Grâce à Dieu (les faits sont prescrits…)
7 Mars 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #chronique cinéma
Le film de François Ozon retrace l’éclatement de l’affaire Preynat, prêtre du diocèse de Lyon qui a abusé d'environ 70 enfants scouts durant deux décennies, et du silence coupable de sa hiérarchie, dont Mgr Barbarin l’actuel archevêque de Lyon, qui l'a laissé dans ses fonctions jusqu'en septembre 2015. Un film tendu, aux limites du documentaire, mené comme un thriller, où l’on voit la quête des plaignants, rassemblés en association La Parole libérée, afin de faire éclater la vérité de faits certes prescrits pour la plupart, mais bien réels pour les victimes qu’ils sont toujours. Grâce à Dieu, dont les avocats du cardinal-archevêque Philippe Barbarin voulaient interdire la sortie le 20 février dernier parce que le jugement n’avait pas encore été rendu, a obtenu l’Ours d’argent au festival du film de Berlin.
François Ozon voulait filmer « des hommes qui pleurent » (sic). C’est réussi. Pourquoi ça marche ? Parce que les hommes en questions ont tous, dans Grâce à Dieu, quelque chose de l’enfance brisée net sur l’autel de l’impensable. Abusés sexuellement par celui en qui ils avaient toute confiance – le père Bernard Preynat, charismatique aumônier du groupe scout Saint-Luc, fer de lance de la pastorale lyonnaise dans les années 70-80 – Alexandre (Melvil Poupaud), François (Denis Ménochet) et Emmanuel (Swann Arlaud) portent encore en eux la marque de l’agression. Indélébile. Innommable. Incompréhensible. Il en résulte un film abouti, sec, sans cruauté inutile, sans pathos superflu, où les victimes cherchent à se reconstruire à travers « la parole libérée ».
Trois itinéraires, trois personnalités, trois manières de voir la reconstruction après la déconstruction. Il y a d’abord Alexandre (Melvil Poupaud), l’homme par qui tout arrive (François Devaux dans la vraie vie). Père de famille de cinq enfants, à la situation sociale confortable, fervent catholique et habitant un appartement bourgeois de la presqu’île en bord de Saône, se heurte dans un premier temps à l’inertie de l’Église. Il contact et rencontre plusieurs fois la psychologue du diocèse – Régine Maire, son vrai nom – mais le cardinal Barbarin (François Marthouret) ne semble pas prendre toute la mesure de ce qu’il faudrait pourtant faire sans trop se poser de questions : suspendre le père Preynat de toutes fonctions cléricales, et porter l’affaire devant la justice, même si « les faits sont prescrits », comme il le dira lui-même maladroitement dans une conférence de presse en mars 2016.
Il y a François (Denis Ménochet), lui aussi père de famille de 3 filles, ayant lui aussi plutôt bien réussi socialement, après avoir tout refoulé jusqu’au jour où les démarches d’Alexandre viennent le sortir de sa torpeur et le secouer sans ménagement. D’un tempérament plutôt impulsif, furieux, il peine à se situer dans la procédure, oscillant entre envie de coups de communication et nécessité d’avancer pas à pas pour apparaître le plus crédible possible.
Il y a enfin Emmanuel (Swann Arlaud), jeune homme qui lui n’a rien construit ou pas grand-chose, « pas de boulot, pas de famille, une relation toxique avec ma copine », des relations avec son père au point mort. De très loin la figure la plus impressionnante des comédiens de Grâce à Dieu, même si Ménochet, Poupaud et Éric Caravaca (Gilles, médecin qui va lui aussi jouer un rôle actif dans La Parole libérée) ne sont pas à la remorque. Emmanuel attend beaucoup de cette lutte du collectif pour se reconstruire, enfin. Mention spéciale au personnage de sa mère, joué par Josiane Balasko, discrètement bouleversante).
Seuls les clercs passent à travers les mailles du filet – image insaisissable qu’ils cherchent à donner d’eux-mêmes ? – dans des rôles finalement bien fades, comme perdus une fois que l’échafaudage de la hiérarchie semble s’écrouler. Bernard Verley, qui interprète le père Preynat, donne pourtant le maximum pour entrer dans le personnage qui reste lointain ; que dire du cardinal Barbarin (François Marthouret) qui semble désincarné ? Parti pris d’un film construit sur le seul point de vue des victimes ? Rien n’est de trop pourtant dans Grâce à Dieu de François Ozon, même la réplique lancée par Éric Caravaca (Gilles) : « On ne fait pas ça contre l’église mais pour l’église ». En sortant, on repense aux mots du cardinal Yves-Marie Congar (théologien dominicain expert au concile Vatican II, exposé aux soupçons et sanctions de l’autorité ecclésiales), qui disait : « souffrir pour l’Église n’est rien comparé à souffrir par l’Église ». On ne saurait mieux résumer…
Jeudi 7 mars, le jugement a été rendu dans le cadre du procès Barbarin, devant le tribunal correctionnel de Lyon. Mgr Philippe Barbarin, cardinal-archevêque a été condamné à 6 mois de prison avec sursis par le tribunal. En janvier dernier, le procureur de la République avait requis la relaxe. Mgr Barbarin a annoncé qu’il remettrait sa démission au Pape François « dans les jours qui viennent ». |
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 130 l'évènement
- 101 émerveillement
- 87 montagne
- 81 chronique cinéma
- 78 voyage - voyage...
- 62 édito
- 53 littérature
- 53 quelle époque !
- 45 Presse book
- 42 étonnement
- 39 rural road trip
- 32 Lettres à ...
- 32 concept
- 28 regarde-la ma ville
- 22 poésie
- 19 drôle de guerre
- 17 cadrage débordement
- 8 coup de gueule
- 4 religion
- 1 patrimoine