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Le jour. D'après fred sabourin

(je vous écris du plus lointain de mes rêves...)

21 Octobre 2006 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #étonnement

                        Un matin ordinaire dans un train de banlieue de Bombay

Jeudi 7 septembre, 6h20, Andheri Station :
J’achète mon ticket. L’audace commence à venir : je prends la « deuxième classe ». 8 roupies pour 22 km. Soit environ 14 centimes d’euros. A côté du guichet, les gens dorment à même le sol, vaguement enroulés dans des guenilles. Une famille (père, mère et un enfant). Sur le quai, au niveau du repère « première classe », deux vieux, homme et femme. Sur un très gros sac blanc dont j’ignore le contenu : un jeune homme. Sur une banquette de seconde classe : une femme.
Un autre sentiment étrange et nouveau vient à moi : il est très tôt le matin, je me rends à la gare CST de Bombay prendre un train pour Bangalore, et je n’arriverai pas le soir même. Seulement le lendemain matin, après plus de 24 heures pour parcourir les 1000 km.
C’est parti, le train de banlieue démarre… Je regarde par la fenêtre ce qui se passe dehors. Ce n’est pas difficile : il n’y a pas de vitre… Juste des petits barreaux.
6h30, Santa Cruz : un homme est accroupi près d’une tombe, c’est un petit cimetière (gare de Sweri). La veille je me demandais ce qu’ils faisaient de leurs morts. Ils ne partent pas tous en fumée visiblement. Le long de la voie, des bidonvilles. Des hommes accroupis font leurs besoins devant tout le monde. A côté d’eux, un petit seau d’eau pour la « douche indienne ». D’autres se brossent les dents (en même temps !). Certains vont à pied le long des voies. Nouvelle gare, encore des hommes accroupis le long de la voie. Ils regardent passer le train, ne semblent pas gênés.
6h50, Coton Green : des enfants montent et vont à l’école. Uniformes impeccables, cheveux attachés pour les filles, cravates pour les garçons, même les plus jeunes ! La lumière ce matin est très belle, c’est le premier matin depuis mon arrivée sans les trombes d’eau de la mousson. C’est surréaliste : ces gosses sortent du bidonville juste à côté, et ils portent des chemises mieux lavées et repassées que la mienne.


En face de moi : un jeune couple s’assoit. Je me demande quel âge ils ont. Vingt ans tout au plus, difficile à dire, souvent les Indiens n’ont pas un âge très facile à deviner. Elle porte un sari bon marché mais impeccablement propre et noué avec classe. Lui est vêtu d’un tee-shirt orange à manches longues. Il y a même la marque du pli de repassage ! Ils jouent avec leurs mains, entrelacent leurs doigts, en me regardant écrire sur mon carnet. Ils rient un peu. Est-ce de moi ? De mon stylo vert ? (pas fait exprès cette couleur, mais mon stylo plume a trop souffert de la chaleur et de l’humidité ces derniers jours !) Du carnet ? Parce que je suis chauve ? (il y a très peu de chauve en Inde, pour ainsi dire aucun, ça excite donc la curiosité !). La jeune fille a de très beaux yeux noirs et un visage rond, régulier. Lui a une petite barbiche et un petit bonnet de musulman. Je les trouve beau, j’essaie de les regarder le plus discrètement possible. Ils ont l’air de s’aimer et semblent perdu dans ce wagon bondé qui brinqueballe dans un fracas métallique. Les sentiments qu’ils partagent avec leurs mains tranchent avec le décor. J’ai envie de leur parler, mais aucun son ne vient, et j’ai peur qu’ils ne me comprennent pas, autant que le contraire d’ailleurs. L’anglais ici est difficile, à cause de l’accent, le leur et le mien, et je manque d’habitudes. Ils descendent avant CST. Je pense que ce sont des étudiants, ils portent un grand cahier sous le bras.


Des gamins montent encore, voici des filles en uniformes vichy bleus !! On dirait presque une sortie de messe à Versailles…
Avant de traverser une rivière dont l’odeur de pourri m’assaille depuis 300 mètres : un autre bidonville. Juste à côté du quai (Bandra Station). Une petite fille est accroupie sur une planche qui traverse un tas d’ordures. Elle doit avoir 5 ans tout au plus. Elle regarde les autres enfants qui vont à l’école. Pourquoi n’y va-t-elle pas ? Elle est presque nue. Tout va très vite, le train redémarre déjà. J’ai dans l’œil, aujourd’hui encore, l’image de cette gosse qui commence sa journée à 6h30 du matin sur un tas d’ordure dans un bidonville d’un quartier de Bombay. Je pense aux jeunes de France qui se réveillent à peine, et qui râleront pour aller au collège 5 minutes après. Je n’ai pas envie de leur donner des claques, juste de les emmener ici, pour voir, et sentir… Car le train passe maintenant sur la rivière dont j’ignore le nom. Mais vu la couleur de ses eaux, et l’état de crasse, elle ne doit pas en avoir. Impossible de décrire l’odeur : je n’ai jamais senti ça avant en Europe. Un mélange de cadavre et d’œuf pourris, de merde animale et humaine, d’humidité moisie. Quelque chose de très âcre. Horrible.
Une femme sans jambes traverse le wagon, elle se traîne sur un petit chariot qu’elle fait avancer avec des poids… Je n’en crois pas mes yeux. Je ne vis pas un film, mais dans la réalité.
7h05 : j’arrive à CST Station, largement en avance. Ca grouille de partout. Des odeurs de café et de thé au lait. De pains chauds, de curry, d’épices : les « samosas » sortent des friteuses. Dans l’aire d’attente, des familles dorment. Deux enfants, très jeunes, à même le dallage, sans pantalons ni culottes. Les femmes, que j’imagine aisément être leurs mères, ont de lourds ballots à côté d’elles. Elles attendant elles aussi un train.
Avec quels mots décrire cela ? Ceux que je couche sur le papier de ce carnet que je tiens en main depuis 6 heures du matin me semblent bien faibles. Je n’ai pas le courage de sortir mon appareil photo. La honte et la peur se mêlent en moi. J’ai envie de pleurer et en même temps de me laisser envahir par un sentiment de béatitude. Je crois apercevoir l’humain au plus profond de son humanité. Je touche le fond et le ciel en même temps. J’en étais là quand le train a quitté Bombay. J’allais en voir d’autres, mais je ne le savais pas encore.

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M
Je dois avoir un petit problème de vision ou d'orientation...lune ou soleil... coucher ou lever... Marie.
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F
ni l'un ni l'autre Marie, simplement... un coucher de soleil depuis la terrasse de Rodolphe à Bombay... La veille du départ...
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M
C'est une pleine lune  ou un lever de soleil? !  Comme d'habitude, tu fait de superbes photos. <br /> Celles d'Angoulême sont sur le blog natureinsolite... avec ^le nom de l'auteur bien sûr. Bises. Marie.
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F
merci David pour l'énorme fôte, là dessus je ne progresse pas, hélas. La faute au "mamouth" sans doute et à la méthode "globale" ? Pourtant j'étais dans le "privé catho"... Enfin passons... L'occasion pour te dire que je connaissais ton blog, que je trouve particulièrement sympa. Toujours l'oeil du photographe hein ? Merci de tes visites sur le Jour d'après Fred S... Il y a toujours un après, même en dehors de St Germain des Prés. <br /> (peut mieux faire...). <br /> Et merci aussi à Philippe de ste Geneviève. Ca me va droit au coeur, qui sort de ma plume. Je vais continuer. <br /> besos : FS
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P
quelle plume mazette ! voilà des textes et des photos à faire pâlir plus d'un "journaleux" enfin de la hauteur et de la profondeur : du champ quoi !<br /> on en redemande.... peut-être avec un bouquin !<br /> philippe
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