Fatigué ? Non, Épuisay
11 Mars 2011 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #quelle époque !
Épuisay, village de 715 habitants, possède trois gratte-ciel : un château d’eau, une église et une éolienne ancienne génération, comme on en voit souvent dans les western. Épuisay loge aussi quelques moutons. Épuisay a, comme toutes les communes du coin, un silo à grains, un marchand de fromages de chèvre ambulant, une boulangerie, et deux bistrots. Chez Nelly fait figure de plaque tournante. Le seuil franchi, le bar trône au milieu de la carrée. On peut en faire le tour. Y sont scotchées et punaisées les cartes postales des habitués qui, même en vacances, n’oublient pas Nelly. Une bise de Bretagne. Un petit bonjour de Provence. Chez Nelly, on ne fait pas de chichi. On mange à côté d’autres convives, qu’on ne connaît pas forcément. C’est le cas de ma voisine d’en face, physique de camionneuse, pull over à col zippé et doudoune sans manche. Chez Nelly, on ne vous demande pas « ce que vous voulez manger ». La serveuse vous dit : « Le buffet des entrées est à l’entrée (justement), je reviendrai vous voir pour la suite. » Un œuf dur mayonnaise, une tranche de pâté en croûte et quelques carottes râpées plus tard, la serveuse (Nelly ?) tient sa promesse : sauté d’agneau ; langue de bœuf ; porc au curry ; daurade. On est vendredi de carême, va pour la daurade, brocolis – semoule. Chez Nelly, pas de carafes : la bouteille d’eau est sur la table. Le vin itou. C’est un restaurant européen : le vin est un mélange de ses différents pays (c’est écrit dessus). Chez Nelly, visiblement, on est chez soi. Deux routiers dont un sans cheveu discutent de « tracteurs trois essieux, comme les Anglais. » Sept mercenaires de l’ex DDE vêtus de bleus et d’orange entrent pour bâfrer. D’autres routiers sympas engloutissent des harengs-pommes à l’huile, et une salade piémontaise avant de faire un sort à la langue de bœuf. Trois mangeurs sur quatre portent un pantalon bleu de chauffe et des chaussures de sécurité. Trois jeunes commandent un apéro : Ricard, Martini et demi pression. Chez Nelly, tout est compris : le mangé, le boire, le fromage, le dessert, le café et l’addition. Le tout pour onze euros et quarante centimes. « On ne rend pas la monnaie sur les tickets resto, mais je vais vous le faire quand même. Quand on n’a pas le droit, on prend le gauche, » me dit le patron. Je savais bien qu’on parlait politique ici aussi…
Chez Nelly, à Épuisay, on ne sort pas avec la faim. Avant de franchir la porte, un panneau en liège où sont punaisés des avis divers vous invitant à des trucs où les gens d’ici vont. Une paëlla associative de la chorale rurale (on imagine déjà le chant avec les grains de riz coincés entre les dents…), des portes ouvertes chez le garagiste d’un village voisin. Un article jauni de la presse locale à propos de l’antédiluvienne éolienne. « Et merci monsieur et bonne journée ! » salut le patron à la sortie. Ici, même si on ne connait personne, on est quand même quelqu’un.
Comment nomme-t-on les habitants d’Epuisay, dans le Perche Vendômois ? Certainement pas les fatigués.
Un peu après, avec le maire d’Ouzouer-le-Doyen, 275 habitants, on fait le tour d’une façade de la mairie-école-salle-de-réunion-cantine-scolaire. Le Conseil général, dans sa grande largesse et surtout avec les impôts des administrés, a doté les mairies de moins de 1000 habitants de quoi améliorer l’ordinaire. Le grenelle de l’environnement passant aussi par là, les fenêtres et portes ont toutes été changées. Le maire d’Ouzouer est un drôle de personnage. Chemise et pantalon noir, trois quart en cuir idem, chapeau auvergnat noir, façon Mitterrand. Il entre dans le secrétariat de la mairie où sont pèle mêle : une secrétaire de mairie, une Marianne à gros seins - aucun lien avec la secrétaire - et un petit président devant une bibliothèque de livres qu’il n’a pas lu. On dirait un cow-boy (le maire, pas le petit président, Ndlr). Après un café robusta rustique et quelques foudres contre les éoliennes des terres agricoles voisines, il invite à faire le tour du village, où un presbytère du XVIIIe siècle attend d’être rénové mais pas tout de suite car c’est très cher, une église refaite à neuf au carrelage de salle de bain, et, incroyable, une agence d’une banque agricole fort connue dans la ruralité, seul « commerce » du lieu. On salut l’édile, qui dans un dernier commentaire explique qu’il va monter une expo sur le cirque dans le village, et qu’hier, « pour le carnaval des enfants, je me suis déguisé. Mais pas en clown, hein ! »
Nous voilà rassuré.
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- this is the end -
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