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Le jour. D'après fred sabourin

Un déjeuner sur l'herbe

2 Février 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #concept

 

 

 

C’est un truc où tout le monde ne va pas. Une sorte d’invitation pour happy few locales, un entre-soi où il est de bon ton d’aller.
Le jour où le préfet invite la presse locale à déjeuner dans sa salle à manger, il vaut mieux en être, même si la chose s’annonce entendue d’avance : tout ce qui sera dit sera off, sauf ce qu’on vous précisera comme tel. Si ce n’était à la préfecture, on dirait à la bonne franquette. Faut pas imaginer non plus le préfet derrière ses fourneaux et criant depuis la cuisine : « à table ! » à la fin de l’apéro.
C’est un truc où les hobereaux du coin, je veux parler de la PQR, la Presse quotidienne régionale (en gros la Pravda locale) arrivent les derniers alors que le champagne est déjà tiède dans les flûtes. Histoire qu’on les remarque bien, et qu’on voit qu’ils arrivent en nombre, en l’occurrence trois. C’est un truc où on croise des copains et copines journalistes en qui on a toute confiance, et d’autres en qui on se méfie, craignant que la franchise ne soit pas inscrite au fronton de leur déontologie. C’est un truc où on croise aussi un sous-préfet qu’on appelle Madame, charmante jeune femme fraîchement arrivée à son poste après avoir connu les dorures d’un ministère parisien.
Je dois l’avouer : je n’y ai pas mes habitudes, mais pour rien au monde, je ne raterai ces machins-là. Je m’y amuse beaucoup, et si j’avais la verve balzacienne, d’un Chardonne ou d’un Flaubert, j’en écrirais des tonnes. Je m’y amuse beaucoup d’abord parce qu’en arrivant, après qu’on vous ait débarrassé de votre manteau au vestiaire, il y a un petit carton à prendre sur une table. Sur ce carton est figuré le dessin de la salle à manger du préfet, avec une table en son centre. Sur la table, un trait rouge : c’est là que vous allez manger.

 

préfecture

 


A la vue de ce petit bristol, j’ai tout de suite compris que je ne dirai pas un mot au préfet du déjeuner. La photo ci-jointe vous le prouvera par l’observation de l’angle dans lequel je me trouvais : impossible de participer à une conversation menée par l’invitant, sauf à ce qu'il attrape un torticoli en sauçant son assiette avec sa cravate. J’ai ensuite compris, lorsque nous sommes passés à table, quels étaient ceux qui comptent et peuvent apporter une conversation à l’hôte des lieux. La PQR, et la radio commerciale du coin. Eux étaient dans la ligne de mire. Ils ne s’en sont pas privés. Prestige du protocole !
Cela étant, le sujet qui monopolisa plus de la moitié du déjeuner fut – on ne s’en étonnera guère – les élections cantonales de mars prochain. Pas les sujets qui intéresseraient volontiers les contribuables à l’occasion électeurs, tels que les routes, transports, les collèges, le RSA, l’APA, les maisons de retraite, le financement de tout ce barnum et comment on va s’y prendre et à quoi ça sert ce machin avec des z’hommes politiques dedans. Non, ce qui a monopolisé la conversation de ceux qui font l’info et du préfet ce sont les pronostics. Qui va être réélu (ou pas) et où, et de combien ? Le mille feuilles électoral, par le petit bout de la lorgnette. Une sorte de PMU de la politique, sans l’hippodrome mais avec tribune d’honneur et les bourrins. Un des convives a cependant eu cette fulgurance : « le seul sondage qui compte c’est celui du lundi matin après comptage des urnes. » Ensuite par petits paquets de quatre ou cinq, les conversations ont dévié vers l’intercommunalité, l’autre truc à la mode cette année, qui passe au dessus de la tête des citoyens mais qui pourtant va s’abattre sur eux d’ici à la fin de l’année.
Qu’importe. Les mets étaient délicieux et les vins gouleyants. Comme l’était aussi ma voisine de droite, nouvellement arrivée, qui disait combien elle avait été bien accueillie dans sa sous-préfecture et combien il lui tardait que son jeune fils arrive près d’elle. Sur sa montre d’une grande marque de maroquinier qui doit valoir à elle seule plusieurs mois de Smic, on pouvait y lire la langueur du temps qui passe dans ces maisons d’Etat, que Brel a figé dans une célèbre chanson Je suis un soir d’été. (« Et la sous-préfecture fête la sous-préfète, sous le lustre à facettes il pleut des orangeades et des champagnes tièdes, et des propos glacés de femelles maussades de fonctionnarisés.»)

 

 

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M
<br /> <br /> trés bon petit hors-d'oeuvre<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> De part et d'autre de ce superbe plan élaboré par les chargés de mission du service "com" de la Préfecture, vous trouverez les larges fenêtres par lesquelles l'argent de l'Etat est allégrement<br /> jeté !<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> @ Anne-Claire : ça ressemble à une fôte de frappe corrigée.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Et l'année prochaine, je sais pas pourquoi, mais ta voisine du jour aura peut-être migré à la droite de Monsieur Le Préfet, non ?...<br /> Euh, un troticolis, tu dirais que ça ressemble à quoi ? !<br /> <br /> <br /> <br />
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