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Le jour. D'après fred sabourin

Le feu sous la glace

16 Août 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #montagne

Le feu sous la glace

Le Cirque de Troumouse (Hautes-Pyrénées, départ de Gèdre), bien moins connu que celui de Gavarnie, offre des vues splendides sur le bouleversement tectonique subit par les Pyrénées lors de la poussée de la plaque eurasienne par la plaque africaine. La couche de roches sédimentaires la plus récente est passée, par le jeu du plissement, « cul par-dessus tête » pour se retrouver, par endroit, au dessous de la couche hercynienne le plus ancienne. Longtemps, cette incongruité de la nature interrogea les premiers découvreurs de ces chemins d’altitude qu’ils frayaient sous leurs pieds.

Le feu sous la glace

Face à l’imposante muraille qui s’ouvre devant nous, au levé du jour, domine le Pic de la Munia, un 3133 mètres qui ne peut se vaincre qu’au prix d’une course « mixte », comme on dit. D’abord on marche normalement, puis on se saisit de la neige qui persiste dans l’étroit couloir entre deux murs de roches (offrant ce que l’écrivain italien féru de montagnes nomme « une indulgence de la nature »), puis on escalade deux dalles un brin glissantes mais sans grande difficulté (la « dalle Passet » et le « pas du chat »). Enfin, on termine par trois quart d’heure de crête tantôt aérienne, tantôt facile, pour enfin s’asseoir au sommet et ouvrir un bocal de pâté.

Le feu sous la glace

Il y a deux ans, le couloir de neige nous avait, mon camarade et moi, causé du souci à cause d’un oubli volontaire de crampons. Cette fois-ci, pour la troisième ascension de la Munia – première en solitaire – j’ai pris grand soin de ne point les laisser au chaud dans la voiture. Aussi étrange que ça puisse paraître, je n’en ai pas eu besoin. Au lieu de passer sur la neige, je suis passé dessous. Le névé, dans un état avancé de fonte, mais sur une très forte pente, offrait quelques ponts de neige peu engageant à bien y regarder. La rimaille (espace entre la neige ou la glace et les parois rocheuses), a permis cette fois-ci de passer dans ce bref espace humide et froid, marqué par cette odeur inoubliable de roche humide, de terre gelée, et de vieille neige au nez à la fois rance et métallique. La sueur froide de la roche. Par moment, nous étions carrément dessous, au milieu d’un concert de goûtes d’eau froides tombées des voûtes de cette petite cathédrale de glace et de roches. Au sol, c’était tout sauf confortable. Chaque arrêt entraînait des trésors d’efforts pour maintenir les chaussures sur la pente aux cailloux roulant vers le bas. Un pas de 20 cm provoquait immédiatement une descente de 10. A ce rythme-là, on n’avançait pas vite, c’était certain. Mais avions-nous autre chose à faire ce matin-là ?

Le feu sous la glace

A l’arrivée en haut, entouré des géants au loin que sont les « Trois sœurs » (Soum de Ramond, Mont Perdu, Cylindre), du Casque, Tour, Taillon, Vignemal à l’horizon, Pic Long, Néouvielle et Campbieil plus au nord), deux compères en grand bavardage et visiblement satisfait d’être ici. Le plus âgé (70 ans au compteur) se remettait d’un cancer avec récidive. Le plus « jeune » (65 ans à la toise) sortait d’une paralysie partielle d’une jambe. Ils débouchèrent une demi-bouteille de Madiran et nous avons bu ce vin nouveau de la renaissance. Le cul assis sur la roche chauffée à blanc par un soleil de gloire. Une heure à deviser sur les beautés de la montagne environnante. Sur les sommets faits, à faire ou à refaire. Puis deux heures de descente où je peinais parfois à les suivre tant ces vieux cabris galopaient, grisé par l’amitié autant que par le vin. Mis en bouteille au château. Débouché dans les cieux.

Pas une seule fois nous n’avons évoqué le contexte anxiogène de notre monde en guerre. Pendant une journée, nous l’avons oublié.

FS 14/08/2016.

Le feu sous la glace
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