Comment ça va ? « C’est dur, vous savez », a-t-elle dit (drôle de guerre)
7 Avril 2020 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #rural road trip, #drôle de guerre
C’était au 21e jour de réclusion (pudiquement nommé « confinement »), dans une petite bourgade de Charente, sur un parking de collège désert et désespérant, à l'ombre d'une salle polyvalente sans âme sous un ciel gris délavé par la pluie du matin. Ni chaud ni froid : tiède, comme l’époque que nous vivons. Une tiédeur à vomir, comme aurait dit Dieu, paraît-il. Un printemps tout d’un coup mou.
L’épicerie solidaire a déployé ses caisses, sorte de petit cirque ambulant d’un jour, d’une heure seulement. Quarante-sept colis alimentaires préparés à l’avance et vendus quelques euros pour les bénéficiaires du coin. Et dans cette partie du nord Charente les coins sont souvent très éloignés les uns des autres.
Comme il est désormais convenu, et sans doute pour une période encore indéterminée, nous demandons de respecter les « mesures de distanciations sociales », et les « gestes barrières ». Avant, on tentait d’être un peu chaleureux, on se parlait de près et on se touchait pas trop quand même) bref : on discutait. Désormais, on se tient à distance des autres, par crainte de tomber malade, voire d’en mourir, pour certains.
Pour signifier à une personne qu'elle peut s’approcher et tendre son sac de courses que nous allons remplir, on s’approche à quelques mètres en les appelant par leur nom. Parfois, c’est plus fort que nous, on glisse à quelqu’un qu’on connait un peu mieux que les autres : « comment ça va ? ». Marie-Christine (le prénom a été changé) a répondu tout doucement, sans forcer la voix : « C’est dur, vous savez… ».
Dans son regard, on a perçu toute la détresse d’un monde en train de s’effondrer. Pas seulement la détresse d’une situation sanitaire difficile à contrôler – et inquiétante à plus d’un titre – mais la détresse de ceux et celles qui savent parfaitement que "le jour d’après" sera encore plus dur que ce que nous vivons actuellement, confinés. La détresse des lendemains qui déchantent, ceux d’une crise économique désormais certaine, violente, écrasante. La détresse de l’effondrement d’un monde d’où ces « personnes en situation de précarité » comme le dit la novlangue du XXe siècle sont déjà exclus, rejetés, confinés dans les fonds de campagnes – les fameux « territoires ». Là où tous les réseaux rament : téléphoniques, Internet, transports collectifs, services de soins, services publics... « C’est dur, vous savez… ». Oui on sait et on imagine sans peine que cela va l’être davantage pour vous ensuite.
Déjà en rade du « système » en vigueur jusqu’alors, qu’en sera-t-il après, quand ils rejoindront, avec de bonnes longueurs d’avance, les millions de gens qui vont se retrouver dans leur situation, qui chercheront eux aussi à grignoter quelques miettes d’un gâteau où déjà leurs propres dents parviennent à peine à dégager de quoi se survivre ? « C’est dur, vous savez… ». On n’a pas fini de l’entendre, cette petite phrase, dans les coins perdus du nord Charente jusqu’aux centres des villes, en métropole jusque dans les confettis de l’Empire. « C’est dur, vous savez… ». Et c’est déjà ce qui nous donne un frisson quand on ne peut pas faire grand-chose, ou si peu, essayer de trouver des « solutions » dont on devine là aussi qu’il y aura beaucoup de monde sur le créneau.
« C’est dur, vous savez… ». Cette vie d’aujourd’hui qui commençait déjà hier, ce sera très probablement la vie de demain, le fameux jour d’après, quand « on sera sorti du confinement » dont Dieu lui-même ignore la date. On entend parler de refonte totale de nos modes de vie, de nos sociétés, de nos modes de déplacements, de fabrication, de relations... Des utopies, en somme. Ça aussi, « c’est dur, vous savez… ».
Drôle de guerre.
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