affilées. Vous semblez inattaquables dans la passion et l’aventure qui vous animent. Chaque difficulté est expliquée avec humour, souvent, et bon sens, à chaque fois. On vous croirait fatalistes, mais non, sans doute la dure, très dure réalité de la course qui s’apparente plutôt à du réalisme, à une folie de risques calculés mais sans cesse remis en jeu par la mer, qui « dans son grand duel est la plus forte. » J’ose le dire, même quand vous en chiez, on a l’impression que vous prenez quand même votre pied. Et bordel de moine que votre enthousiasme est communicatif ! Le temps d’une vacation, qui dure deux ou trois minutes – et il peut s’en passer des choses pendant ce temps-là en mer ! – vous expliquez ce qui se passe, ce qui va peut-être se passer, sans en dire trop de votre tactique car les autres concurrents écoutent. Pour tout cela et bien plus encore : merci. « Les marins font des rêves que les ports assassinent, » écrivait Bernard Giraudeau. Je rêve avec vous, moi qui ne suis pas marin, tout juste montagnard, mais la force des éléments et notre petitesse face à elle nous relient, j’ai la faiblesse de le croire.
 

 

 

Il y a quatre ans, j’étais à l’antenne tous les matins entre 6h30 et 9h dans une radio sise à Lyon qui ensuite m’a vidée. Je n’oublierai cependant jamais que c’est derrière ce micro que j’ai vécu mon plus beau souvenir radiophonique. Le 31 décembre 2008, à 7h du matin, j’avais rendez-vous – et les auditeurs aussi – avec Michel Desjoyaux, qui roulait à cette époque-là à l’approche du Cap Horn, entre les glaçons et dans des creux infernaux. Il était en tête de la course qu’il allait remporter quelques semaines plus tard. L’attachée de presse, la veille, m’avait prévenue : « Il vous appellera, à 7h, je vous le garanti. Seule la mer et le boulot peuvent en décider autrement. » Franchement je me demandais ce qui allait ce passer… et pour tout dire je restais prudent, refusant de m’emballer trop tôt. A 7h, on attaque le flash avec mon copain Michel le journaliste ce matin-là. A 7h02, je vois Benoît le technicien-réalisateur qui me fait des grands gestes derrière sa vitre : c’était Desjoyaux qui appelait. Nous avons interrompu le flash, et j’ai dit : « Nous sommes en direct avec Michel Desjoyaux sur Foncia, qui se trouve actuellement à l’approche du Cap Horn. Bonjour Michel, comment ça va ? » Deux secondes de blanc (le temps pour le satellite de faire son job), et, du bout du monde, en pleine mer, balloté par l’enfer, nous avons entendu la voix du marin solitaire, sans escale et sans assistance, nous dire : « Ben ça va bien, et vous ? »
J’en ai encore des frissons…

Et aujourd’hui, pourquoi, mais bon Dieu pourquoi ne parle-t-on pas (ou si peu) de ces hommes d’une valeur inestimable, ces « barjots » seuls sur leurs bateaux face à la mer, et dont le vainqueur empochera à peine un demi-mois de salaire d’un footballeur de Ligue 1 ?
 

 

Marins du bout du monde, il vous tarde sans doute un peu de retrouver le port, la famille, les amis, des draps, des slips et des chaussettes propres et secs… Pas moi : chaque jour, vous êtes ma part de rêve qui mourra assassinée en arrivant à quai, aux Sables, l’année prochaine… 

 

 

* à l'heure où ce billet est posté, les premiers viennent de passer l'équateur...

 

 

 

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B
<br /> Bien vu beau Fred<br /> <br /> <br /> Bonne année<br />
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S
<br /> Merci Fred pour ce beau message.. qui nous rappelle à de belles choses : courage et passion, alors que l'actualités est franchement sordide. <br />
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L
<br /> familier ce bouton!!!!<br /> <br /> <br /> tres belle prose surement a inclure dans le besr of!<br />
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