Un héros très discret (In memoriam Olivier P.)
- 1er à dr. -
Dans le dictionnaire, à la définition du mot « scout », il y a un exemple : Olivier, alias « Colibri ». Ce frêle bonhomme, dont un ancien professeur disait avec humour qu’il avait « une cage thoracique d’agrégé de philo, » incarnait sans doute tout ce que le scoutisme peut produire de valeurs humaines en une seule personne : le sens inné du service, la fidélité en amitié, une loyauté sans faille, la gentillesse incarnée. Le tout enveloppé dans un drap de modestie et de discrétion, qui n’avait d’égal que la foule – au moins 500 personnes – venue lui rendre un dernier hommage, dans l’église Saint-Jacques de l’Houmeau à Angoulême, le 9 novembre. Ce garçon, dont il arrivait, tant il était justement discret, que les professeurs du collège Saint-Paul ne s’aperçoivent de son absence qu’en fin de cours (« tiens mais au fait, Olivier n’était pas là ? »), aura rassemblé autour de lui tous ceux qui, au moins un jour, l’ont rencontré et ont été touché par ses qualités intrinsèques, sans jamais en faire étalage.
Pour nous tout à commencé un samedi de mai 1984, dans le local des louveteaux de la 1ère Magnac/Touvre. Une sorte de grande cabane en planches, maisonnée en bois peinte en blanc, style Louisiane. Là, quelques jeunes pré-adolescents, pré-pubères et mal dégrossis pour la plupart, faisaient les 400 coups de pitreries en pitreries, sous l’œil ferme mais bienveillant d’Etienne, le chef de meute, qui nous foutait ensuite une trouille pas possible le soir à la veillée avec son histoire de « lumière verte, » un truc à faire des cauchemars et qui nous scotchait dans le sac de couchage. Les louveteaux s’appelaient alors Vincent T., Frédéric C., Arnaud de la T., Amaury P-L., Renaud V., Frédéric S., et Olivier lui même. Il y en avait sans doute deux ou trois autres que ma mémoire oublie. Un soir de décembre de la même année, nous avons prononcé pour la première fois les mots ancestraux de la promesse, en chemises jaunes impeccables, foulard rouge et blanc, dans la petite église de Magnac. Nos parents étaient secrètement fiers, je crois. Nous ne l’étions pas moins. Olivier, d’humeur constante, était du lot. Et la vie a suivi son cours.
Au collège Saint-Paul. Et la discrétion d’Olivier. Les week-end scouts et les grands camps, dans les Hautes-Pyrénées près d’Aucun notamment, où il arborait un sac à dos armatures alu bien trop grand pour lui : sa tête ne dépassait pas par en haut et seules le bas de ses guibolles chaussées de Pataugas était visible, donnant l’impression au sac à dos de marcher tout seul. « Le sac à pattes » était né. Quelques temps plus tard, une nuit de pleine lune, il reçut le totem « Colibri », je ne sais plus trop pourquoi on lui a donné ce nom-là, mais je souviens bien avoir participé à cette totémisation, comme on disait à l’époque, un truc que les anti-bizutages ont ensuite sévèrement interdit, sous couvert de principes éducatifs post-soixantuitards, dont on sait désormais où ils conduisent. Bref. Olivier s’est appelé, cette nuit-là, Colibri, comme d’autres Loir, ou Lièvre, ou Piaf. Plus que du nom d’oiseau qui lui était attribué, il était fier, je crois, de faire désormais partie du clan.
Et ainsi de suite. Il y eut les soirées de l’adolescence pleine fleur, où nous guinchions en regardant les filles (« qui marchent sur la plage leurs poitrines gonflées par le désir de vivre… »), dans quelques maisons bourgeoises de l’Angoumois. Nous étions engoncés dans nos blazers-cravates-pantalons beiges, qu’il était bien le seul à porter à peu près correctement, déjà armé de ce sens du chic british de gentleman dandy qui ne le quittera plus. Une veste de chasse huilée d’une grande marque anglaise est venue parfaire l’uniforme, dont aucun accessoire ne manquait, surtout pas les fameuses cigarettes Dunhill rouges internationales, que nous lui taxions lorsque nous avions fini nos dernières Philipp Morris, Chesterfield, Rothmans bleues ou pire : Chevignon… Je ne l’ai jamais vu refuser une sèche à quiconque lui en demandait une.
Les études nous ont un peu éloignés. Il marchait « droit, » j’ai pris les chemins de traverse « histoire. » Nous nous sommes recroisés lorsque, jeune clerc dans cette église où il fut baptisé, et où il a été accompagné dans son dernier voyage, comme on dit un peu connement, j’étais en charge de cette paroisse du bord de fleuve. L’Houmeau. Pour un personnage qui semblait tout droit sorti d’un roman de Balzac, le lieu se posait là. Il fut donc, après avoir été un frère scout et camarade de classe puis pote de soirées bc-bg, un de mes paroissiens. Il n’avait pas changé ou si peu. Toujours ce chic british décontracté mais élégant, raffiné sans excès, dont le sens de l’humour n’était pas le moindre des accessoires. Il avait toujours des Dunhill dans la poche, et je me souviens en avoir grillé une avec lui, encore en costume de scène, sous le narthex de l’église, devant les yeux éberlués de bigotes effarouchées.
Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de qui que ce soit, ni se rebeller contre quoi que ce soit. Il a traversé son siècle, d’abord en dégageant une impression de lenteur (il semblait prendre son temps dans beaucoup de domaines, surtout les études…), puis, au regard de ce qui vient de se passer, de façon fulgurante. A 38 ans, tout est fini. Il aura peu profité de sa famille qu’il venait de construire, et l’on n'est plus habitué à voir de si jeune veuve.
Serviteur, fidèle, loyal et aimable. C’est ainsi que Colibri peut être décrit, mais ce ne sont-là que quelques traits bien réducteurs. Ceux qui l’ont connus brancardier (car il fut un excellent brancardier, en dépit d’un physique peu sportif d’ailleurs lui-même s’en amusait souvent), auraient sans doute bien d’autres choses à ajouter.
S’il plait à qui vous savez qu’Il existe, Il dit dans son évangile que les serviteurs auront la meilleure place, une fois le grand rideau franchit. Olivier, ce héros très discret, qui n’a jamais fréquenté les places d’honneur ni les premières places tout court, doit alors être à cette heure-ci bien récompensé, et, sûrement, à la meilleure place. C’est tout le bien qu’on lui souhaite. C’est toute la tristesse qu’il nous laisse, bien malgré lui. Car désormais qu’il n’est plus là, nous sommes sans doute nombreux à constater que des gars de sa trempe, en disparaissant bien trop jeunes, laissent un creux d’une profondeur abyssale dont plus aucune personne – pas même un prof – ne pourra plus dire, à la fin de l’heure : « Tiens mais au fait, il n’était pas là, Olivier ? »
Si, si, il était bien là. Et maintenant qu’il n’y est plus, il te manque.
Adieu camarade. Un scout ne meurt jamais.
Loup.
- De bonnes têtes de vainqueurs - (2e à dr.)