Dix ans déjà
2 Novembre 2010 , Rédigé par Fred Sabourin Publié dans #édito
Dix ans déjà et autant d’années à penser et repenser à cette soirée où tu as délibérément choisi de quitter ce monde qui t’était devenu invivable. Ce n’est pas tant le monde d’ailleurs qui t’importunait, mais plutôt ton propre monde, ta maigre vie devenue survie, ton corps souffrant que tu refusais de réparer, hâtant même sa chute en le noyant dans le chagrin du mauvais alcool, qui irrémédiablement fait disparaître toute tentative de se relever.
Dix ans déjà et même surtout devrait-on dire. Dix ans que nous nous sommes penchés au dessus du trou où ce qui restait de ton corps a disparu en se demandant tous : « mais pourquoi ? »
Passent les semaines, les mois et les années. Le silence s’est bien vite refait, et nous sommes tous restés seuls dans nos coins respectifs avec la question du jour où la terre t’a enveloppée de son linceul de glaise. Il pleuvait sur la ville ce jour triste de novembre, triste comme une Toussaint devrais-je dire, d’ailleurs, la collision des dates était cette année-là fort opportune. Toussaint, puis le jour des morts puis Saint Hubert. Patron des chasseurs - cette chasse que tu aimais tant, et qui, indirectement, t’emporta, dans ce claquement de fusil que peu on entendu mais qui résonne encore dans mon esprit, comme un écho interminable, une cloche sombre aux odeurs de poudre et de bourdon. Saint Hubert, j’entends tes trompes de chasse sonner l’hallali chaque année à cette période, bien en avance dès octobre entamé, comme aspirant vers novembre, coûte que coûte.
Il pleuvait comme il pleuvait sur Nantes un matin comme celui-là. Je t’ai couché dessous les roses, n’imaginant pas vivre ce qu’avait vécu cette chanteuse aux habits noirs comme son âme, cette chanson qui me faisait frissonner lorsque je l’écoutait les jours de spleen. « La mélancolie est le bonheur d’être triste » disait Hugo. Je l’ai aimée cette mélancolie, jusqu’à coucher avec.
Dix ans après, la question reste ouverte. Il parait qu’elle le sera toujours. « Mais pourquoi ? » A quoi j’ai ajouté au fur et à mesure de ces dix années qui sont passées si vite et si lentement, avec tous ces évènements survenus, certains prévus d’autres non : « mais pourquoi moi ? »
Sans doute et sûrement parce que j’étais le fils et qu’il n’y avait plus que ça pour te raccrocher à la vie avant que la chienne ne te fasse trop d’œil pour y résister. Personne ne veut la voir cette chienne qui nous attend « un par un ». Pour hâter sa venue, il faut paradoxalement un sacré courage. Tu l’as eu, ce courage, me laissant dans une période de glaciation impossible à fuir dix ans plus tard. Tu avais sans doute voulu m’appeler, mais ta voix s’était perdue.
Tu n’as pas raté ta sortie et moi j’ai raté mon entrée. On dit que c’est la vie, avec ce ton primesautier qui sied si mal aux chrysanthèmes. Va te faire foutre la mort, nous on est resté en vie. Chienne de mort et chienne de vie, toute deux issues de la même meute.
Et j’entends là bas, au loin, les cors de chasse.
A toi mon père.
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