Passeur de liberté...
en route vers l'Etang Garbet (non loin de Vicdessos, Auzat et Massat, en Ariège)
Piston, passeur de liberté
Le passage de Jean Bénazet dit « Piston » est singulier, même s’il chemine aujourd’hui vers un site connu et prisé des randonneurs : l’Etang Garbet et le Lac bleu qui le domine de quelques centaines de mètres. Ensuite, il s’enfonce dans un cirque qui paraît – à juste titre – infranchissable. Jean Bénazet connaissait ce passage, qui conduit ensuite jusqu’au Port de Montescourbas, mais il est très ardu et accidenté, si bien qu’il ne peut aujourd’hui être décrit dans ce livre pour des raisons évidentes de sécurité des marcheurs. Ce n’est pas une litote : le chemin de Piston est un chemin escarpé, alternant d’un bord à l’autre du massif dominant l’Etang du Garbet, passant sous le Pic des Trois Comtes, le Pic de Bentefarine, la Pointe des Trois Comtes jusqu’au Port de Montescourbas. Jean Bénazet alternait sur les flancs de ces montagnes qu’il connaissait bien tout simplement pour ne pas se faire repérer par la Gestapo et les soldats allemands stationnés dans les vallées proches, et surtout les patrouilles qui grimpaient régulièrement sur la frontière par la vallée du Vicdessos, au dessus d’Auzat et du village de Marc.
En 1928, Jean Bénazet dit « Piston » s’installe à Varilhes comme mécanicien. Il est élu conseiller municipal sous le Front Populaire, pendant la mandature de Louis Siret (qui sera ensuite déporté). Piston est lié dès 1939 avec le célèbre guérilléro Francisco Ponzan Vidal, membre de la Confédération nationale du travail espagnol, laquelle organise un réseau de passeurs d’hommes pour faire franchir la frontière aux militants en danger. Varilhes deviendra, par leur entremise, le quartier général de F. Ponzan.
En mars 1940, l’officier britannique Marshall du service action, entre en contact avec Jean Bénazet et Francisco Ponzan, leur demandant de coopérer avec l’Intelligence service pour faire passer des hommes et des documents en Espagne. Ils acceptent. Piston commence alors ses passages via l’Andorre, par le village traversant de l’Hospitalet-près-l’Andorre, la remontée du ruisseau Saint-Joseph et le Port Dret (2587m), atteignable en quatre heures environ depuis la route menant vers le Pas de la Case. Il y effectue son dernier passage en septembre 1942.
Le 11 novembre 1942, la zone libre est occupée. La Haute vallée de l’Ariège est classée zone interdite, et une ligne de démarcation est installée entre Foix et Tarascon. Pour Piston, il faut trouver un autre passage, et il va diriger ses candidats à l’exil vers l’Etang du Garbet et le Port de Montescourbas. C’est beaucoup plus long et surtout plus difficile que le Port Dret, mais plus à l’abri des regards ennemis. En 1943, il effectue les passages les plus durs. Il partait généralement de la gare de Foix, prenant ensuite la départementale 17, via Saint-Pierre de Rivière, La Mouline, Burret, le Col des Marrous (990m), puis le Col de Péguère (1375m), pour descendre ensuite sur Massat. Il prenait ensuite la direction de l’Etang de Lers, et stoppait sa voiture près du village du Port, où un sentier muletier le conduisait jusqu’à l’Etang de Lers. Tout le long du chemin en voiture, trois relais de sécurité devaient indiquer que la route était « libre », en accrochant divers vêtements sur les cordes à linge par exemple. Si les vêtements n’étaient pas mis à sécher, la voie n’était pas libre. A l’Etang de Lers, Piston s’arrêtait au quatrième relais de sécurité, à la cabane du pâtre Jacques Caux, au bas du Col de Saleix. Il repartait au levé du jour avec ses candidats au passage, en direction de l’Etang Garbet, par un chemin en balcon passant légèrement au dessus de la forêt du Garbettou. Puis c’était la montée vers l’Etang Bleu, par le cirque du Garbet. Ensuite le chemin devient plus escarpé et difficile, jusqu’au Port de Montecourbas, où les gens étaient libres et descendaient dans la vallée vers Tavascan. Sur un carnet, Piston notait le nombre de « truites » qu’il avait prises au cours de ses parties de pêche si particulière. Soixante et une au total, au cours de huit passages réussis. Parmi les nationalités, des Américains, Russes, Anglais et Français bien sûr. Au total, en additionnant les passages par le Port Dret frontalier avec l’Andorre, ce sont quatre vingt-cinq missions qu’il aura effectué entre 1939 et 1943.
Le 13 juin 1943, sa vie de passeur va basculer. Alors qu’il conduit une importante colonne de dix-huit personnes, en franchissant une zone à découvert, il pressent un danger. Il a raison : des voix allemandes s’élèvent dans la montagne. Un jeune qui comprenait la langue traduit : « il faut lever les bras ! » Ils sont pris, et très vite encadré par deux soldats frontaliers de l’armée allemande. Mais en descendant, alors qu’ils traversent une cheminée pentue, Piston se rend compte que le garde qui est devant lui ne peut pas le voir, et que celui qui est derrière ne le voit plus. C’est le moment où jamais : il saute dans un ravin, et dévale, très vite suivi par André Joucla. Le soldat qui était derrière lui les voit s’enfuir, et ouvre le feu. Ils en réchappent de peu, une balle traversant le pantalon de Piston, sans le toucher. Mais pour Piston, les passages c’est terminé. Il continue cela dit à s’occuper du ravitaillement du maquis du Col du Port, près de Massat. Le 9 juin 1943, il est absent de chez lui le jour où les soldats allemands, suite à une dénonciation, encerclent le village. Il doit entrer dans la clandestinité, car il a été identifié par la Gestapo qui le recherche activement. Il reste en planque à Massat quinze jours environ. Puis retourne à Varilhes, mais a la grande prudence de ne pas dormir chez lui. Le 1er octobre 1943, la Gestapo de Foix vint pour l’y cueillir justement, mais ne le trouve pas. En planque dans une boulangerie, il se cache ensuite dans une cave, jusqu’à ce que son frère organise sa fuite à Toulouse via le réseau des cheminots résistants. Il se fait oublier quelques temps, mais l’inaction lui pèse. Grâce à des faux papiers, il devient Joseph Lebrun, et participe à la résistance avec les cheminots toulousains, jusqu’à la libération de Toulouse le 20 août 1944. Trois jours avant, Francisco Ponzan avait été assassiné. Le 26 août, il rentre à Varilhes, découvrant sa maison que la Gestapo a entièrement vidée de tout, « y compris une suspension électrique, c’est dire s’ils ne m’avaient rien laissé, je n’avais plus rien, » confiera-t-il plus tard. Il reprend son métier de mécanicien, et s’engage au Parti communiste français qu’il a connu par ses amis cheminots de Toulouse.
Jean Bénazet meurt à Varilhes le 23 mai 1991 à l’âge de 87 ans.
Passage par l’Etang Garbet
A partir de 1943, les passages ne sont plus possibles par le Port Dret : la haute vallée de l’Ariège est classée zone interdite, et le chemin est beaucoup trop visible de la route qui mène en Andorre passé l’Hospitalet-près-l’Andorre. Jean Bénazet décide de passer la frontière par un chemin beaucoup plus long et moins accessible : le Port de Montecourbas.
Aujourd’hui, cette randonnée empruntant le chemin de Piston est possible jusqu’à l’Etang Bleu, à environ 2000m d’altitude. La suite du passage est très escarpé et n’est ni balisée, ni clairement repérable, sauf à l’avoir fait avec Piston lui-même quand sa condition physique lui permettait encore.
Le départ s’effectue légèrement en contrebas du Col d’Agnes, au croisement du bois de Plagnolles et du plat de Coumebière. Le GR 10 croise le départ en direction du Port de Saleix. Monter sud, sud-est et passer l’Etang de Labant (1597m). S’élever au sud-ouest à travers un petit bois (marques jaunes), et au sortir de ce bois, laisser les marques jaunes sur la gauche pour continuer plein sud en direction du cirque de l’Etang Garbet (visible de cet endroit, point de vue magnifique). Le sentier n’est pas à proprement parlé très bien tracé, suivre autant que possible, à flanc de montagne les marques rouges. Le sentier suit, en balcon, jusqu’à l’Etang Garbet (1683m). Il est possible de monter jusqu’à l’Etang Bleu (1989m), en contournant le Garbet par la droite puis en s’élevant franchement au sud jusqu’à lui. Compter une heure entre le Garbet et l’Etang Bleu.
Le retour peut s’effectuer soit par le même chemin, soit par le chemin normal de l’Etang Garbet, qui rejoint, à travers la plaine puis la forêt du Garbettou, la route D8f qu’il faudra remonter sur 4 km pour retrouver son point de départ.
Carte IGN n° 2148 Ouest.
- Lac Bleu ; Pic des Trois Comtes -
Un aperçu du futur livre "les hauts lieux de l'histoir dans les Pyrénées" (titre provisoire) à paraître chez Ouest-France Edilarge au printemps 2011.