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Le jour. D'après fred sabourin

« Mourir ? Plutôt crever ! » *

9 Janvier 2015 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #l'évènement

 

 

Charlie Romo 5

 

 

C’était au tout début des années 90. Avec quelques copains du lycée, nous avions ressuscité un des nombreux journaux dits scolaires qui avaient tenté, à leur manière, de croquer la vie pas toujours mouvementée du bahut. Le Cupidon Times succédait à Holidays, qui succédait lui-même à Graffiti.


À Angoulême, chaque mois de janvier a lieu le Festival de la Bande dessinée, une grand messe incontournable dont nous ne manquions jamais une édition. Cette année-là, un peu bravache, nous avons écrit au service presse du Festival, pour demander des accréditations en vue d’un numéro spécial BD du Cupidon Times, journal du très chic lycée Saint-Paul. Et nous les avons obtenues !


Imaginez la joie de ces quatre ou cinq ados encore bien boutonneux, avec leurs accréditations presse autour du cou, carnets à spirales sous le bras et plusieurs stylos dans la poche, « au cas où il y en ait un qui tombe en panne ! »
Sommet du Festival, la remise des Alph’arts au théâtre de la ville (les prix, équivalent des palmes cannoises). Nous y étions. J’y étais. La cérémonie était assez chiante à cette époque-là, depuis ça s’est un peu amélioré, mais il y régnait une incomparable ambiance loufoque, totalement foutraque, mélange savoureux de professionnalisme et d’esprit BD.

Ça sentait la clope, la bière tiède, la crotte de nez, le vieux cuir, la sueur et l’amitié. Il y avait des dessinateurs (et dessinatrices !) partout, dans un joyeux bordel que je ne suis pas prêt d’oublier. Un autre monde. Mais quel monde !


En me frayant un chemin dans les couloirs de ce joyeux merdier, j’avise Cabu. A moins d’avoir passé toute sa vie dans une grotte au fond des bois sans électricité ni télévision, impossible de le rater. Sa coupe au bol de Playmobil, ses petits yeux malicieux derrière des binocles : le grand Duduche, devant moi, là, seul. Timidement, je me lance : « euh… Cabu ? Euh… Une dédicace pour le Cupidon Times ? » Il se marre : « le quoi ? » « Le Cupidon Times », dis-je. « Un journal de lycée, l’ancien lycée de Mitterrand ici à Angoulême. » Et d’expliquer l’esprit du canard, son irrévérence, bien surveillée par les gardes chiourmes et censeurs du bahut.


Je sors le calepin de ma poche ; il sort son arme : un stylo. Il griffonne quelque chose, à l’envers je ne vois pas bien ce que c’est. Je lui explique qu’à cause de mes insolences, les profs me sortent de cours parfois. Il sourit, sans s’arrêter de dessiner. Puis il légende le tout et me tend le calepin. Je le remercie, et il s’en va, doucement, comme sur la pointe des pieds. Je regarde le crobard : il a dessiné un type avec une crosse et une mitre, légendé : « Moebius est devenu évêque ! » À l’époque, je ne connaissais pas bien cet auteur, je me suis rattrapé depuis. Et je me demande bien pourquoi il m’a dessiné ça, mais je me garde bien de courir après lui pour le lui demander. Mes semelles ne toucheront pas le sol pendant 8 jours. J’ai croisé Cabu. Il a été d’une gentillesse extrême. Il m’a fait un dessin pour le Cupidon Times.


Ça se passait comme ça, à la BD d’Angoulême : Cabu, Wolinski, Siné, Cavana, Vuillemin, Edika et consorts se baladaient dans les rues, dédicaçaient dans la chaleur moite des chapiteaux chez leurs éditeurs, faisaient la fête dans les bistrots. Nos bistrots, de notre ville. On était en famille, eux ressemblaient à des oncles ou des cousins un peu en marge, mais tellement drôles, attachants et surtout gentils. Ils se baladaient avec leurs armes de dérision massive : un sourire, des crayons, du papier et de l’encre.

 

Aujourd’hui que le sang – d’encre – a coulé dans une rédaction à Paris dans le 11e, le Cupidon Times ressurgit du fond de ma mémoire et me tire une flèche en plein cœur, et un coup de pied dans la gueule. Merde. Fais chier. Sa mère la pute. Allez vous faire foutre.


« Être tué par balles pour un antimilitariste, quelle ironie. » (Anne Jouan, Le Figaro du 8 janvier).


« On n’a pas peur des trous d’balles. » (Wolinsky). 

 

 

* Siné.


bites

 

F.S

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