Retour aux sources
4 Septembre 2012 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #montagne
- Ainsi soit-il -
(suite de "Si je mourrais là-bas" )
Vers cinq heures de l'après-midi, j'arrivais près du refuge du Larribet, un brin fatigué par cet aller-retour mais surtout l'inquiétude de ne point y retrouver, comme je l'escomptais, le béret de mon camarade. J'avisais une pierre sur laquelle poser mes fesses, fumant une cigarette au goût amère. La seconde fut plus douce, et je contemplais songeur la petite boîte en métal argenté ornée d'une décoration turque, me disant qu'involontairement, cette boîte à clopes nous liait aussi, un peu. Son père, ancien Amiral sous-marinier, en avait une petite du même genre, dans laquelle il rangeait ses cigarettes cinq par cinq, et dont le claquement sec de la fermeture rappelait les heures fixes auxquelles il « clopait » (comme il disait). J'ai acheté au printemps 2010 cette boîte dans le grand bazar d'Istanbul, ville connue de mon camarade mais dans laquelle nous ne sommes jamais allés ensemble. Cette boîte me rappelle la douceur du soir qui tombe au bord du Bosphore, assis près du pont Galata, m'emplissant les oreilles et le reste du corps du chant des muezzins, humant le parfum des poissons et des oignons grillés. D'un claquement aussi sec que celui de l'Amiral, après les avoir comptées, je refermais ma boîte à cigarettes, me disant que je pourrais tenir, ayant une ration pour plusieurs jours.
J'inspectais la carte, comme si j'avais pu le voir cheminant quelque part au 25.000e, mais la refermais bien vite, m'apercevant que je la connaissais par coeur, et que la seule évocation du Col Noir me glaçait le dos. C'est alors que je décidais d'avertir les gardiens du refuge.
Avant que l'ombre de son béret et le rouge de son sac à dos n'approchât, il se passa plus d'une heure et demie, et c'est vers six heures dix du soir qu'il arriva, enfin. Notre poignée de main ferme et virile, sans mot dire autre que celui manifestant la joie de se revoir, comme après un long temps, traduisait mal l'indicible bonheur simple de ces retrouvailles. Nous avons, debout et lui sans enlever son sac, narré l'étrange coup du sort qui nous avait empêché de dormir, comme prévu, à l'abri Michaud ce soir-là. Les cieux remplis d’astres, parfois recouverts de brume humide montante, nous servirent de toiture, après un bon dîner fait de soupe et de purée-saucisses... Nous avons sombré dans le sommeil des justes enveloppés d’un drap d’étoiles. Le lendemain matin, sans déconner, le Balaïtous nous tendait les bras qu'il nous avait refusés la veille.
- A l'ombre du Balaïtous -
Je n'avais pas envie. Pour une fois, je n'avais pas envie d'y aller, et c'est à reculons quasiment physiquement que je suis parti, emboîtant le pas de mon camarade, lui faisant jurer de ne point prendre trop d'avance pour éviter de revivre la journée de la veille. Après une courte pause près des lacs de Batcrabère où nous rechargions en eau, je regardais vers le Col Noir, avec appréhension. Il dut le sentir, car après un bref instant silencieux il me dit : « Bon, on y va ? Faut y aller-là. » Il m'aurait dit « on fait demi-tour, » je l'aurais suivi sans renâcler.
C’est difficile de grimper là haut avec l’impression de trimbaler la moitié de la roche collée à ses semelles. Finalement, le Col Noir – le vrai – fut avalé sans peine, et le basculement côté Espagne fut accompagné d’un petit zéphire du sud bienvenu, dans cet immense chaos que nous connaissons par cœur, accroché au dessus des lacs d’Arriel, en vue du fameux abri Michaud (Chambre avec vue ), et nous sentions déjà l’odeur de la roche si caractéristique de la grande diagonale à flanc du Balaïtous qui permet aux plus audacieux arrivés jusqu’ici de caresser la cime de ce mythique sommet.
- Dans la nuit se lève une lumière -
Deux carrés de chocolat plus tard, c’est dans celle-ci que nous grimpions, un peu comme « chez nous », sorte de montagne sacrée comme l’est celle que nous apercevons vers l’ouest, « Jean-Pierre », un prénom pour les deux pointes de l’Ossau. Nous y serons le lendemain, mais nous ne la savons pas encore. Cette diagonale, froide le matin (orientée ouest), nous réchauffe rapidement le corps et l’âme, quoiqu’on fasse, malgré le petit rythme imposé par la relative technicité du lieu – sur deux pieds et parfois à quatre pattes – et en une heure depuis l’abri nous parvenons au sommet, où nous ne sommes pas seuls, hélas. Des marcheurs espagnols posent pour la photo souvenir, l’un d’eux – crétin ibérique – monte même sur la structure métallique comme pour s’élever plus haut que les 3144 mètres permis par le Balaïtous. Sans être superstitieux, il est fort probable que cet ambitieux regrette un jour son geste de défiance. En attendant, c’est avec un bon morceau de pâté de canard aux poivrons que mon camarade et moi fêtons cette victoire, la quatrième pour ma part, un peu plus pour lui qui fréquente ces lieux depuis sa tendre enfance. Nous n’avons pas besoin de parler beaucoup pour exprimer notre joie simple à être ici, sous le soleil levé maintenant depuis plusieurs heures, contemplant le plus beau panorama qui puisse être, du Vignemale à l’Ossau, en passant par la Grande Fâche, le Palas, l’Arriel, le Lurien, et, au fond là bas vers l’ouest, le Pic d’Anie à la pyramide si caractéristique. Nous aimons être ici, et, j’ose le dire cette fois, je préfèrerai être foudroyé sur le crâne du Balaïtous que dans cette brèche merdique où je me suis embourbé la veille.
Question de goût.
- On a marché sur la lune -
- Jean-Pierre sort de sa brume -
(c) Fred Sabourin. Août 2012. Larribet - Balaïtous.
Prochains articles : "Aste - Béon, un voyage à pied".
"Lannemezan, deux minutes d'arrêt".
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